— Par Kenjah —
La confusion, entretenue en France depuis trois siècles, entre la nation et la République est la matrice la plus propice à tous les amalgames. Depuis la Révolution, la tradition politique française fait le grand écart entre une construction ethnique de la nation et une conception universaliste de la République. Ce grand écart, fondé dans l’expérience coloniale et l’exploitation d’un empire mondialisé, s’incarne dans le concept d’État-nation, dans lequel les principes universels de la République sont soumis aux impératifs de la domination ethnique et de l’exclusion des différences.
Il faut renoncer à toute illusion de voir les Français « de souche » réformer cet imaginaire revendiquant ses racines judéo-chrétiennes et une mission civilisatrice lui conférant une forme prétendue de supériorité essentielle. Qui pourra faire obstacle à cette volonté de rétrécissement, à ce choix du plus étroit ? Plus que jamais, la France est face à elle-même et à son destin.
Un vent de pogrom et de ratonnade se lève sur la France. Je ne m’imposerai pas à ceux qui me rejettent et me relèguent dans leurs marges. Me revendiquant enfant de la République, je ne me reconnais pas dans cette nation arrogante et aveugle, même quand elle se veut de bonne foi, comme un entraîneur de football. Je suis Delgrès et Toussaint Louverture combattant les armées de Napoléon au cri de « La liberté ou la mort ». Je suis aussi Césaire, Martiniquais et panafricain. Mes armes sont « Les Armes miraculeuses » (Césaire) : c’est à dire celles de la pensée, de la création et des arts. Au nom de la République Universelle, Toussaint Louverture et Aimé Césaire ont revendiqué pour leurs nations l’autonomie dans l’ensemble français, semant les ferments d’une responsabilité partagée et respectueuse. Cet idéal d’une « Union Française », énoncé à Brazzaville en 1944, et trahi par De Gaulle au nom de la France éternelle, une fois acquise la victoire…
On ne pourra laisser la nation aux nationalistes qu’en la soumettant à son tour à l’universalité de la République. Car l’histoire de France, qui est une histoire de conquête, a mêlé les nations et les origines. Car la République ne connaît ni culture, ni race, ni religion mais seulement des individus, libres et égaux en droit. Le Doit ne relève ni d’un particularisme ethnique, ni de la préférence nationale mais de l’application de principes généraux. La nation est de l’ordre du culturel quand seule la République relève de l’ordre du politique. La politique républicaine, au sens le plus élevé, est la défense des principes universels des droits de l’homme. Liberté, égalité, fraternité. Laissons la nation aux poètes, aux dramaturges, aux chansonniers et aux caricaturistes. Défendons la maison commune et le vivre-ensemble, qui ne se conçoivent que dans la reconnaissance d’une Diversité première.
La tâche est immense et il est à redouter que l’objectif ne deviendra clair qu’en toute extrémité de la démocratie. Partout, autour de nous, les nationalismes fomentent leurs réactions armées face à la soif de justice du Tout-Monde. Amnésiques et réactionnaires. Partout éclate l’obsolescence du modèle de l’État-nation, face à la puissance des enjeux transnationaux : terrorisme, réchauffement planétaire, pollutions des mers et des terres, épidémies, migrations de la misère et de la peur, Internet etc. Il nous faut réformer l’humanisme d’un Voltaire, qui traitait les Nègres d’ « animaux » et les Juifs de « nation si abominable ». L’universalisme de la République doit être expurgé de toutes les scories de la colonialité qui a servi de laboratoire au jacobinisme de l’État français. Se hausser au prochain progrès de l’humanité est à ce prix. C’est une responsabilité qui échoie à chacun et à tous, au lendemain de ces journées où la guerre nous a atteint, dans sa cruauté aveugle et son implacable désir de haine. Que Dieu nous garde tous, croyants ou athées, hommes et femmes, debout face au vent mauvais…
CONTRE LES NOSTALGIES IMPERIALES
POUR LA REPUBLIQUE UNIVERSELLE
Kenjah