Reminiscencia , théâtre Puente
Texte, m.e.s., video Malicho Vaca Valenzuela
— Par Dominique Daeschler —
Assis devant son ordinateur sur une petite table dans un coin du plateau, grand écran blanc en fond de scène Malico Va Valenzuela raconte, commente les images, les films qu’il a conçu pendant le confinement sur son quartier de Santiago du Chili.
Souvenirs mis en boîte, appel à témoignages de gens du quartier via les réseaux sociaux, utilisation de Google earth pour les cartes et le parcours narratif, la démarche de Malicho n’ a à priori, rien de théâtral.
L’ambition première est de creuser l’histoire du Chili en créant des strates géographiques, en partant d’un quartier central d’où partent les rassemblements politiques, les manifs contre les dictatures. Dans ce quartier, l’auteur-metteur en scène vit tout comme ses grands-parents héros de Riminiscencia, s’évadant de la pauvreté, de l’absence de droits par la chanson. La vie de tous les jours est donnée à voir : le grand père dans son atelier avec ses cinq radios ( peur d’une panne donc plus de musique), la grand-mère Alzheimer dans ses couvertures; les histoires s’entrechoquent se superposent avec la place de la révolution symbole de la résistance , de la disparition de beaucoup de chiliens sous la dictature : les plaques au sol sont comme autant de tombes, de trappes, taguées par des messages d’amour. On se prend à penser qu’elles ouvrent sur d’immenses catacombes. La grand-mère chante, Malincho explique d’une voix calme la vie cachée du quartier : les petites gens qui subliment tout par le chant, la colère qui gronde sur la place. Cette dissociation-complémentarité est exprimée dans la façon d’utiliser la vidéo. L’émotion surgit, l’objet numérique devient un objet scénique qui entre en dialogue avec le récitant. Il nous engage, à notre tour, nous fait entrer dans l’image : sur la place, dans la rue, chez les grands parents ce pourrait être nous. C’est net, sans fioriture. Du théâtre ? Un objet théâtralisé sûrement.
Dominique Daeschler
Zoé, texte et m.e.s. Julie Timmerman, Cie Idiomecanic
— Par Dominique Daeschler —
Bien sûr que les fées se sont penchées sur le berceau de Zoé qui n’a pas la langue dans sa poche. D’ailleurs Papa et maman veillent au grain : Zoé sera une enfant modèle mûre avant l’heure, une mademoiselle je sais tout , suroccupée : quand elle n’a pas piano elle a danse etc…
Mais papa contrôle tout, pas le droit d’oublier un cours ! Papa est génial et bizarre, il rit puis pleure, coure partout avec une épée de théâtre quand il répète : papa est bipolaire. Cerise sur le gâteau : papa et maman sont comédiens, l’imaginaire et le sens du rôle sont le quotidien.
C’est bien d’entrer de plein pied dans l’Anneau des Nibelungen mais c’est encore mieux d’avoir ce nouveau copain d’école Victor pieds sur terre et addict des petites cartes qui s’échangent.
Zoé a beau lever le petit doigt pour arrêter papa, ça ne marche plus. Papa ne prend plus ses médicaments. Tout se bouscule, maman s’en va …Encore un peu de ventoline, Zoé, fais encore une liste et pourquoi pas une liste des listes. A son tour Zoé devient comédienne, papa encense puis démolit. Alors il faut trancher, s’éloigner de cet amour toxique, tuer le père.
Le récit est souvent haletant, alternant le sens de l’observation des enfants et le besoin de raisonner, de mettre de l’ordre .Être entre le rire et les larmes crée un plateau vibratoire, en tension, jouant sur la mise en danger. La quête de Zoé est chevaleresque, chaque obstacle est une initiation à devenir soi.
De ce travail exigeant de mise en abîme, le spectateur sort secoué. Au-delà de la résilience, la transcendance qu’apporte l’Art est graine d’espérance.
Prends garde à toi, texte et m.e.s. Jeanne Béziers, Macompagnie
— Par Dominique Daeschler —
Dans le jardin sauvageon du Musée Vouland, sur les marches de l’hôtel particulier, prend vie ,à la nuit tombée, une production singulière, concoctée par le Relais des Possibles hôtel maternel , centre d’hébergement et de réinsertion sociale d’Aix en Provence. C’est à partir de femmes résidentes et d’un intérêt pour le personnage de Carmen, découvert lors d’ateliers de chant lyrique que naît le projet confié à une compagnie professionnelle .
L’autrice metteuse en scène va mêler les parcours de femmes livrées aux violences , aux discriminations à une vision d’une Carmen revisitée. Alternant l’histoire de Carmen telle qu’elle est décrite dans l’opéra de bizet et les récits de vie de Malika et d’Aissatou ( jouées par des comédiennes chanteuses) , tour à tour Carmen, tout est bousculé.
Sont évoqués le mariage forcé, le viol, les coups, l’enfermement, l’exil, le poids de la famille et ce sentiment d’être rien Et Carmen ? elle tranche parmi les autres cigarières, elle est « d’ailleurs », gitane, sans famille, elle fait l’objet de discriminations. Sa liberté de parole et de vie est d’abord une révolte, une résistance à la pauvreté. Carmen »bidouille », se débrouille ,tous les moyens sont bons. La relecture ne donne pas la priorité à ses histoires sentimentales mais à un cheminement personnel vers la liberté, l’indépendance. Le parallèle avec Malika et Aissatou s’impose.
C’est joué, chanté sans pathos , la metteuse en scène ayant judicieusement confié les rôles à des professionnels pour avoir la bonne distance. Les musiciens ( batterie, piano, composition) font plus que tenir la route. Clin d’œil pour les costumes : au départ chacun et chacune portent un long imperméable à la Colombo qui appelle un côté polar …Humour : retournés ces impers deviennent robes à volants, uniforme, matador.
C’est enlevé, rythmé par un sens du dialogue. La réalité de femmes qui ont eu le courage de partir, d’entrer en liberté comme on entre en dignité laisse l’héroïne de fiction sur le carreau.