En tournée en Guadeloupe et en Martinique. Dates ci-après.
—Vu par José Alpha —
(Photo de J. Alpha)
C’est en recevant la violence qui émane de la scène finale de la pièce « nous étions assis sur le rivage du monde « de José Pliya, mise en scène efficacement par Nelson Rafael-Madel pour la Cie Théâtre des deux saisons, donné au Théâtre de la Ville à Fort de France ce 13 février dernier, que j’ai réalisé la relation filiale et poétique avec « Une tempête » d’Aimé Césaire.
Et le reback du déroulement dramaturgique proposée par Pliya dans un style très fin et progressif, permet de comprendre les origines de son inspiration. « Je vais te battre, te battre avec mon sexe, avec mon corps … » dit l’homme dérangé sur « sa » plage, son ile, son univers protégé des démons sociaux et économiques, par cette « femme » blanche têtue qui tient à retrouver le lieu où elle a connu l’insouciance bienheureuse de son enfance. Mais le monde a changé et les traces de l’enfance ont disparu dans les ressacs de la mer.
La plage est aujourd’hui vierge, mais occupée par un unique propriétaire, l’homme ( Jean –Christophe Folly) chez Pliya, et « Caliban» sous la plume de Césaire. L’homme, le nègre, le violent, l’insoumis, le rebelle.
La pièce de Pliya commence par cette chanson « obscène » grattée à la guitare par un grand nègre sur la plage que le spectateur est forcé de considérer comme son royaume. Une chanson paraphrasée, étonnement retrouvée à l’acte 3 scène 3 de Une Tempête, qui réside dans les symboles qui s’y rattachent. D’abord l’indécence des paroles qui surprennent dès l’ouverture, fait du chanteur un être discourtois, en rupture de savoir-vivre, une espèce d’Eshu maitre et protecteur du lieu. Un lieu vierge que les auteurs (Pliya, la plage et Césaire, l’ile) décrivent durant toute leur dramaturgie respective comme l’espace convoité à l’écart de toute civilisation. Un lieu étrange placé entre terre et mer, entre deux infinis, hors de portée des velléités civilisatrices qui détruisent, domestiquent et esclavagisent. La femme blanche (Emmanuelle Ramu) qui survient de la salle, rappelant Miranda chez Césaire, dérange l’inspiration poétique du nègre par son insistance à vouloir s’y baigner en attendant des amis manifestement en retard. Elle dérange tellement qu’elle pollue l’environnement avec tout ce qu’elle porte sur elle, et en elle. Elle est indésirable et doit s’en aller.
Le nègre projeté dans ce huis clos à ciel ouvert, n’a pas le coup de foudre pour la femme blanche qui apparait devant lui. Lui la force tranquille, retiré du monde pour retrouver son âme d’ascète, se considère humilié par le refus que lui oppose cette femme de rebrousser chemin, à l’image des colons qui s’accapare les lieux sacrés et les richesses des indigènes pour les exploiter. Il est en danger d’asservissement, d’expropriation voire de marginalisation par cette intrusion dont il refuse tout ce qu’elle représente de culture, d’attirance et d’humanité.
La tragédie de Pliya donne à voir notamment sur fond de conflit de propriété, l’insécurité sur les plages isolées du monde, les relations de domination vengeresse et réparatrice, pensent encore certains « black », à imposer aux femmes blanches, et puis l’agoraphobie des lapidés par les sociétés dominatrices et dépersonnalisantes.
Obstinée « de savoir pourquoi la plage lui est interdite » par ce type, malgré les insistances de ses amis (Daniely Francisque et Guillaume Malasné) qui l’ont rejointe entretemps, terrorisés par les dangers auxquels elle s’expose en demeurant dans les lieux, la femme blanche répondra par une gifle à la gifle du sauvage. Elle l’affrontera courageusement pour se défendre, bien sur, mais aussi pour défendre les valeurs de liberté, d’émancipation et de souveraineté (royale) qui la constituent.
La riposte du nègre est claire. La punition par les coups et le sexe : « Je vais te battre, te battre avec mon sexe, avec mon corps … je vais te battre jusqu’à n’en plus finir » (Eshu joue un tour à la reine, sa majesté perd la tête, la voila qui se lève et dans la rue sort nue(…) du désordre il fait l’ordre, de l’ordre le désordre (… ) de son pénis il frappe, il frappe, il frappe ….)
La violence de la lutte qui s’ensuit met en évidence, à l’étonnement du spectateur, la sensualité des deux personnages qui s’agrippent. Alors qu’elle semblait le détester, la femme, comme Miranda symbolise la fécondité, la fertilité dans ce désert, sera « dominée » par la brute qui s’apprête à la violer. Elle doit subir la punition du pénis pour avoir transgressé la loi de la propriété comme Eshu possède la reine contre sa volonté.
Alors que tout semble fini pour elle, la scène de viol est interrompue par un coup de pied dans les parties de l’agresseur. La femme blanche prend le dessus et on assiste au renversement de la situation. Le bourreau est dominé physiquement et sexuellement.
Il rampe au pied de la femme lui implorant l’amour qu’il n’a jamais eu, comme le serpent se refait pour atteindre sa proie. Est-il convaincant ? Le spectateur a-t-il pitié de lui ?
C’est du reste à la fin de la pièce que la mise en scène perd d’intensité. Le choix de l’ambigüité de l’affrontement entre désir et répulsion, orgueil et compassion, attirance et rejet, dessert l’étreinte finale à laquelle on assiste dans la mer où les adversaires sont entrés.
L’auteur ou le metteur en scène, comme Dionysos, ont-ils voulu rendre inaccessible l’apaisement d’un partage constructif (de la plage, de l’amour), même de circonstance? Est-ce pour s’émanciper des codes de la tragédie que les auteurs choisissent de torturer à l’infini ce pauvre nègre et cette touchante femme blanche? En fait, sont ils faits l’un pour l’autre ? La méritait-il ? Le méritait-elle ? Qui sait ?
Les acteurs sont bons. La dynamique théâtrale est nette et stimulante. Le théâtre de situation est bien porté.
Le nègre : Jean –Christophe Folly
La femme : Emmanuelle Ramu
Les amis : Daniely Francisque et Guillaume Malasné
19 février au centre culturel de Sonis en Guadeloupe
21 février au Musée de la Pagerie au Trois-Ilets
22 février au Centre culturel de rencontre de Fond Saint-Jacques à Sainte-Marie