Le premier livre à dénoncer la glottophobie, discrimination par le langage.
Le langage est dans notre société un instrument de pouvoir puissant et méconnu : accents et tournures langagières sont les cibles d’une discrimination généralisée, appelée glottophobie. Rejeter une personne pour sa façon de parler, c’est la même chose que la rejeter pour sa religion, la couleur de sa peau ou son orientation sexuelle, autant de discriminations punies par la loi en France.
Pourtant, les discriminations fondées sur la langue sont ignorées alors qu’elles affectent des milliers de personnes, méprisées ou rejetées pour leur accent ou leur vocabulaire. La domination s’exerce en effet aussi par le langage. Les « élites » imposent leur manière de parler comme la seule légitime.
Le livre donne un nom à ces discriminations linguistiques –la glottophobie – et attire l’attention sur leurs conséquences humaines et sociales, profondes et massives. Linguiste, son auteur démonte, exemples à l’appui, les mécanismes de la glottophobie pour mieux la révéler, la dénoncer et ainsi la combattre.
Philippe Blanchet est professeur de sociolinguistique à l’université Rennes 2. Il est spécialiste de la diversité linguistique et culturelle dans le monde francophone et expert en politique linguistique et éducative pour de grands organismes. Chercheur et enseignant engagé contre toutes les discriminations, il est membre de la Ligue des Droits de l’Homme.
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Selon le sociolinguiste Philippe Blanchet, la glottophobie, discrimination liée à une façon de parler, est un phénomène très répandu en France. Dès 1970, l’élite a considéré que la norme était la prononciation parisienne. Tous les accents ne pénalisent pas de la même façon : celui des banlieues est le plus mal vu.
Il a insisté auprès de l’éditrice pour faire changer la formulation dans le résumé de la dernière de couverture de son livre. «Non, ce ne sont pas des « milliers » de personnes qui sont concernées, mais des « millions ». Croyez-moi.» Elle l’a cru, ils ont tapé dans le mille. Philippe Blanchet met des mots, intellectualise un ressenti, partagé par des pans entiers de la population à des degrés divers : la discrimination sur la façon de parler. L’accent, les tournures grammaticales et les expressions. Philippe Blanchet est sociolinguiste dans un laboratoire de recherche à Rennes-II, il étudie les langues et les replace dans leur contexte social. Il s’exprime avec l’accent de Marseille. Rencontre.
Vous utilisez ce drôle de mot : «glottophobie», que veut-il dire exactement ?
C’est un terme que j’ai inventé au milieu des années 90, car je n’étais pas satisfait de l’expression «discrimination linguistique», peu utilisée d’ailleurs, car la plupart des personnes n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une discrimination. Le terme glottophobie permet d’intégrer justement cette dimension sociale. Je le définis comme le fait d’exclure des personnes de l’accès à des droits ou à des ressources comme la vie publique, l’éducation, l’emploi, le logement, les soins, etc. parce qu’on considère incorrectes, inférieures ou mauvaises et de façon arbitraire des langues, des usages d’une langue ou des façons de parler, sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur ces personnes.
Une discrimination sans le savoir ?
Oui, exactement. L’idéologie sur la langue est si forte dans notre pays que les gens ne s’en rendent même pas compte. C’est une discrimination qui n’est pas reconnue par la loi, donc pas passible de sanctions. D’ailleurs, les employeurs le disent ouvertement, «votre candidature n’est pas retenue, votre façon de vous exprimer ne convient pas pour le poste». C’est surtout vrai dans les métiers de la parole, de la communication, forcément. Il y a une gradation dans la discrimination : en haut de l’échelle, je mettrai l’accent du Midi. C’est celui qui pénalise le moins car on lui attribue des «bons côtés» : c’est l’accent du soleil, l’accent des vacances. Ensuite, vous avez l’accent breton, alsacien, chti… Et tout en bas, l’accent des banlieues : le plus discriminant.
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