— Par Isabelle Mandraud —
Joint par téléphone, lundi 2 septembre, Weld El 15 paraît à bout. » Cette fois, c’est vraiment grave, souffle-t-il. La seule chose à laquelle je pense maintenant, c’est de quitter le pays. » Déjà condamné à deux ans de prison ferme par contumace en mars pour une chanson insultant la police, avant de voir sa peine finalement commuée en six mois de prison avec sursis début juillet, le rappeur tunisien Aladine Yacoubi, 25 ans, a été de nouveau condamné à un an et neuf mois de prison ferme : un an pour outrage à des fonctionnaires, six mois pour calomnie, trois mois pour atteinte aux bonnes moeurs, auxquels s’ajoutent les six mois de sursis précédemment infligés.
La même peine d’un an et neuf mois ferme a été appliquée à un autre rappeur, Ahmed Ben Ahmed alias Klay BBJ, âgé d’une vingtaine d’années. Alerté par des médias, leur avocat, Me Ghazi Mrabet, a eu confirmation de la sentence lundi par le tribunal d’Hammamet et se dit abasourdi. » C’est un jugement à exécution immédiate, alors qu’ils n’ont même pas reçu de convocation devant le juge, s’insurge-t-il, dénonçant une nouvelle atteinte à la liberté d’expression. On ne peut pas juger, encore moins emprisonner un artiste pour le contenu de son oeuvre. «
Violences policières
Les deux musiciens avaient été interpellés le 22 août alors qu’ils se produisaient sur la scène du Festival international de Hammamet, une station balnéaire au sud de Tunis. Lors de son arrestation, Weld El 15 semble avoir été sévèrement battu par les policiers, comme le montre une vidéo prise à son arrivée peu après à l’hôpital. » Il a reçu un certificat médical et sept jours d’arrêt de travail « , précise Me Mrabet.
La justice reproche au rappeur ses paroles violentes contre la police, notamment celles de la chanson Boulicia Kleb ( » les policiers sont des chiens « ), diffusée sur les réseaux Internet dans un clip, mais jamais chantée en public et qui lui avait valu sa première condamnation.
A l’époque, avant de se rendre de son plein gré, Aladine Yacoubi avait passé plusieurs mois en cavale. Cette fois non plus il n’a pas chanté les paroles incriminées sur la scène d’Hammamet, malgré le public qui le lui demandait. » J’ai même parlé pas mal de fois à la foule pour lui dire que tous les policiers ne sont pas comme ça « , assure le musicien, qui a interprété d’autres morceaux, dont certains datent de l’époque de l’ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali. » Tout ça est programmé « , ajoute-t-il avec lassitude tout en affirmant songer sérieusement à demander l' » asile politique « . » Je ne peux pas me représenter à nouveau devant la justice, c’est impossible « , dit-il. Triste retour en cavale, donc, pour Weld El 15.
En proie à de graves difficultés intérieures, le gouvernement tente en ce moment de trouver avec l’opposition une issue à la crise dans laquelle est plongée la Tunisie. Pendant ce temps, la justice tunisienne continue à pourchasser sans pitié tous ceux qui sortent des clous. Lundi, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a appelé à l’abandon des poursuites contre Mourad Meherzi, un cameraman accusé d’avoir filmé le geste d’un réalisateur, Nasreddine Shili, écrasant un oeuf sur la tête du ministre de la culture, Mehdi Mabrouk. » Un nouveau coup dur pour la liberté des médias « , dénonce l’ONG internationale dans un communiqué. Arrêté le 18 août, deux jours après les faits, le cameraman, qui travaille pour la chaîne de télévision Astrolabe TV, est accusé de » complot » contre un fonctionnaire. Il encourt jusqu’à sept ans de prison lors de son procès, qui devrait démarrer le 5 septembre.
I. M.
Le Monde du 05 septembre 2013