Le 21 septembre dernier, une compagnie de CRS a débarqué en Martinique pour la première fois depuis 1959, marquant un retour historique et lourd de symboles. À l’époque, l’intervention des CRS avait déclenché de violentes émeutes à Fort-de-France, dans un contexte de tensions liées à la décolonisation. Ces affrontements avaient coûté la vie à trois jeunes Martiniquais et marqué la mémoire collective de l’île. Aujourd’hui, soixante-cinq ans plus tard, la situation sociale explosive, alimentée par la lutte contre la vie chère, ravive les fantômes du passé.
Le retour de la CRS 8 dans un climat de révolte sociale
Cette nouvelle compagnie de CRS, la CRS 8, réputée pour son expertise en maintien de l’ordre et ses interventions musclées, est perçue par une grande partie de la population comme un outil de répression. Depuis son déploiement, elle est au cœur de violentes confrontations avec les militants du Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéennes (RPPRAC), le collectif à l’origine du mouvement contre la vie chère. Le dernier incident en date a eu lieu lors d’un blocage au Lamentin, où les CRS ont été accusés d’user de la force de manière disproportionnée.
Lors de cette intervention, onze policiers ont été blessés par des jets de projectiles, tandis que plusieurs manifestants, dont le président du RPPRAC, Rodrigue Petitot, ont été interpellés. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent l’intensité des affrontements, y compris l’interpellation violente d’une militante. Le collectif dénonce une répression brutale, accusant les autorités de ne répondre aux revendications sociales que par la force.
Un climat tendu exacerbé par des souvenirs douloureux
La présence de la CRS 8 ne fait qu’exacerber les tensions déjà vives en Martinique. Les Martiniquais subissent depuis plus d’un mois une inflation galopante, avec des prix alimentaires 40 % plus élevés qu’en métropole. Le souvenir des événements tragiques de 1959, où des CRS avaient tiré sur des manifestants, reste vivace dans la mémoire collective. L’arrivée de cette unité spécialisée en gestion des violences urbaines rappelle de manière brutale ce passé colonial, d’autant plus que la CRS 8 a déjà été critiquée pour ses méthodes à Mayotte, où elle avait tiré à balles réelles.
La répression policière : seule réponse des autorités ?
Le RPPRAC déplore que les forces de l’ordre soient « la seule réponse apportée » par les autorités à la crise sociale. Il appelle à une nouvelle table ronde pour discuter des mesures à prendre face à la vie chère, mais prévient qu’une répression accrue ne fera qu’aggraver la situation. Le collectif met en garde contre une explosion sociale imminente, rappelant que l’État ne peut pas éternellement ignorer les revendications légitimes de la population.
Un contexte colonial persistant
La répression actuelle en Martinique, selon certains observateurs, s’inscrit dans la continuité de la gestion coloniale des crises dans les territoires d’outre-mer. Depuis 1635, la Martinique est sous domination française, et malgré une égalité en droits reconnue tardivement en 1996, les inégalités sociales et économiques persistent. Le retour des CRS, après plus de soixante ans, est vu par beaucoup comme le symbole d’une gestion autoritaire des tensions sociales, où l’État privilégie l’ordre au détriment d’un dialogue constructif.
L’avenir de la mobilisation en Martinique dépendra de la capacité des autorités à répondre aux attentes des Martiniquais autrement que par la répression. Le climat actuel de méfiance et de colère pourrait rapidement dégénérer si les revendications sociales ne sont pas entendues.