L’école publique et laïque, une institution singulière par ses origines, en Martinique
— Par Yvon Joseph-Henri —
L’école en France, et donc en Martinique en particulier, est gratuite, obligatoire et ouverte à tous selon la loi Mitterrand de 1989 qui n’est qu’un prolongement de l’école de Jules Ferry.
En Martinique, l’école est issue de luttes importantes à Saint Pierre pour obtenir de descendants d’esclaves noirs, la création d’écoles privées laïques malgré les résistances violentes des fiefs religieux comme le couvent de Cluny, et les frères de Ploërmel. Par la suite, à Fort-de-France, avec la reconstruction du lycée Schoelcher détruit à Saint Pierre par l’éruption de la Montagne Pelée, mais aussi par la mise en place du Pensionnat colonial, et même une formation juridique, l’école publique, plébiscitée par Joseph ZOBEL, a connu son heure de gloire.
C’est dire l’importance de l’école publique pour les Martiniquais, à la fois source d’émancipation de nos esclaves libérés, mais aussi source d’aspiration à la liberté, l’égalité, la fraternité.
Fallait-il remettre en cause les principes fondamentaux de l’école et de la République ?
Aujourd’hui, c’est gravement que monsieur le Recteur et monsieur le Préfet, vous détruisez ce pacte.
Monsieur le Recteur, en considérant que vous mainteniez ouverts les établissements scolaires, vous preniez implicitement la responsabilité d’en maintenir les principes de gratuité, d’égalité, de d’obligation ; et votre décision, validée par monsieur le Préfet implique la même responsabilité de sa part.
Or, en étant incapable d’instaurer un fonctionnement de l’école identique partout, qui assure une formation obligatoire pour tous les élèves, vous détruisez le pacte républicain de l’école pour tous. Le virus a bon dos et nous n’acceptons pas cette situation.
L’école n’est ni un commerce, ni une salle de cinéma, en temps de Covid !
En effet, en supprimant les cantines, vous mettez en difficulté les familles modestes qui ont déjà payé d’avance – pour ce mois et le prochain – les repas de leurs enfants. Tant pis direz-vous, ce n’est pas le domaine de l’Education nationale…Et pourtant, ce ne fut pas toujours le cas !
Qu’on le veuille ou non, vous contribuez à l’accroissement des inégalités des enfants, que vous voulez justement combattre en laissant les écoles, collèges et lycées ouverts. Du fait de l’inégalité sociale des familles, certains enfants auront au mieux un maigre sandwich, à manger sur le trottoir de l’école primaire quand d’autres – parce que, professionnellement, socialement ou par chômage, un parent au moins sera disponible le midi – seront pris en charge à l’heure méridienne. En somme, nous revivrons un remake de la rue Case Nègre …
Du fait de la ½ jauge dans le second degré, du fait de la fermeture des cantines lieux de propagation du virus, et du fait des moyens exsangues en personnel de vie scolaire pour surveiller les élèves, et en l’absence de mobilier d’extérieur, il est plus confortable pour un chef d’établissement de gérer son établissement sans distribution de repas. De là un système de ½ jauges en alternance le matin ou l’après-midi selon les semaines et les jours pour n’avoir d’élèves qu’en deux demi-journées. Sauf qu’en Martinique, se posent le problème des transports scolaires, celui aussi des parents qui devront déposer leur enfant et les reprendre en un laps de temps relativement court interdisant tout travail sur cette période.
L’obligation scolaire, le pacte d’égalité, le droit à la formation : conques de lambis vides !
L’absentéisme, on s’y attend, sera massif, en contradiction avec l’égalité de traitement et d’obligation d’assiduité scolaire. Quant à la liberté d’aller en classe, comment veut-on que des parents puissent jongler entre un emploi difficile du fait des distances, des embouteillages, des contraintes sanitaires, et des enfants répartis entre des établissements et des niveaux différents ? Il ne peut donc plus y avoir de droit à l’éducation et cela en Martinique où le taux de chômage de notre jeunesse est scandaleusement important. Et on voudrait que cette jeunesse ait une chance de s’en sortir ?
Cette situation discriminante et de rupture d’égalité au sein même de l’école qui se doit d’être le creuset républicain de nos sociétés est scandaleuse.
Réorganisée dans le temps et l’espace scolaire, l’école publique se jouera de la pandémie.
Qu’est-ce qui interdisait aux maires, du côté des écoles primaires et maternelles, de livrer des plateaux-repas individuels ou des boîtes de polystyrène de repas (froid ou chaud), à manger sur le pouce par les enfants en cour de récréation ?
Idem pour la CTM, en charge du 2nd degré, on ne l’a même pas entendu imaginer comment elle pourrait fournir des repas individuels dûment protégés de toute bactérie pour permettre aux lycéens de se sustenter.
De deux choses l’une, ou l’école est ouverte… ou elle est fermée ! Et si elle est fermée, l’enseignement à distance créera moins de dégâts qu’aujourd’hui, surtout pour 3 semaines !
Yvon JOSEPH-HENRI
Président de l’association des Consommateurs et des Citoyens de la Caraïbe (A3C)
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