— Contribution au débat de Philippe Pierre Charles avec Philippe Jock, Christian Louis- Joseph et Danielle Laport.—
Quid d’ un « plan de relance économique » et de lutte contre les inégalités sociales ?
Martinique 1ère vous a choisis, madame et messieurs, pour répondre à l’invitation de la CCIM de débattre sur un « plan de relance » de l’économie de la Martinique . Danielle LAPORT l’a dit: c’est lorsque la tempête menace ou que le navire prend l’eau que les milieux dirigeants songent à s’informer de l’avis du peuple et de ses organisations ! maléré pa ni gro tjè ! on peut donc malgré tout se prêter à l’exercice en pensant surtout à la nécessité pour le mouvement des masses à affûter les outils de sa propre intervention dans un domaine qui concerne ses intérêts immédiats et à plus long terme.
Il est positif que la question des inégalités sociales soit décrite par deux d’entre vous surtout comme un frein au développement mais les pistes avancées pour agir en la matière sont à la fois maigres et bien conventionnelles. Il s’agirait d’un côté d’augmenter le pouvoir d’achat pour relancer la consommation et donc l’économie et de l’autre d’ attirer l’épargne de la petite bourgeoisie pour l’injecter dans l’économie telle qu’elle est, en la modernisant quelque peu évidemment. Ces recettes sont loin de prendre en compte la crise grave du modèle civilsationnel dont tout, depuis quelques dizaines d’années, montre la faillite indiscutable chez nous comme à l’échelle mondiale.
Nous avons écrit ailleurs que l’urgence de notre survie en tant que peuple coincide avec l’urgence des enjeux mondiaux pour la survie de l’humanité. C’est à partir de ce constat autrement plus crucial que la restauration du profit de quelques uns (même pour la distribution plutôt chiche de maigres salaires de celles et ceux qui en ont un) qu’il faut poser la question de la politique à mener. Il n’y a aucune chance de sortir de la double urgence citée plus haut sans une rupture qui prenne en compte ensemble la question sociale des inégalités, la question écologique du climat et des écosystèmes, la question politique de la démocratie c’est-à-dire de l’auto administration des peuples.
Partant des propos de Macron soi-même nous dirons que nous sommes en guerre contre le chômage, l’exclusion, la dépendance, le délitement social, l’empoisonnement au chlordécone et aux sargasses, la recolonisation de peuplement, le mépris raciste, le changement climatique. Où est l’audace correspondant à cette situation ? En guerre on mobilise les moyens financiers en décidant par exemole l’emprunt forcé pour les grosses fortunes et les bons du trésor pour intéresser les petits épargnants. Ces moyens potentiellement considérables seraient de peu d’intérêt si ce sont les règles du marché qui en dictaient l’affectation. Dans ce cas en effet, ils s’orienteraient vers ce qui est juteux à court terme et non vers ce qui est utile socialement et responsable écologiquement. Cela conduirait au retour de ce qui est, c’est-à-dire à une économie distordue, dépendante, polluante. Les fonds à mobiliser pour le développement devront au contraire l’être sous la conduite de l’intérêt public, pour le bien du plus grand nombre et des générations futures, c’est-à-dire à partir de choix politiques démocratiquement décidés. Ce sont les Collectivités publiques Martiniquaises qui doivent prendre la commande et mobiliser les moyens et les énergies vers les tâches indispensables d’aujourd’hui.
Les urgences de la population s’exposent à l’évidence
Pour que le bien précieux de l’eau soit mis à la portée de toute la population, il faut un vaste plan de réparation des équipements, de modernisation des installations sous l’égide d’un service public unifié de l’eau libéré des prédateurs des sociétés multinationales.
Pour une transition énergétique soi disant promise à une échéance de 30ans (il y a déjà quelques temps) par le pouvoir central, il faut un plan audacieux de photovoltaique, d’ éolien, de géothermie qui suppose des moyens importants pour le bien du plus grand nombre et pour le climat mais dont on ne saurait attendre des profits colossaux à court terme.
Pour une agriculture qui nous sauve du chlordécone, des importations massives et rarement exemptés de pesticides, nul besoin de répéter les 52 revendications soigneusement élaborées par le mouvement social qui révolutionnerait notre alimentation et partant notre santé en créant de nombreux emplois.
A ces mesures il faudrait ajouter une distinction entre les terres en friches à mettre à disposition des agriculteurs/trices sans terre : les petits propriétaires doivent faire l’ objet d’un dédommagement raisonnable (ce qui ne peut être le cas des grands propriétaires). Ceux-ci par ailleurs devraient être soumis au contrôle populaire, public et citoyen pour l’usage fait de leurs terres afin de garantir là aussi, la part nécessaire à l’agriculture nourricière Pas de poules aux œufs d’ or à en attendre pour quelques uns mais un bien commun justifiant la mobilisation de l’argent public.
Pour une pêche enfin équipée de moyens suffisants pour la pêche en haute mer hors des zones polluées au chlordécone, il faut aussi urgemment s’engager en lien avec les premiers concernés.
La mise aux normes antisismiques et anticycloniques du bâti tant public que privé, la politique du logement pour le plus grand nombre sans dilapidation du foncier, les travaux de préservation des littoraux, le curage des cours d’eau, la protection des espaces et des sites sont des chantiers indispensables à ouvrir sans délai à une échelle en rapport avec le risque collectif que nous courrons et avec la fragilité de nos milieux tropicaux. Cette politique forcément coûteuse se passera volontiers des dépenses de prestige basées sur l’esbroufe et la vanité ostentatoire.
Les transports publics doivent nous faire sortir du cauchemar ubuesque d’aujourd’hui : encombrements délirants de la circulation, pollution atmosphérique, gaspillage de temps, facture pétrolière. Un transport public gratuit, rationnel, répondant aux besoins en particulier des femmes et des plus démunis seraient créateurs d’emplois, bénéfique pour les humains comme pour la nature.
Une politique culturelle audacieuse, conçue en concertation voire en cogestion avec les artistes, avec un investissement à la hauteur de ce besoin essentiel à l’épanouissement et à la cohésion aura forcément un coût en contrepartie des apports humains et économiques.
Le tourisme que les uns et les autres, présentent comme la manne indispensable doit être repensée de façon radicale autour d’une idée simple jamais évoquée : l’atout touristique, la richesse de nos trésors ne sont pas la propriété de quelques acteurs capitalistes constamment en demande d’argent ou d’avantages publics pour leurs profits privés tandis que les grosses dépenses nécessaires aux investissements comme à la politique promotionnelle devraient si on les écoute peser sur les épaules de l’Etat et des collectivités.
Nous sommes au contraire dans le domaine où devraient régner au moins l’économie mixte et les coopératives. Ces solutions ne sont synonymes de gabegie que si, cela s’est vu, il n’existe aucun contrôle ouvrier, aucun contrôle citoyen sur leur fonctionnement . Pour une politique audacieuse d’investissrments raisonnés, il faut sortir ce secteur du règne exclusif de
la spéculation et de la réclamation parfois agressive de subventions sans grand souci de contreparties pour tous et toutes.
D’abord nos vies d’aujourd’hui, de demain et non la course à leur croissance et leurs profits
Toutes les politiques que nous proposons ici, ont comme point commun de mettre l’intérêt humain et environnemental au cœur de tout, de changer de modèle économique et social, de remplacer la tyrannie du marché par la réponse aux besoins sociaux, de créer non pas des centaines mais bien des milliers d’emplois durables et gratifiants dans de nombreux domaines. Les mener ensemble entraînerait une politique de formation audacieuse, un appel crédible à la jeunesse martiniquaise expatriée, un élan nouveau pour le pays en accord avec les grandes préoccupations planétaires. Les mener ensemble et sans tarder est le seul moyen de freiner la recolonisation de peuplement qui avance chez nous sournoisement et qui s’étale parfois dans un « communautarisme » de ghetto sur lequel les Macron et Cie sont totalement silencieux.
Aujourd’hui l’urgent chez nous est de tenir, de redresser la tête, de sauver ce qu’Édouard Glissant appelait « l’idée Martinique » en sachant bien que l’émancipation humaine que cherchent les femmes et les hommes de bonne volonté suppose des changements radicaux à l’échelle mondiale. Une telle ambition suppose qu’ici et maintenant, nous ayons l’audace de sortir de la répétition du même c’est-à-dire d’une course effrénée à la croissance artificielle, à la consommation oiseuse pour une partie, à une vie dépourvue de sens, de dignité, de liberté et de justice.
Pour tenir les deux bouts de la chaîne, l’aujourd’hui et le demain, l’ici et l’ailleurs, un autre front doit s’ouvrir, évident, mais qui va mieux en le disant : c’est l’exigence face à l’État qui se prétend responsable de nous. Au nom de quoi devrions nous en effet nous priver de réclamer que cet État contribue à payer le développement que nous réclamons comme une tâche, un engagement de notre part et un dû à lui opposer ? Au nom de quoi en vérité ? De la souffrance de nos ancêtres ? Ce serait au contraire faire injure à leur combat pluriséculaire pour que leurs enfants vivent mieux, une injure à leur irrépressible résistance. Un certain nationalisme a jadis fait la moue devant ce qui lui semblait une mendicité indigne. Pour notre part, nous ne sommes pas de ceux qui ne pensent réparations que pour les lendemains de la Saint Glin-Glin.
Nous voulons tout de suite un système de santé satisfaisant, une politique de réparation de la catastrophe nommée chlordécone , une école dotée de moyens suffisants pour préparer notre propre avenir. Nous voulons des équipements, non basés sur la décalcomanie assimilée mais sur les besoins de notre futur. Avec celles et ceux qui en France réclament la même satisfaction des besoins humains fondamentaux, nous faisons front dans les grandes perspectives d’émancipation que nous partageons mais en avançant avec plus de fermeté encore les exigences qui nous sont propres.
Pour soutenir le programme esquissée ici, et déjà pour en débattre, nous avons besoin de la force de celles et ceux d’en bas, les classes laborieuses salariées, précaires, djobeurs comme retraités, des jeunes dont la prise de conscience doit se généraliser, des femmes de plus en plus souvent en pointe de nos combats, mais aussi des milliers d’indépendants et de très petites entreprises dont l’avenir dépend de leur capacité à vaincre les individualisémes forcenés, à s’unir dans des coopératives ouvrières de production, à créer toutes les formes de coopération constituant l:économie sociale et solidaire. Seules ces forces là seront capables d’imposer aux politiques qui se succèdent à la tête des institutions de ce pays le toupet qu’il
faut pour braver l’État, lui désobéir au besoin, bousculer ses entraves, ses sacro-saintes règles budgétaires, briser ses corsets en utilisant parfois sans se gêner certains de ses mots ronflant et sonores.
Bref il nous faut pour avancer toutes les énergies capables de dépasser le règne absurde de la marchandise, la dictature du profit maximum, la tyrannie mal nommée » libéralisme ». La guerre du tous contre tous est moins que jamais susceptible de résoudre les problèmes de la Martinique et du monde. Les fanatiques du » retour sur investissement » et des dividendes comme divinité suprême ont conduit le monde au bord du gouffre et n’ont aucune envie de changer radicalement de paradigme. Voici venu le temps où les masses lucides, les majorités sociales conscientes doivent choisir de vaincre ou de périr en entraînant avec elles l’humanité entière.
Fort de France le 14 juin 2020.
Philippe Pierre Charles