En replay sur Arte.tv jusqu’au 28 mai 2022
— Par Mathieu Macheret —
Jean-Gabriel Périot plonge dans les archives de l’inconscient collectif
Le réalisateur associe le texte fondateur du philosophe et sociologue Didier Eribon à des extraits de films ou d’émissions télévisées
Il existe un cinéma sans caméra ; celui des réalisateurs-monteurs qui s’abreuvent aux archives mondiales, ce puits sans fond des images tournées par d’autres, pour leur donner t une nouvelle vie, les réassembler dans un autre ordre. Il s’agit à chaque fois de faire parler les images autrement, de faire surgir au fond d’elles d’autres significations – intimes, sociales, politiques ou historiques. L’un des spécialistes en la matière est le Français ]ean-Gabriel Périot, né en 1974, réputé pour avoir déjà revisité par ce biais l’histoire de la Fraction armée rouge dans Une jeunesse allemande (zor5) ou encore celle de l’épuration des femmes à la Libération dans Eût-elle été criminelle (2oo6).
Avec Retour à Reims [Fragments], son dernier long-métrage en date (présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en juillet), il donne sans doute la meilleure adaptation possible à L’essai éponyme de Didier Eribon (Retour à Reims, Fayard, 2009), autoanalyse débouchant sur une lecture sociopolitique de la société française.
« Transfuge de classe »
Dans cette œuvre-phare de la pensée déterministe, le philosophe et sociologue retraçait son parcours de « transfuge de classe » en dressant le portrait de son milieu d’origine (parents et grands-parents) et, à travers lui, de Ia classe ouvrière au XXe siècle. Lui épargnant les artifices d’une fiction ripolinée et d’une incarnation forcément réductrice, Jean-Gabriet Périot retient du texte quelques passages marquants, surtout dévolus aux femmes de sa famille (sa grand-mère et sa mère), lus par Adèle Haenel et montés sur des extraits de films, d’archives ou d’émissions télévisées des années t93o jusqu’à aujourd’hui.
Images qui ne se con.tentent pas d’illustrer le propos, mais lui donnent matière à infuser, à travers des corps, des visages, des lieux, des représentations d’époque qui le prolongent.
Dans le lot, des bandes obscures succèdent à d’autres fameuses, comme Zéro de conduite (1933), de Jean Vigo, Le Joli Mai 1962), de Chris Marker et Pierre Lhomme, ou encore Chronique d’un été (1961), de Jean Rouch et Edgar Morin. Les mots racontent par l’intime la constitution d’un sujet politique, tandis que les images témoignent de l’imaginaire social dont elles sont Ie produit.
A leur croisée, opérée par le montage, surgit quelque chose de stupéfiant : l’inconscient collectif des classes « dominées » comme tectonique d’une histoire qui n’a pas dit son dernier mot. Et c’est sur le front des luttes actuelles que Périot se permet d’étendre le propos du livre, comme pour mieux en entériner le verdict.
Retour à Reims [fragments], film essai de Jean-Gabriel Périot (Fr.,2021, 83 rnin) Arte
avec la voix d’Adèle Haenel. Disponible en replay sur Ante.tv. jusqu’au 28 mai 2022.
Source Le Monde du 23/11/2021