— Par Nathalie Louisgrand (*) —
Chaque année, en France, ce sont près de 7 milliards de repas qui sont pris au restaurant. Or, depuis quelque temps déjà, dans un contexte prégnant de crise environnementale, les Français s’interrogent sur leur alimentation : ils souhaitent davantage savoir ce qu’ils consomment et visent une restauration plus durable. Alors que débute la semaine européenne du développement durable, à quoi ressemblent les quelques centaines de restaurants écoresponsables de l’hexagone ?
Les restaurateurs écoresponsables ont repensé leur façon de travailler afin de l’inscrire dans une démarche beaucoup plus durable. Ainsi, au niveau environnemental, l’accent est essentiellement mis sur la réduction de l’empreinte carbone avec l’utilisation de produits locaux, si possible biologiques et de saison ; l’offre de plats végétaux, la limitation du gaspillage alimentaire ; la réduction, le tri et le recyclage des déchets ; la réduction de la consommation d’eau ; l’utilisation d’emballages durables ; l’offre de doggy bags ; le don des produits non consommés à des associations.
Impacts environnementaux et sociétaux
Ces actions sont importantes dans un pays où le gaspillage alimentaire et les pertes en général atteignent 10 millions de tonnes de produits par an. Il s’agit d’un immense gâchis de ressources naturelles (terres arables et eau) mais aussi une production inutile de gaz à effet de serre (3 % des émissions nationales selon l’ADEME). Or, la restauration est l’un des secteurs les plus impactés par le problème du gaspillage tout particulièrement en ce qui concerne les produits non consommés et la gestion des déchets.
Les actions écoresponsables se jouent aussi au niveau sociétal. Ainsi, pour les restaurateurs écoengagés, il est important de former leur personnel au développement durable pour qu’il se sente impliqué et qu’il y participe pleinement. Si ces initiatives sont individuelles et encore peu nombreuses, l’espoir est placé dans les écoles de cuisine comme Ferrandi ou Lyfe Institut qui sensibilisent leurs étudiants à l’écoresponsabilité.
D’autre part, mettre en avant ses engagements durables pour les restaurateurs favorise l’attractivité de l’établissement, la fidélisation des équipes et limite ainsi le turn-over dans un secteur souvent confronté à une réelle pénurie de main-d’œuvre. En effet, pour de nombreux employés et tout particulièrement les plus jeunes, l’engagement écoresponsable d’un restaurant est une garantie de trouver un établissement en phase avec ses valeurs écologiques.
Chiffres nationaux du gaspillage alimentaire. Crédit : ADEME.
Restaurant écoresponsable : l’importance grandissante des labels
Depuis quelques années, des labels sont apparus pour accompagner et valoriser les engagements et les implications des restaurateurs dans le développement durable. Ces labels sont de plus en plus nombreux avec par exemple le label FIG (Food Index for Good), le Green Food, le titre de Maître restaurateur de France, la « plastic-free certification », etc. Le label Ecotable, créé en 2019, est le premier de restauration durable en France. Il émane de l’association du même nom. Il permet à tous les types de restaurateurs de s’engager dans l’écoresponsabilité en mesurant leur impact environnemental et en les accompagnant dans leurs démarches écologiques.
Ce label mesure la cohérence écologique des restaurants et délivre un, deux ou trois écotables en fonction de leur degré d’écoresponsabilité. Pour en obtenir un, le restaurateur doit respecter les saisons, proposer au minimum 15 % de produits issus de l’agriculture bio ou de filières agricoles durables. Pour deux écotables, on monte à 30 % de produits bio et à 50 % pour trois. Les critères de saisonnalité des produits, de tri, de valorisation des déchets, de choix de producteurs ou encore de propositions d’alternatives végétariennes font aussi partie du cahier des charges. Aujourd’hui ce sont environ 250 restaurants en France qui sont labélisés, parmi lesquels le restaurant l’Aiguillage à Grenoble, qui détient trois écotables et qui propose une cuisine saine, locale et soucieuse de l’environnement.
Même les guides s’intéressent à l’engagement écoresponsable des restaurants
Le guide Michelin a lui aussi décidé, en 2020, de prendre en compte l’engagement écoresponsable des restaurants figurants dans son guide (assiettes Michelin, Bib gourmands et étoiles Michelin) en créant l’étoile verte.
Pour se voir attribuer [l’étoile verte], il faut montrer un fort engagement dans une approche durable de la gastronomie, avec le respect de la terre, des saisons, des animaux, mais aussi offrir une cuisine plus verte, avec l’utilisation de produits locaux et bio, une bonne gestion des déchets ou encore de bonnes performances énergétiques.
Cependant, à ce jour, seuls 90 restaurants la détiennent, parmi lesquels le chef isérois deux étoiles Christophe Aribert de la Maison Aribert. Ce chef, au très fort engagement écoresponsable, respecte entre autres « les saisons, les produits de saison, les produits locaux et les gens qui les produisent. » Il détient d’ailleurs aussi trois écotables et la « plastic-free certification ».
Seulement 0,2 % des restaurants sont écoresponsables
Si on assiste à une prise de conscience générale des enjeux de la durabilité de l’alimentation, aussi bien par le grand public que par les professionnels, la situation n’est cependant pas encore idyllique.
En effet, on ne trouve en France que quelques centaines de restaurants écoresponsables – principalement à Paris – dans un pays qui compte environ 175 000 établissements selon l’Insee, soit environ 0,2 % des restaurants, ce qui est minime. Ensuite, les labels servant à les identifier ne sont pas toujours très clairs pour des clients qui ne savent pas forcément les reconnaître. De plus, ces labels émanent essentiellement d’initiatives privées et supposent une adhésion en contrepartie.
Même si l’engagement de la plupart des restaurateurs qui souscrivent à ces labels ne fait aucun doute, on pourrait se demander, tout comme Le Parisien, si le niveau de garantie est le même que celui qui pourrait être apporté par un référentiel officiel doté d’un cahier des charges transparent, validé par les pouvoirs publics et audité par un organisme indépendant.
Les risque du greenwashing dans la restauration
D’autre part, on peut s’interroger sur une éventuelle forme de greenwashing même dans certains restaurants labellisés. S’il n’est nullement question de remettre en cause les différents labels, une étude faite dans les restaurants détenteurs de l’étoile verte a relevé des incohérences avec le modèle écoresponsable.
Les enquêteurs se sont, par exemple, rendus compte que certains produits n’étaient pas locaux ou que l’impact carbone des assiettes n’était pas toujours respecté (de la viande de bœuf était parfois proposée.) Selon eux, dans ces restaurants, les produits bovins, bovidés, les crustacés, le chocolat et le café devraient être proscrits.
Restaurant écoresponsable : de réels freins financiers
Un autre frein au développement des restaurants écoresponsables est d’ordre financier. En effet, de nombreux professionnels estiment que mettre en place des pratiques de développement durable dans leur restaurant par exemple une restauration bio et locale est très intéressant mais que cela coûte plus cher que d’utiliser les produits habituels. Les clients ne sont pas toujours prêts à payer plus et le risque pour le restaurant est une réduction de la rentabilité. Voilà pourquoi ils aimeraient pouvoir obtenir des aides et des subventions.
D’autre part, tous les restaurants n’ont pas la place pour produire leur compost ou pour avoir plusieurs poubelles dans leur cuisine. Enfin, un restaurant milieu de gamme n’aura sans doute pas les mêmes moyens financiers, ni les mêmes retombées économiques qu’un restaurant étoilé s’il souhaite devenir écoresponsable.
Malgré l’engouement pour une alimentation durable, les restaurants écoresponsables semblent avoir du mal à se développer en France. Pour l’heure, il n’est pas si simple que cela pour les restaurateurs de s’engager dans cette démarche, d’autant plus que cette dernière coûte cher.
À propos de l’autrice : Nathalie Louisgrand. Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Source : WeDemain