François Bourcier, passé par la Rue Blanche et le Conservatoire, est un comédien talentueux. Très talentueux. Il en faut, en effet, du talent pour endosser à un rythme effréné vingt-quatre personnages différents (si nous avons bien compté) et une dizaine de costumes, pendant presque deux heures d’horloge, sans jamais une hésitation, encore moins une erreur. La pièce approche des cinq cents représentations : autant dire qu’elle est rodée. On n’en admire pas moins le réglage au millimètre jamais pris en défaut. Car il faut changer d’allure, de ton, d’accent en fonction de chaque nouveau personnage tout en manipulant sans se tromper les costumes et les accessoires.
Les costumes à la mode des années quarante pendent des cintres. Si bien que la scène est remplie, sinon peuplée, au moment où le spectacle commence. Il faudra les enfiler, ces costumes, et par un mouvement des épaules les décrocher de leurs chaines puis se mettre aussitôt à jouer, et chaque fois sur un registre différent. Il s’agit de résistance, de risque, donc de mort pour beaucoup. Les héros le plus souvent anonymes qui se présentent à nous connaissent tous, ou presque, le même sort : une balle et c’est terminé. Sur la scène, le comédien s’effondre. Aussitôt à terre, il se débarrasse de sa tenue et il en profite pour attraper un accessoire qui s’y trouvait dissimulé, ce qui lui permet d’enchaîner sur autre chose, sans qu’il ait besoin de revêtir immédiatement un autre habit. Tout cela témoigne d’une virtuosité qui laisse pantois. On a à peine le temps de s’habituer à un personnage que l’on est confronté au suivant. Donc bravo, bravo, bravo au comédien et à la metteuse en scène Isabelle Starkier.
La musique, la lumière jouent également leur rôle. De la fumée envahit la scène, qu’on imagine produite par la poudre des fusils. La bande son est particulièrement étudié avec le retour de la 5ème symphonie de Beethoven comme un leitmotiv.
Le message est clair, sartrien en diable. Le titre l’exprime à la perfection : Résister c’est exister. Mais il y a de multiples façons de résister et c’est tout le propos de cette pièce. L’auteur, Alain Guyard, est allé chercher des témoignages des sans grade, au Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon, en particulier. C’est à partir de ces témoignages réels qu’il a conçu un texte vraiment écrit pour le théâtre. La plupart des personnages sont d’abord émouvants ; certains sont drôles. La plus touchante est sans doute cette maman, membre des FTP-MOI (mouvement des francs-tireurs et partisans – main d’œuvre immigrée) qui explique à sa fille pourquoi elle prend le risque de la laisser orpheline et de transporter les armes des francs-tireurs attentats : c’est qu’elle préfère mourir en combattant que de léguer à sa fille un monde envahi par la peste brune.
Tous les personnages sont attachants d’une manière ou d’une autre. On retient, parmi d’autres, le proviseur qui s’efforce de calmer le zèle de l’un de ses professeurs par ailleurs milicien, le mineur en grève, et encore, dans le registre fantaisiste, clownesque, l’assimilation du nazisme à une maladie nerveuse provoquant des tics irrépressibles. Et c’est bien l’une des images que nous gardons aujourd’hui d’Hitler, celle du pantin ridicule, à côté de celle évidemment moins drôle du tyran diabolique enfermé dans sa folie meurtrière.
Ce qu’il y a d’ennuyeux avec les critiques, c’est qu’ils trouvent toujours quelque chose à critiquer. Or il y a une sensible baisse de régime dans les trois dernières séquences du spectacle, qui ne s’accompagne pas pour autant d’une montée de l’émotion. Le personnage de la femme roumaine chargée de la « démoralisation » des troupes allemandes n’est guère convaincant. L’apparition de Joseph Kessel, auteur du chant des partisans, qui, depuis Londres, appelle les résistants à ne plus se contenter des attentats isolés mais à franchir l’étape de la guerre intérieure, fait sentir cruellement la différence entre la condition de l’intellectuel, finalement bien à l’abri, même quand il a choisi le camp gaulliste, et celle des résistants qui font le sacrifice leur vie. Enfin la dernière séquence – introduite spécialement pour faire écho à la tragédie récente qui a coûté la vie aux journalistes de « Charlie », des « résistants » à leur manière – qui rappelle l’existence d’une presse clandestine pendant l’occupation, fait apparaître là encore bien modéré l’engagement de ceux qui y contribuèrent quand on les compare à tant d’autres qui sont morts dans l’obscurité.
À Fort-de-France, au Théâtre municipal, les 22, 23 et 24 janvier 2015.