— Par Roland Sabra —
Deux documentaires à propos de personnages haïtiens ce samedi 8 janvier 2022 à Tropiques-Atrium : René Depestre et Ymelda. Deux portraits que presque tout oppose. A tout seigneur tout honneur, d’abord Depestre. Il fallait pour un tel monument un cinéaste à la hauteur du sujet. Qui d’autre qu’Arnold Antonin pouvait y prétendre ? Le cinéaste haïtien, couvert de récompenses internationales, de distinctions pour l’ensemble de son œuvre, auteur en 1974 du célèbre «Haïti, le chemin de la liberté » retrace en deux heures une biographie passionnante d’un amoureux éperdu de la vie. Écrivain, il a reçu le prix Renaudot pour son roman « Hadriana dans tous mes rêves » et le Goncourt de la nouvelle pour « Alleluia pour une femme jardin », citoyen du monde engagé il a fréquenté, rencontré, discuté, bataillé, travaillé, entre autres, avec André Breton, Gérald Bloncourt, Aimé Césaire, Leopold Sedar Senghor, Édouard Glissant, Pablo Neruda, Jorge Amado,Che Guevara, Hô Chi Minh et Mao Zedong, Heberto Padilla. C’est à propos de l’incarcération et du procès que le régime castriste intente au poète cubain qu’il est écarté du pouvoir, « relégué à l’université de La Havane où il doit donner des cours à des policiers déguisés en faux étudiants : « Ma chaire était une fausse chaire et j’étais un faux professeur qui s’adressait à de faux étudiants. » Placé én résidence surveillée par Fidel Castro, il parvient à s’échapper, s’installe à Paris, travaille à l’UNESCO et finit après avoir été vécu en Haïti, en France, en Tchécoslovaquie, en Argentine, au Chili, au Brésil à Cuba par s’installer, définitivement(?) Lézignan-Corbières dans le département de l’Aude, après avoir pris la nationalité française.
Arnold Antonin peint, à travers René Depestre, le tableau d’un humaniste, profondément universaliste, épousant pleinement les causes sociales et politiques du lieu dans lequel il se trouve, par choix ou par contrainte. Son identité est construite des valeurs politiques, sociales et esthétiques qu’il porte au plus profond de lui et qui sont supérieures à toute contingence. S’il a peut-être soufflé à l’oreille de Glissant : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde » c’est qu’ils ont été proches en travaillant à l’émergence du concept de « créolité », pensé comme un dépassement de celui de négritude, susceptible d’être utilisé dans une vision essentialiste. Maryse Condé, lors d’une conférence à la mairie de Schoelcher il y a quelques années dira la même chose sous autre forme : « Nos racines sont là où l’on est ».
Ymelda dans le film de Laure Martin Hernandez semble entendre la phrase de Maryse Condé comme « Nos racines sont là on l’on naît » ! Les belles images d’arbres fromager de la réalisatrice en sont une illustration. Ymelda semble être à la recherche d’une identité « originelle » dans un retour aux sources. Le film pourrait être vu comme une illustration du fantasme originaire de retour dans le ventre maternel. Dépendance… Freud, mais surtout R.D. Laing ont beaucoup écrit sur ce sujet. Ymelda veut se convertir, retrouver une essence perdue, un passé dans le quel la place des femmes était plus valorisée, un temps d’avant le monothéisme ce sous-produit du patriarcat. Le medium emprunté est celui du vaudou (Depestre a été initié par sa mère) qui conduisait dans un premier temps du coté du pays natal de la chanteuse, Haïti. Mais le vaudou haïtien est le produit d’un double syncrétisme, le premier entre différentes cultures africaines et le second entre ce vaudou africain « initial » et la culture occidentale. C’est vers le Royaume du Dahomey que les pas d’Ymelda vont finalement la mener, plus exactement le Togo en l’occurrence. Elle affirme « J’ai toujours dit que j’étais Togolaise ».
Le regard de Laure Martin Hernandez sur ce cheminement est si proche et si respectueux de la démarche de son amie qu’il en perd toute distance. Il refuse, bien sûr de se faire critique, de le questionner, de le mettre en perspective et il colle tellement à la narration, au parcours empreint de mysticisme qu’il n’y a pas beaucoup de place pour un autre regard, celui d’un tiers séparateur, en un mot celui d’un spectateur. La trop grande proximité affective que Laure Martin Hernandez (j’avais écrit Laure Martin Ymelda!!) entretient dans ce travail avec son amie chanteuse nuit à la possibilité d’une extériorité, d’une adresse à son propos. C’est très surprenant de sa part, surtout après avoir vu ses derniers travaux comme les très réussis et très émouvants « Scolopendres et Papillons » ou » Amazones, l’art de revivre ».
Fort-de-France , le 09/01/22
Roland Sabra