— Par Dégé —
Le Théâtre de poche Du Flamboyant*, à la fois chaleureux et inconfortable pour le public, offre souvent une programmation intéressante. Disons-le nettement la proposition du Cahier d’un retour au Pays natal joué et mis en scène par Colette Césaire, célébrant ainsi l’hommage anniversaire au poète-guide, surprend et renouvelle les offres antérieures.
En effet, par préjugé identitaire, on imagine instinctivement la voix de la révolte, virile, magnifiquement…martiale. Qu’elle soit douce, voire suave, c’est-à-dire « féminine », est impensable, impensée, improbable du moins tant qu’on n’a pas entendu Colette Césaire.
Ce défi, elle l’a longuement muri. Elle a une maîtrise impressionnante de ce texte immense dont nous connaissons tous par coeur de courts passages. Seule sur scène, elle murmure presque ce qui est habituellement une révolte trop hurlée. Et par contraste se détache dans toute sa force le cri césairien. La beauté nue de ce poème. Son verbe, son arme miraculeuse. Comme si le premier plan d’un tableau devenait secondaire, mettant en relief la grandeur du décor, l’essentiel.
La comédienne danse, elle chante, elle rythme de ses pieds la scène et le texte. Ce n’est que plus tard, au moment attendu de l’entretien avec le public, qu’on se rend compte qu’il n’y avait nul musicien, nul danseur, nul chœur pour l’accompagner.
Le.a narrateur.trice, « dégenré », rend ainsi à tous, à chacun, à chacune, l’adresse du poète-guide. Désexué, le poème n’en est pas pour autant désincarné. On peut même dire qu’il est érotisé par le jeu de l’actrice, sa diction. La puissance, habituellement réduite à une expression vocale violente, est contenue dans le corps immense de Colette Césaire, maternel, fécond. Elle possède une force quasi animale d’une grande sensualité qui restitue au texte sa fécondité.
Une promesse toutefois limitée car parfois on se demande si la révolte de la Négraille, atteinte d’un certain dolorisme, n’est pas plus rêvée que debout au petit matin. Le fantasme est l’adversaire (bienveillant ici ?) du passage à l’acte politique, émancipateur.
Tel un ange aux larges manches, l’actrice décore peu à peu sa gaule blanche de séduisants colifichets longs et colorés. Il appartient à chaque spectateur d’interpréter leurs énigmes. Symbolisent-ils la diaspora îlienne (donc des individualités humaines) à unifier ? les chaînes décidément infrangibles de l’esclavage ? structurent-ils les périodes du poème…?
Ce sera au moins un plaisir, Il faut aller voir le travail de Colette Césaire toujours en progression ou assister à ses conférences pour en décider, ou approfondir en soi, pour soi, le questionnement sur l’invitation à agir de Aimé Césaire.