—Par Selim Lander -–
A quoi sert le cinéma ? A divertir, certes, et c’est un moyen de dépaysement merveilleux, mais le cinéma est bien plus que cela. Il a été pour des générations de cinéphiles, l’école de la vie, comme le fut la littérature pour des générations plus anciennes. Et encore aujourd’hui, dans un monde désormais saturé d’images animées, le cinéma demeure capable de toucher le spectateur au plus profond. On ne parle pas ici des blockbusters, ces fantaisies pour adolescents, lesquels y trouvent un exutoire à leur violence dans des scénarios répétitifs où l’on voit un héros aux muscles hypertrophiés triompher miraculeusement de tous les obstacles. Non, on fait allusion ici à des films comme ce Rêves d’or, qui nous font pénétrer dans le mystère de certaines vies, de certaines âmes si éloignées de nous et pourtant si proches, puisque nous y reconnaissons, non sans un sentiment de vertige, la même humanité que la nôtre. Le film raconte le périple de quatre adolescents (trois garçons et une fille) partis du Guatemala et qui tentent de rallier l’Amérique du Nord, sans argent, le plus souvent sur le toit d’un wagon de marchandises. Le film, cependant, va bien au-delà d’un railway movie narrant les aventures de quatre jeunes gens sympathiques (même s’ils sont effectivement sympathiques et si le film donne à voir de superbes images de trains hors d’âge, machines géantes et menaçantes, s’inscrivant dans des paysages encore sauvages). Car le metteur en scène-scénariste ne s’amuse pas. Et nous non plus, quoique confortablement installés dans notre fauteuil. Les méchants ne sont pas des méchants d’opérette et les quatre jeunes héros n’ont aucune chance. Ou plutôt ils ne peuvent compter sur leur chance et cette dernière, malheureusement, ne peut pas durer toujours. L’un des quatre renonce assez vite. Il a compris, lui, que les cartes n’étaient pas en sa faveur, mais il n’est pas sûr que son destin vaille mieux que celui de ceux qui resteront sur la route : sans doute retournera-t-il sur les tas d’ordure où il cherchait sa pitance, avant de tenter l’aventure. On ne va pas raconter l’histoire. Disons simplement qu’un seul des quatre contemplera la neige de l’Amérique du Nord. Entretemps il aura découvert l’amour du prochain et combien il peut être douloureux. Le film, on l’aura compris, est réaliste : pas de happy end à espérer. Le réalisateur préfère nous faire découvrir ce que cela signifie vraiment d’être jeune et pauvre et d’aspirer désespérément à une vie meilleure, à une vie semblable à la nôtre, alors que nous avons trop souvent tendance à oublier le privilège que constitue pour nous le fait de vivre ici et maintenant. Diego Quemada Diez sait diriger des comédiens : les jeunes – mais ceux-ci sont bons, en général ; on ne s’étonne donc pas que ce soit encore le cas ici – et les centaines de figurants, de vrais migrants ceux-là, qu’il a mis dans son film. Il a aussi le sens du décor et nous donne quelques belles scènes intimistes dans des wagons abandonnés ou dans des ruines envahies par la végétation tropicale.
Prix « Un certain talent » de la sélection « Un certain regard », festival de Cannes 2013.
Projeté dans le cadre du « CMAC à Madiana » les 12 et 17 février 2014.