Référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole : pistes prolégomènes

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

L’un des professeurs de sociolinguistique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), friand amateur de la haute poésie du Guadeloupéen Saint-John Perse et mathématicien de formation avant d’arpenter les terres arables de la linguistique, disait souvent, en salle de cours, que dans la langue usuelle comme dans la fiction poétique et romanesque, les mots ont une saveur, une tonalité, une résonance, une histoire, un sens premier ou différencié selon le contexte d’énonciation, selon le registre de langue et selon l’époque. Les dictionnaires de la langue usuelle et les terminologies spécialisées témoignent à des degrés divers de la pertinence des remarques du sociolinguiste de l’UQAM, et l’histoire de la migration des mots en témoigne lorsqu’ils se déplacent d’un territoire à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un domaine à l’autre, d’un registre de langue à un autre. Les linguistes et sémioticiens qui suivent depuis plusieurs années les travaux de la psychanalyste et linguiste Julia Kristeva sont familiers de cette problématique repérable notamment dans son roman « Les Samouraïs » (Éditions Fayard, 1990) où la « parole est liée à un plaisir essentiel », à la « saveur des mots » (Kristeva, 1990 : 35), « à la musique des lettres » (ibidem : 38). Dans un texte d’une grande amplitude analytique publié aux Éditions Fayard en 1999, « Le génie féminin 1. Hannah Arendt », Julia Kristeva revient sur le sujet : « La saveur des mots, rendue aux individus robotisés que nous sommes, est peut-être le plus beau cadeau qu’une écriture féminine puisse offrir à la langue maternelle ».

L’un des enseignements de Julia Kristeva est que la saveur, la tonalité et la résonance des mots ont une histoire, un « sédimentaire mémoriel », une inscription historique datée et

repérable dans le corps social. L’inscription historique datée et repérable d’un terme dans le corps social est étudiée par la lexicologie depuis ses racines étymologiques jusqu’à son

traitement lexicographique. Sur le plan lexicographique par exemple, l’excellent dictionnaire « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » du linguiste-lexicographe Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007) définit comme suit le terme « kamoken » : kamoken 1 – n. quinine ; kamoken 2 – n. dissident [rebel against Duvalier regime] Kamoken yo deside pou yo desann gouvènman an. The dissidents decided to topple the government. » Les deux acceptions du terme sont donc consignées et situées sur l’échelle du temps : (1) il s’agit d’abord d’un médicament, la quinine (un alcaloïde naturel antipyrétique, analgésique et surtout, antipaludique) employé en Haïti pour lutter contre le paludisme. (2) Le terme « kamoken » 1 / « quinine » a ensuite migré vers le créole depuis son sens originel du domaine de la pharmacologie vers celui du champ politique durant la dictature de François Duvalier, « kamoken 2 » désignant des « rebelles » en lutte contre la dictature de François Duvalier. L’histoire de la migration historique et sémantique du terme médical « kamoken » n’a pas été étudiée jusqu’ici puisque nous n’en avons pas trouvé d’occurrence suivie d’une définition dans le lacunaire « Diksyonè kreyòl Vilsen » ni dans le tout aussi lacunaire « Diksyonè kreyòl karayib » d’Evelyne Trouillot. Le terme « kamoken » / « quinine » ne figure pas non plus dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », le plus médiocre lexique anglais-créole de toute la lexicographie créole haïtienne.

L’on observe toutefois que le terme français « camoquin » est répertorié dans TERMIUM PLUS, la banque de données terminologique du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral canadien. Dans les domaines d’emploi génériques « éléments et composés chimiques » et « médicaments », il est défini comme suit : « Antipaludique administré par voie buccale, dont l’effet est radical dans les formes à Plasmodium falciparum [et qui est] aussi actif dans l’amibiase hépatique […] ». Les équivalents anglais de « camoquin » sont les variantes « amodiaquine » et « amodiaquin » ainsi définis : « A chemical used to suppress malaria and to treat malaria due to Plasmodium falciparum or liver abscess due to ameba ». Le terme « kamoken » figure dans un article du site Ayibopost daté du 13 mai 2020, « Qu’est-ce qu’un Kamoken». Cet article rapporte le propos de l’historien Michel Soukar selon lequel l’emploi du terme « kamoken » s’est popularisé en référence au combat des frères Fred et Reneld Baptiste, dans les années 1960, contre la dictature de François Duvalier. Les frères Fred et Reneld Baptiste auraient été perçus, dans l’imaginaire populaire haïtien, comme un « médicament » contre la dictature de François Duvalier : le « camoquin » français étant devenu le « kamoken » en créole. Sous réserve d’une étude étymologique/sémantique fouillée, l’on peut poser que la dérivation du terme médical « quinine » vers le terme créole « kamoken » obéit sans doute à une logique sémantique interne qui s’éclairerait du passage de la fonction médicale vers la fonction politique et sociale du terme médical de départ. La migration des termes scientifiques et techniques vers la langue usuelle est un phénomène courant dans les langues naturelles. Ainsi en est-il des appellations de « marques déposées » ou de « marques de commerce » qui, par un procédé de lexicalisation, sont devenus des termes d’usage courant sur les différents registres du français quotidien : aspirine, kleenex, frigidaire, kodak, etc. Ils sont également en usage en créole : aspirin, klinèks, frijidè, kodak, etc. Les dictionnaires espagnols suivants ne consignent aucune attestation de « camoquin » : Real Academia Española, les dictionnaires espagnol – français Le Robert & Collins, le Dictionnaire espagnol-français en ligne Larousse. Autre exemple : l’histoire de la migration historique et sémantique du terme « dilatoire » (nom et adjectif) a été étudiée par le lexicographe André Vilaire Chery dans son remarquable « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tome 1, Éditions Édutex, 2000). Ainsi, il précise (page 122) que ce terme est issu du latin juridique dilatorius et qu’il a migré « de l’univers des tribunaux pour investir le champ politique et la vie parlementaire pour ensuite passer dans le grand public grâce aux médias ». Le terme français « dilatoire » a le même sens que « dilatwa » en créole et il s’emploie dans les mêmes contextes.

Tel que précédemment illustré avec le terme « quinine », les mots savants et ceux de la langue de tous les jours sont souvent des « mots voyageurs », ils ont une histoire, un « sédimentaire mémoriel », y compris lorsqu’ils émergent de ce qu’on appelle couramment un « jargon de métier ». Ainsi, à l’aube de l’informatique, l’on a assisté en 1945 à l’apparition du premier calculateur numérique électronique programmable connu sous le nom de E.N.I.A.C. (Electronic Numerical Integrator and Computer). La généralisation de ce type d’appareil a conduit à celle du terme « computer » en anglais et il a fallu, pour les aires francophones, lui trouver un équivalent français.

« Le mot « ordinateur » date de 1955. Il fut inventé par Jacques Perret à la demande du

responsable publicité d’IBM qui voulait un nom pour communiquer sur le « calculateur », traduction littérale du mot « computer ». En effet, IBM souhaitait commercialiser une machine destinée au traitement de l’information. Or l’appellation « calculatrice électronique type 650 » ne lui paraissait pas très [éclairant] au sein d’un message publicitaire. Il eut l’idée de faire appel à son professeur de philologie latine à la Sorbonne auquel il confia une description de la nouvelle machine. Après avoir exploré plusieurs pistes, Jacques Perret remet sa copie le 16 avril 1955, proposant le mot « ordinateur ». Un mot « correctement formé » dit-il, mot ancien issu du vocabulaire théologique et tombé en désuétude, désignant selon le Littré « Dieu qui met de l’ordre dans le monde »… Le Dictionnaire des sciences, dirigé par Michel Serres et Nayla Farouki, évoque quant à lui « un vieux mot de latin d’église qui désignait, dans le rituel chrétien, celui qui procède à des ordinations et règle le cérémonial ». Le professeur retient cette notion de « mise en ordre » pour définir la machine. Il explique également les pistes qu’il a écartées, comme « systémateur » ou encore « combinateur », mais aussi « digesteur » (…) Ayant remarqué que le vocabulaire désignant d’autres machines, comme tabulatrice ou trieuse, étaient du genre féminin, il suggéra aussi le mot « ordinatrice », qui aurait le double avantage de s’éloigner de l’origine théologique de la terminologie proposée. Ce fut le mot « ordinateur » qui fut retenu par IBM pour sortir son « ordinateur IBM 650 ». Le nom fut

déposé par la marque, mais passa très vite dans le langage courant. De fait, IBM abandonna alors les droits sur l’appellation. L’histoire du mot « ordinateur » éclaire si besoin la dimension culturelle de la sémantique (…) » — (Source : « Histoire du mot « ordinateur » : virtu-desk.fr, site Internet d’information sur les technologies de virtualisation).

Qu’il s’agisse de l’écologie, de l’intelligence artificielle, des sciences de la terre, de l’informatique ou de l’aéronautique, le « jargon de métier » atteste lui aussi de la vitalité des langues naturelles qui, selon les besoins de la communication, accordent un sens nouveau à des mots déjà employés dans la langue ou créent des mots nouveaux pour désigner des réalités nouvelles, notamment dans les domaines techniques et scientifiques –l’on est alors sur le terrain de la néologie scientifique et technique au sein de la discipline appelée terminologie. LA terminologie est la « Discipline qui a pour objet l’étude théorique des dénominations des objets ou des concepts utilisés par tel ou tel domaine du savoir, le fonctionnement dans la langue des unités terminologiques, ainsi que les problèmes de traduction, de classement et de documentation qui se posent à leur sujet. » (Dictionnaire Larousse) Également, sur le plan de la taxonomie, la terminologie est l’« Ensemble des termes, rigoureusement définis, qui sont spécifiques d’une science, d’une technique, d’un domaine particulier de l’activité humaine ». (Dictionnaire Larousse) Quant à elle, « UNE terminologie est d’abord un ensemble de termes spécialisés relevant d’un même domaine d’activité qui a son vocabulaire propre : terminologie de la médecine, de l’informatique, du sport, de la marine… La terminologie s’applique aux [langues de spécialité] comme la lexicographie touche à la langue générale. Une notion, une définition, un terme : c’est le principe d’élaboration de toute terminologie ; chaque notion nouvelle doit être définie avec précision et désignée par un terme, le plus adapté, le plus parlant, le plus clair possible » (Antonia Velkova, Université technique de Sofia : « Les champs terminologiques visualisés dans l’enseignement du français aux étudiants-ingénieurs », Actes du IIème Forum mondial HERACLES, 2012).

À l’échelle internationale, dans différents domaines d’activités institutionnelles (relations

internationales, gestion administrative et financière des institutions internationales, etc.),

il existe des terminologies établies, mises à jour périodiquement comme c’est le cas, par exemple, dans UNTerm, la base de données terminologique multilingue des Nations Unies. Aux côtés des terminologies établies, le « jargon de métier » est employé « sur le tas » et de manière indifférenciée, et il arrive également comme nous l’avons déjà signalé que ce jargon donne lieu à des unités lexicales qui « se déplacent » d’un niveau de langue à un autre, et de la sorte il contribue à enrichir les terminologies spécialisées.

De l’étude de la notion de « basket fund » à la caractérisation du champ terminologique créole haïtien : vers l’élaboration du référentiel méthodologique standardisé en terminologie bilingue français-créole

L’étude de la notion de « basket fund » est particulièrement instructive en terminologie bilingue. Ce terme est apparu ces dernières années dans des documents administratifs du système des Nations Unies et il a été repris dans la presse écrite haïtienne. L’exploration du terme « basket fund », en plus de l’intérêt que représente cette notion sur le plan de l’analyse proprement terminologique, permettra de circonscrire et d’éclairer le propos central du présent article, à savoir l’ancrage méthodologique des terminologies scientifiques créoles, l’un des défis majeurs de la créolistique. Consacrer une étude au terme « basket fund » sera aussi l’occasion d’aborder l’apparition et les caractéristiques du champ terminologique créole haïtien.

Les agences spécialisées de l’ONU (UNICEF, PNUD, etc.) emploient en français le terme anglais « basket fund » dans différents contextes, en particulier dans des documents de gestion administrative et financière relatifs aux mécanismes dits d’aide aux pays du Sud. Aux yeux de plusieurs traducteurs et terminologues, la traduction littérale « panier de fonds », en français, pour traduire le terme anglais « basket fund », parait obscure et peu « motivée » sur le plan de la conformité notionnelle. Exemple : « Le panier de fonds affectés, qui est géré par le PNUD, couvre en outre 85% des frais de fonctionnement de la Commission électorale indépendante » (source : « Budget-programme de l’exercice biennal 2012-2013 », ONU, 11 octobre 2012). Dans les domaines génériques de la finance et de la gestion financière, la documentation accessible suggère plusieurs équivalents français pour exprimer la notion de « basket fund » (voir plus bas le tableau 1). La documentation consultée atteste également l’emploi de « basket funding ».

Au début de la recherche documentaire préalable à l’étude terminologique du terme « basket fund », nous avons constaté que les ressources terminologiques institutionnelles suivantes ne fournissaient aucune donnée analytique sur cette notion :

GDT, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française.

TERMIUM PLUS, la banque de terminologie du Bureau fédéral canadien de traduction.

–IATE, la base de données terminologique interinstitutionnelle de l’Union européenne.

UNTerm, la base de données terminologiques multilingue des Nations Unies.

EuroVOC, le thésaurus multilingue et multidisciplinaire couvrant la terminologie des domaines d’activité de l’Union européenne.

FRANCETERME, le dispositif terminologique de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF).

–ISO OBP, la plateforme de consultation en ligne de l’Organisation internationale de

normalisation.

TERMDAT, la banque de données terminologique de l’administration fédérale suisse.

TermOTAN, la base de données terminologiques officielle de l’OTAN.

Ainsi, UNTerm, la base de données terminologiques multilingue des Nations Unies, ne propose aucun équivalent français pour le terme « basket fund ». UNTerm consigne le terme « basket fund » aussi bien en anglais qu’en français, sans fournir un équivalent français spécifique.

Le terme « basket fund » est attesté dans la presse écrite en Haïti (dans Le Nouvelliste et

Le National » entre autres). Toutefois l’on observe qu’aucune institution haïtienne du secteur bancaire, –notamment la Banque de la République d’Haïti, l’Association professionnelle des banques, la Unibank, la Sogebank, la Banque nationale de crédit, la Banque de l’union haïtienne–, n’a jusqu’à présent élaboré un vocabulaire français-créole de référence dans les domaines génériques de la finance et de la gestion financière auquel il aurait été possible de recourir. Dans un article de Robenson Geffrard publié le 18 juin 2021 par Le Nouvelliste, « Claude Joseph à la recherche de 17 millions de dollars pour compléter le budget des élections », il est mentionné que « Depuis le 21 janvier 2021, le gouvernement haïtien a signé avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) un accord sur la réactivation du Fonds fiduciaire (Basket Fund) qui a été alimenté à plusieurs reprises à partir des ressources du Trésor public ».

La poursuite de la constitution du dossier terminologique sur la notion de « basket fund » nous a valu d’effectuer une recherche documentaire plus étendue. Il s’agissait d’une part de repérer des occurrences du terme « basket fund » dans des contextes anglais où il est défini. Puis, d’autre part, de circonscrire –au cas où elle existerait–, l’unité terminologique correspondant, en créole, à la notion de « basket fund ». L’objectif étant (1) de trouver des attestations écrites d’un éventuel équivalent créole et (2) d’explorer l’hypothèse de la conformité notionnelle entre le terme anglais de départ « basket fund » et cet éventuel équivalent créole pour désigner la notion de « basket fund ». Le repérage d’un éventuel équivalent créole pour rendre la notion de « basket fund » renvoie à la problématique, plus essentielle et plus large, de l’état actuel du champ terminologique créole haïtien qui a jusqu’à aujourd’hui fait l’objet de très peu de travaux de recherche universitaires.

Sur le plan historique en effet, l’on dispose de très peu d’information sur l’apparition et le développement du champ terminologique créole haïtien. Toutefois, un article du Doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, Pierre Vernet, « La terminologie en Haïti », fournit des données pertinentes sur le sujet. Ce texte a été publié en 1989 dans le numéro 2 de la revue Terminologies nouvelles du Réseau international de néologie et de terminologie (RINT) auquel Haïti a adhéré en 1989. En voici un extrait : « [la terminologie] est une discipline très peu connue en Haïti. Il est absolument nécessaire d’œuvrer à la promotion de la terminologie dans ce pays pour favoriser l’évolution de la langue créole (…). Le module haïtien se félicite d’avoir pu adhérer au RINT et prévoit déjà les effets positifs des échanges, tant au niveau particulier des solutions propres aux problèmes d’aménagement linguistique en Haïti qu’à celui, plus général, des progrès de la terminologie. Le problème de la terminologie en Haïti se pose essentiellement, pour l’instant, dans le cadre du système éducatif, tant d’un point de vue formel (salles de classe) qu’informel (alphabétisation, utilisation des mass médias). (…) les recherches terminologiques se posent dans un contexte de contact conflictuel entre deux langues, traduisant la rencontre plus globale de deux mondes. La terminologie, parce que répondant essentiellement à des fins didactiques, doit viser la transparence. Elle privilégie donc, entre autres modalités, la créativité lexicale dans une prise en compte du vécu de la population d’un côté et de l’apport universel d’un autre (valeurs occidentales, technologie…). » Pierre Vernet est également l’auteur de l’article « Problématique de la recherche terminologique en Haïti » parue en 1990 dans les Cahiers du Rifal no 3, série « Terminologies nouvelles ». Pour notre part, nous avons contribué à la réflexion sur le sujet de la terminologie en Haïti par la publication de l’étude intitulée « La néologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du créole haïtien ». Cette étude est parue dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2021).

Avant de poursuivre l’étude terminologique du terme « basket fund », il est nécessaire de fournir un éclairage conceptuel sur la notion de champ terminologique créole haïtien.

La terminologie créole, sur ses versants réflexion théorique et production de terminologies scientifiques et techniques, est une partie intégrante de la créolistique. Elle est corrélée au champ terminologique créole haïtien qui est appelé à se constituer au cours des prochaines années et à systématiser son ancrage sur le socle de la méthodologie de la terminologie professionnelle. Le champ terminologique créole haïtien comprend l’ensemble des travaux théoriques, les recherches de terrain et les vocabulaires spécialisés élaborés par des terminologues en étroite collaboration avec les spécialistes des domaines étudiés. Et dans la mesure où le champ terminologique créole haïtien en est à ses balbutiements, il lui faudra élaborer à très court terme son référentiel méthodologique standardisé destiné à orienter et à encadrer l’élaboration des terminologies scientifiques et techniques en langue créole (voir nos articles « La longue route des terminologies scientifiques et techniques en créole haïtien » (Le National, 14 février 2023) ; « Créole haïtien :  plaidoyer pour un référentiel méthodologique standardisé et unique en terminologie scientifique et technique » (Le National, 24 février 2023) ; « Lexicographie créole, traduction et terminologies spécialisées : l’amateurisme n’est pas une option… » (Le National, 7 février 2023) ; « La néologie scientifique et technique créole à l’épreuve des mirages du « monolinguisme de la surdité historique » en Haïti » (Le National, 17 mai 2022). Le champ terminologique créole haïtien s’élaborera au creux de ses rapports avec la lexicographie créole et avec la didactisation du créole sans perdre de vue que la terminologie délimite des concepts et leur associe les termes appropriés, tandis que la lexicographie décode des unités lexicales et en décrit le sens ou les différentes significations (voir Marie-Claude L’Homme et Sylvie Vandaele, « Lexicographie et terminologie : compatibilité des modèles et des méthodes », Presses de l’Université d’Ottawa, 2007 ; voir en particulier le chapitre IV : « La définition des termes dans les dictionnaires généraux unilingues : analyse de quelques exemples du domaine de la volcanologie à la lumière d’un corpus de vulgarisation » (pp. 141-188), par Amélie Josselin-Leray et Roda P. Roberts. À la présentation de leur étude les auteures précisent que « Les termes ou mots appartenant à des langues de spécialité, présents dans la nomenclature des dictionnaires dits généraux constituent un des points de convergence les plus évidents entre la terminologie et la lexicographie. Dans cet article, nous souhaitons voir dans quelle mesure il est possible de concilier l’information de nature terminologique trouvée dans un corpus électronique de vulgarisation avec celle de nature lexicographique trouvée dans des dictionnaires de langue générale ». Dans le même article, voir aussi le chapitre VI : « Étude contrastive des principes et des méthodes de la lexicographie et de la terminométrie » (pp. 219-246), par Jean Quirion and Jacynthe Lanthier. En ce qui a trait à la distinction entre la terminologie et la lexicographie, l’on consultera avec profit l’étude « Description terminographique et description lexicographique » de Elsadig Abdulla Osman (Faculté des langues et de traduction, Université Roi Saoud, Riyad, Arabie saoudite, 15 janvier 2014). En présentation générale de son étude, l’auteur précise qu’il établit « la distinction entre terminographie et lexicographie selon l’objet principal de leur champ d’étude. Puis, nous faisons la différence entre unité terminologique et unité lexicale selon plusieurs critères dont : le relevage exhaustif des unités ; les unités syntagmatiques ; l’approche onomasilogique et approche sémasiologique ; la démarche syntaxo-grammaticale ; l’optique définitionnelle et illustrative ; la visée normalisante ; la création néologique ; les différents types de produits, etc. ».

Tel que mentionné plus haut, le champ terminologique créole haïtien est appelé à élaborer son référentiel : par « référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole », nous désignons le document-guide normatif auquel se référer et qui comprend les règles et les principes méthodologiques constituant le modèle unique devant guider tous les travaux terminologiques créoles (terminologie ponctuelle, terminologie thématique, néologie technique et scientifique). Pour l’ensemble du champ terminologique créole haïtien, ce référentiel doit être un guide méthodologique décrivant les différentes étapes du travail terminologique depuis le dépouillement initial des données documentaires (le corpus) jusqu’au traitement terminologique des données recueillies (la nomenclature) suivi de leur diffusion sur support papier et/ou sur support électronique.

L’élaboration du « Référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole » –sur le registre de la modélisation de la terminologie bilingue français-créole–, pourra s’inspirer du modèle institué au Québec et qui jouit d’une solide consécration/implantation à l’échelle internationale. Doté d’un rigoureux dispositif scientifique, le modèle institué au Québec est consigné principalement dans l’ouvrage de référence « Méthodologie de la recherche terminologique » de Pierre Auger et Louis-Jean Rousseau (Office québécois de la langue française, 1978 [1988, 1990]). En lien avec le modèle institué au Québec, le « Référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole » comprendra les étapes suivantes aussi bien en terminologie ponctuelle qu’en terminologie thématique :

  1. La préparation du travail terminologique

  2. Le travail terminologique

  3. La terminologie et la néologie

NOTE – À la première étape, la préparation du travail terminologique, une attention particulière sera apportée à « la délimitation du champ de travail », à « la détermination des objectifs spécifiques du projet de recherche » et à « la documentation préliminaire » qui fera l’objet d’un dépouillement systématique. La première étape consiste en l’établissement du corpus qui servira de base à la recherche : c’est l’étape documentaire qui précède le travail terminologique.

À la seconde étape, le travail terminologique est double : il consiste d’abord à déterminer la terminologie du domaine choisi dans chacune des langues qui font l’objet du lexique (sauf si elle est déjà établie dans l’une d’elles) et à établir ensuite des relations d’équivalence entre les deux terminologies. Ces deux tâches, qui doivent être successives, déterminent le déroulement d’ensemble que doit suivre le travail terminologique. Il y a donc deux grandes phases dans le déroulement des travaux : une phase de recherches (le dépouillement terminologique) au cours de laquelle sont recueillies, pour chacune des langues, les données terminologiques relatives aux notions ou aux catégories de notions dont la liste a été dressée précédemment, et une phase de traitement terminologique des deux nomenclatures provisoires qui ont été établies dans la phase de recherches, ce traitement terminologique permettra de déterminer, de façon définitive, la terminologie du domaine dans les deux langues traitées et d’établir ensuite la concordance entre ces deux terminologies.

À la troisième étape, la terminologie et la néologie, le traitement des données rassemblées dans la nomenclature se clôt par l’établissement du vocabulaire étudié : les résultats consignés présentent le listage des équivalents dans la langue de départ suivis des équivalents dans la langue d’arrivée selon le principe de la stricte équivalence notionnelle entre les notions circonscrites dans les deux langues. Les unités terminologiques figurent en « entrée » du vocabulaire établi (termes simples et termes complexes) et les termes rassemblés en nomenclature, à cette étape, peuvent comprendre des néologismes relevés dans la documentation ou forgés par le terminologue dans la concertation avec les spécialistes du domaine étudié (voir notre article « La néologie scientifique et technique, un indispensable auxiliaire de la didactisation du créole haïtien » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2021). Sur la néologie, voir les études de Jean-Claude Boulanger : (1) « L’évolution du concept de « néologie de la linguistique aux industries de la langue », dans Caroline De Schaetzen (dir.), Paris, Conseil international de la langue française et Ministère de la communauté française de Belgique, 1989 ; (2) « Problématique d’une méthodologie d’identification des néologismes en terminologie », in Néologie et lexicologie. Hommage à Louis Guilbert, coll. « Langue et langage », Paris, Librairie Larousse, 1979 ; (3) « Petite bibliographie linguistique et lexicographique de la néologie », in TermnetNews, no 2-3, 1981a ; (4) « Petite bibliographie analytique : terminologie et néologie », in Travaux de terminologie, no3, janvier, 1984a ; (5) « Quelques observations sur l’innovation lexicale spontanée et sur l’innovation lexicale planifiée », in La Banque des mots, no 27,1984b.

NOTE – En lexicographie les termes placés en « entrée » d’un lexique ou d’un dictionnaire sont désignés par l’appellation d’« unité lexicale » et en terminologie par l’« unité terminologique ». Celle-ci est définie comme suit : « Unité signifiante constituée d’un mot (terme simple) ou de plusieurs mots (terme complexe) et qui désigne une notion de façon univoque à l’intérieur d’un domaine » (Grand dictionnaire terminologique de la langue française).

Le cheminement analytique qui précède a permis jusqu’ici d’exposer en quoi consiste le champ terminologique créole haïtien ainsi que son dispositif opérationnel central, le « référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole ». Ces deux temps d’une même systématisation de l’activité terminologique sont au fondement d’une démarche scientifique conduite au creux d’une explicite modélisation : tous les chantiers en terminologie scientifique et technique créole doivent être élaborés sur un socle méthodologique unique et standardisé. Ainsi, en amont, la détermination du projet terminologique est essentielle : le projet se situe sur le registre de la terminologie ponctuelle ou sur celui de la terminologie thématique et ses initiateurs-rédacteurs sont identifiés par l’instance responsable du chantier terminologique (l’État ou une institution nationale publique ou privée). Le public-cible visé est identifié, il peut par exemple s’agir de professionnels du domaine de l’agroalimentaire, de la médecine vétérinaire, de l’informatique. Les moyens à mettre en œuvre sont ensuite définis : ce sera une enquête de terrain et/ou une recherche documentaire menée en équipe en vue de constituer le corpus de référence. Celui-ci fera l’objet du traitement terminologique à l’aide d’outils d’analyse et de classement des données recueillies. Cette systématisation de l’activité terminologique est illustrée par une courte synthèse parue en 2010 dans L’Actualité langagière (vol. 7, numéro 4), « Les traducteurs et la recherche terminologique ponctuelle au 21e siècle ». Son auteure, Kim Lacroix, fournit un éclairage pertinent sur la démarche élaborative en terminologie ponctuelle et sur les outils d’analyse auxquels fait appel le terminologue. Lisons-la dans le texte :

« Qu’est-ce qu’une recherche terminologique ponctuelle ?

« Ce type de recherche, sans doute le plus commun, vise à répondre à un besoin précis et parfois unique (donc ponctuel). Une recherche ponctuelle répond à une question précise (souvent urgente), par exemple : « Que signifie bande passante ? » ou « Quel est l’équivalent anglais de parachutiste ? ». Selon Célestin, Godbout et Vachon-L’Heureux, qui ont coécrit [l’ouvrage] Méthodologie de la recherche terminologique ponctuelle, « […] quiconque […] a fait un jour l’effort de vérifier le sens d’un mot, de chercher le terme correspondant à une notion ou d’essayer de découvrir l’équivalent d’un terme étranger dans sa langue, a déjà en quelque sorte effectué une recherche terminologique ponctuelle. Donc, la recherche terminologique ponctuelle bilingue est la recherche de l’équivalent d’un terme dans une autre langue.

Comment la recherche terminologique ponctuelle est-elle menée ?

D’abord il faut vérifier si la recherche n’a pas déjà été effectuée. Il s’agit de consulter les bases de données terminologiques, les dictionnaires bilingues et les lexiques. Si le terme ne s’y trouve pas, il faut alors effectuer une « vraie » recherche terminologique bilingue. Selon la plupart des manuels de terminologie, les étapes à suivre pour trouver un équivalent sont les suivantes :

  1. Déterminer le domaine du terme de départ.

  2. Définir le terme de départ.

  3. À l’aide du contexte et des définitions du terme, déterminer ses caractéristiques et trouver des mots-clés connexes.

  4. À l’aide des caractéristiques ou des mots-clés, chercher un terme équivalent dans des documents sur le domaine du terme de départ, mais écrits dans la langue du terme d’arrivée. Par exemple, pour trouver l’équivalent du terme « slider » dans le domaine de l’équipement de parachutisme, on pourrait utiliser les mots-clés se trouvant dans le contexte et se traduisant facilement en français, comme « équipement de parachutisme », « parachute », « aile », « voilure », « tissu », « œillet », etc. »

Les préalables conceptuels et méthodologiques du champ terminologique créole haïtien étant posés, nous allons maintenant en exposer l’illustration en achevant l’étude terminologique du terme « basket fund ». Cette illustration sera suivie d’une proposition exploratoire en vue de l’élaboration du « référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole ».

TABLEAU 1 / Étapes 1, 2, 3 – Relevé des occurrences de « basket fund » consignées dans la base de données Linguee.fr et identification des unités terminologiques françaises ou anglaises employées en français

 

Terme et contexte définitoire anglais

Terme et contexte explicatif et/ou définitoire français

Unités terminologiques consignées en français

The election  basket fund waused to support the by-elections.

Le panier de fonds pour les élections a été utilisé à cette occasion.

panier de fonds 

Anti-Corruption oversee the provision of technical assistance in the area of governance and anti-corruption funded from the basket fund.

(…) surveillent l’assistance technique financée par lfonds commun dans les domaines de la gouvernance et de la lutte contre la corruption.

fonds commun 

The Facility is funded through a multi-donor basket fund, with an initial support of $4 million.

Le dispositif est alimenté par un panier bailleurs de fonds, initialement à hauteur de 4 millions de dollars.

panier de bailleurs de fonds

So far, UNFPA funds have not been pooled into a commonbasket fund.

Jusqu’à présent, les fonds du FNUAP ne sont pas versés dans un « panier commun »

panier commun

The basket fund modality has been an important vehicle for donor harmonisation.

Lmodalité du fonds panier est un véhicule important pour l’harmonisation des interventions des donateurs.

fonds panier

Germany, the United States of America and Belgium, often through prefinancing under the emergency basket fund managed by UNDP.

(…) africaine et la Belgique, souvent par un financement antérieur à travers le Fonds fiduciaire du programme d’urgence géré par le PNUD.

fonds fiduciaire 

with a number of donors and MONUC, through management of thBasket Fund anthe implementation of several projects in support of […]

Il a également soutenu le processus électoral, avec plusieurs bailleurs et la MONUC, à travers la gestion dBasket Fundet l’exécution de plusieurs projets […] 

Basket Fund

region and Bureau for Crisis Prevention and Recovery), financed under a basket fund established with voluntary contributions.

Bureau de la prévention des crises et du relèvement, financé grâce à un fonds global créé par des contributions volontaires.

fonds global 

 

Éclairage analytique — Sur le plan méthodologique, la démarche usuelle et normée en terminologie ponctuelle comme en terminologie thématique consiste à trouver des sources écrites attestant des occurrences du terme de départ –ici « basket fund »–, suivi d’une définition ou d’un contexte définitoire dans la langue de départ et portant sur cette notion. En seconde étape il s’agit de trouver des sources documentaires attestant des occurrences de l’équivalent français du terme anglais de départ –ici « basket fund »–, suivi d’une définition ou d’un contexte définitoire en langue française portant sur cette notion. En terminologie ponctuelle comme en terminologie thématique, l’équivalence notionnelle doit être établie entre la langue de départ (ici l’anglais) et la langue d’arrivée (ici le français), et cette équivalence notionnelle est établie à l’aide de sèmes définitoires communs à la même notion dans les deux langues. Il est essentiel de bien comprendre que l’approche notionnelle constitue l’un des fondements-clé de la méthodologie de la terminologie : les terminologues oeuvrant dans le champ terminologique créole haïtien devront, sur le plan méthodologique, ancrer et modéliser rigoureusement leur démarche sur le socle de l’unicité de l’équivalence notionnelle (sur la notion centrale d’« équivalence notionnelle » en terminologie bilingue, voir entre autres Maarten Janssen et Marc Van Campenhoudt, « Terminologie traductive et représentation des connaissances : l’usage des relations hyponymiques », article paru dans la revue Langages no 157, 2005/1 ; sur celle d’« équivalence fonctionnelle », voir Zuzana Honová, « L’équivalence fonctionnelle – une stratégie pour la traduction juridique ? », article paru dans Études romanes de Brno 37 / 2016 / 2 ; voir aussi l’étude de premier plan datée de 1995, « Le réseau notionnel interlinguistique / Réseau notionnel, intelligence artificielle et équivalence en terminologie multilingue : essai de modélisation », par Marc Van Campenhoudt (Centre de recherche TERMISTI, Institut supérieur de traducteurs et interprètes, Bruxelles). Voici un exemple éclairant l’obligation d’établir, dans l’élaboration d’un dossier terminologique, l’équivalence notionnelle entre le terme de la langue de départ et celui de la langue d’arrivée : il provient des données terminologiques consignées dans TERMIUM PLUS, la banque de terminologie du Bureau fédéral canadien de traduction et traitant de la notion d’« intelligence artificielle ».

TABLEAU 2 – Fiche terminologique portant sur la notion d’« intelligence artificielle » dans TERMIUM PLUS, la banque de données terminologiques du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral canadien

 

Terme anglais

Définition anglaise ou contexte définitoire

Note(s) anglaise(s)

artificial intelligence

The capability of a [software entity or a hardware entity equipped with software components] to perform functions that are generally associated with human intelligence

Functions of interest with regard to artificial intelligence include perception, learning and

reasoning.

———————————-

Artificial intelligence ; AI : designations standardized by ISO in collaboration with the International Electrotechnical Commission and by the Canadian Standards Association (CSA).

Abréviation anglaise : AI

Synonyme anglais : machine intelligence

Domaine générique de

classement du terme anglais : intelligence artificielle

Terme français

Définition française ou contexte définitoire

Note(s) française(s)

intelligence

artificielle

/correct, nom

féminin, normalisé/

Capacité d’une [entité logicielle ou d’une entité matérielle équipée d’éléments logiciels] à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine […]

Parmi les fonctions qui présentent un intérêt sur le plan de l’intelligence artificielle, on compte notamment la perception,

l’apprentissage et le raisonnement.

Synonyme français : IA

Domaine générique de

classement du terme français : intelligence artificielle

 

Sur le registre de l’analyse terminologique, l’on retient la similitude, la conformité notionnelle entre les sèmes définitoires (1) du terme anglais de départ, « artificial intelligence », et (2) ceux de l’équivalent français « intelligence artificielle » : « The capability of a software entity » / « functions that are generally associated with human intelligence » et « Capacité d’une entité logicielle » / « fonctions généralement associées

à l’intelligence humaine ». Les équivalents français du terme anglais « basket fund », tels

que listés au tableau 1, sont-ils conformes à cette règle de base en terminologie, à savoir

la similitude, la conformité notionnelle entre les sèmes définitoires du terme anglais de départ et ceux de l’équivalent français ? En terminologie ponctuelle comme en terminologie thématique, les équivalents français listés au tableau 1 présentent-ils les mêmes traits définitoires (unicité de la définition) qui en feraient des synonymes pareillement définis ?

TABLEAU 3 – Traits définitoires communs aux équivalents français du terme anglais

« basket fund » consignés dans la base de données Linguee.fr

 

Équivalents français du terme anglais « basket fund » (cf. tableau 1)

Trait(s) définitoire(s) commun(s) aux équivalents français

Unité terminologique comprenant ou excluant le trait « fonds »

panier de fonds 

+ fonds + panier

+ fonds

fonds commun 

+ fonds

+ fonds

panier de bailleurs de fonds

+ fonds + panier

+ fonds

panier commun

aucun + panier

+ fonds

fonds panier

+ fonds + panier

+ fonds

fonds fiduciaire 

+ fonds + fiduciaire

+ fonds

Basket Fund

fund

+ fonds, mais reprise du terme anglais en français

fonds global 

+ fonds

+ fonds

 

Éclairage analytique / Sur les 8 équivalents français du terme anglais « basket fund » répertoriés au tableau 1, six comprennent le terme « fonds ». Ce nombre élevé d’occurrences indique que le terme « fonds » devrait être constitutif de chaque équivalent français de « basket fund ». À l’analyse, les équivalents « panier de fonds » et « fonds panier » doivent être écartés puisque d’une part il s’agit d’un calque de l’anglais. D’autre part, d’après Le Petit Robert en ligne, le mot « panier » désigne dans le domaine de la finance une « unité de compte de référence dont la valeur est établie à partir de la moyenne pondérée de la valeur de plusieurs monnaies nationales ». Or, le contexte d’utilisation de « basket fund » (cf. tableau 1) indique qu’il est bien question de « fonds », de « fonds » regroupés, en gestion financière, mais le segment « basket » / « panier » n’apporte aucun trait définitoire explicite à la notion. Il faut dès lors écarter les équivalents français comportant le terme « panier ». L’équivalent « fonds fiduciaire », dans le contexte juridique haïtien et dans le domaine de la gestion financière au pays, devra également être étudié avec attention puisqu’en droit haïtien la notion de « fiducie » figure dans la Loi bancaire de 2012 et dans quelques textes administratifs, sans oublier le terme « fidéicommis » en usage en Haïti depuis de nombreuses années. 

Au plan de la méthodologie de la terminologie, le relevé des occurrences dans des documents écrits est un critère essentiel aussi bien en terminologie ponctuelle qu’en terminologie thématique. Ainsi, le terme « fonds commun » apparaît dans plusieurs sources documentaires, comme l’attestent les documents suivants :

–« L’objectif du projet est de contribuer à une gestion durable des ressources forestières et fauniques au Cameroun, de manière à ce que ce secteur économique d’importance vitale puisse générer des revenus à long terme pour le bénéfice de l’ensemble du pays. Le projet offre une contribution financière à un Fonds commun afin que le ministère des Forêts et de la faune soit en mesure d’accomplir ses missions de service public de manière efficiente. » (Source : Gouvernement du Canada, « Profil de projet — Appui au Programme sectoriel forêt-environnement (PSFE) » ; dates figurant dans le document : 2007-03-29 / 2011-11-30.)

–[Le Canada] « A fourni une contribution de 42,8 millions de dollars à la programmation du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales (FPSM) dans les Amériques, dont 14,9 millions de dollars à Haïti; 5 millions de dollars à la Colombie (p. ex. aide juridique à 500 victimes de conflits, y compris de violence sexuelle) et 1 million de dollars au Guatemala, dont un fonds commun destiné à inciter les organismes de sécurité et de justice à collaborer. » (Source : « Le programme international du Canada – Résultat stratégique no 1 », ministère des Affaires étrangères et du commerce international – Rapport 2009 – 2010.)

–Dans le cadre de l’appui à la transition, un fonds commun (basket fund) a été mis en place comme mécanisme de financement des priorités de la feuille de route élaborée par le pays [le Tchad], aligné sur la position de l’Union africaine. » (Source : « Le PNUD et ses partenaires remettent des équipements de retransmission publique du Dialogue national inclusif au ministère d’État en charge de la réconciliation nationale et du dialogue » (UNDP CHAD 2022.)

–Plus de 95 % des fonds de l’UE seront versés sur un fonds commun (basket fund) institué par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en vue d’aider aux préparatifs des élections (…) » (Source : « La Commission européenne alloue 9,5 millions € au soutien du processus électoral en République centrafricaine », 25 octobre 2012.)

Le nombre d’occurrences du terme « fonds commun », au même titre que la fiabilité des sources consultées, plaide en faveur de son maintien dans toute proposition d’équivalent français du terme « basket fund ». Il ressort de notre analyse qu’il convient de privilégier le terme « fonds commun » comme équivalent de « basket fund ».  

Le terme « basket fund » est présent dans la presse écrite en Haïti et également dans un nombre indéterminé de documents administratifs de l’État haïtien. Rédigés en français uniquement, plusieurs de ces documents abordent le sujet de l’« aide » internationale. Ce sujet a été abordé entre autres par le site Haïti libre qui expose dans un article daté du 11 décembre 2010 que « Le budget 2010-2011 dépend à 66% de l’aide internationale ». Publiée le 17 février 2022, une dépêche de Radio-Canada, « Haïti : 600 millions de dollars d’aide internationale, dont 19,5 millions du Canada », précise que « (…) la communauté internationale s’est engagée, lors de la même réunion à donner 600 millions de dollars pour financer la reconstruction du sud d’Haïti, ravagée il y a six mois par un séisme qui a tué plus de 2200 personnes. » La dépêche de Radio-Canada ne le précise pas mais il semble logique que cette « aide » emprunte le circuit du « basket fund » / « fonds commun », d’autant plus que les bailleurs, lesdits « pays amis » d’Haïti regroupés dans le Core Group et familiers du double langage politique et diplomatique avec Haïti, continuent d’apporter un imposant support financier au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste… même lorsqu’ils « sanctionnent » quelques têtes d’affiche des secteurs économique et politique en Haïti.

Au terme de notre recherche documentaire, nous avons repéré des équivalents français mais nous n’avons trouvé aucun équivalent créole pour désigner la notion de « basket fund » / « fonds commun ». Ce constat illustre le fait qu’il existe très peu de documents de nature terminologique en langue créole et que la terminologie scientifique et technique, en tant que discipline de la linguistique, est encore à l’étape de ses premiers balbutiements en Haïti (voir plus haut les deux articles de Pierre Vernet). Pareil constat interpelle toute la problématique de l’élaboration en créole de vocabulaires spécialisés dans des domaines tels que le droit, l’informatique, la médecine vétérinaire, la mécanique automobile, etc. De manière plus large, ce constat induit plusieurs questions : comment élaborer en créole des terminologies scientifiques et techniques conformes à la méthodologie de la terminologie ? De tels chantiers terminologiques sont-ils nécessaires au progrès du pays, à la didactisation du créole et à l’enseignement en langue maternelle créole ? Quelles doivent être les compétences académiques et professionnelles du traducteur / terminologue haïtien en 2024 ? Quels seront au plan institutionnel les rapports entre la lexicographie créole et la terminologie scientifique et technique créole ? Les dictionnaires unilingues créoles mis en circulation ces dernières années étant lourdement lacunaires, à quels outils les terminologues peuvent-ils faire appel pour mener à bien des travaux terminologiques créoles ? Il sera nécessaire de consacrer ultérieurement une ample étude à cet ensemble de questions. Elles sont incontournables et la créolistique haïtienne devra contribuer à une réflexion de fond là-dessus. Pour notre part, la première réponse que nous apportons aujourd’hui est d’exposer le socle méthodologique de toute la terminologie scientifique et technique créole : en lexicographie créole comme en terminologie scientifique et technique créole, l’axe opérationnel central est la méthodologie. Le recours systématique à la méthodologie de la recherche en terminologie ponctuelle et en terminologie thématique est un passage obligé et une exigence de base : la méthodologie est garante de la scientificité de toute entreprise relevant du champ terminologique créole haïtien.

TABLEAU 4 – Modélisation de la méthodologie d’élaboration d’un chantier terminologique créole : recherche ponctuelle = RP ; recherche thématique = RT

 

Étape 1

Étape 2

Étape 3

Étape 4

Détermination des objectifs du chantier terminologique créole et des cibles lectorales

Dépouillement des sources documentaires écrites (élaboration du corpus de dépouillement)

Constitution de la nomenclature des termes sélectionnés (pour les chantiers terminologiques thématiques)

Traitement des données terminologiques (catégorisation des unités terminologiques, établissement des définitions, contextes et notes). Indication des renvois notionnels s’il y a lieu.

Terminologie ponctuelle ou thématique

Mêmes exigences méthodologiques en RP et RT (recours aux sources écrites, fiabilité et datation des documents)

Mêmes exigences méthodologiques en RP et RT (recours aux sources écrites, fiabilité et datation des documents)

Mêmes exigences méthodologiques en RP et RT (uniformité des critères de traitement, recours aux sèmes définitoires exacts, conformité notionnelle entre le terme de départ et son équivalent terminologique dans la langue d’arrivée

 

Tel qu’exemplifié aux tableaux 4 et 5, l’adoption d’un modèle unique permet de traiter de manière uniforme l’ensemble des données terminologiques qui vont figurer d’abord sur la fiche de terminologie (fiche de travail) ensuite dans le « produit fini », le vocabulaire du domaine étudié –et ce vocabulaire sera accessible sur support papier et/ou sur support électronique, par exemple dans une base de données terminologiques. La fiche de terminologie comprend les champs obligatoires suivants :

TABLEAU 5 – Fiche de terminologie ponctuelle résultant du dépouillement du terme français « cellulaire »

 

Champ obligatoire

Terme dans la langue de départ

Champ obligatoire

Catégorie grammaticale

Champ obligatoire

Définition 

Champ obligatoire

Contexte définitoire ou note explicative

cellulaire

nom m.

[appareil de communication], abréviation de « téléphone cellulaire »

Le cellulaire a fait une entrée remarquée en Haïti vers 1998-1999. 

renvois : portable, mobile

Son succès l’a fait élire « produit de l’année 1999 » par un magazine spécialisé.

Synonyme(s) portable ; mobile

nom m.; mobile [appartient aux catégories] nom et adj.

[appareil de communication], abréviation de « téléphone portable »

Connu aussi sous le nom de « cellulaire », ce matériel de communication connaît depuis 1998-1999 en Haïti un succès retentissant (…)

renvoi : cellulaire

Source — André Vilaire Chery : « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti », tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002, pages 64, 68 et 155.

Domaine d’indexation : téléphonie mobile, télécommunications.

Remarque générale : traitement informatisé de l’information terminologique à toutes les étapes.

 

TABLEAU 6 – Fiche de terminologie ponctuelle résultant du dépouillement des données terminologiques de l’équivalent créole « pòtab »

 

Terme dans la langue de départ

Catégorie grammaticale + renvoi

Définition 

Contexte définitoire ou note explicative

pòtab

n.

sèlfòn, selilè

cell phone ; cf sèlfòn, selilè

 Non consigné

Source — Albert Valdman : « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary », Creole Institute, Indiana University, 2007, page 576.

Domaine d’indexation : téléphonie mobile, télécommunications.

Remarque générale : traitement informatisé de l’information terminologique à toutes les étapes.

 

Éclairage analytique / Alors même que le « Diksyonè kreyòl Vilsen » est paru en 1997 puis a été réédité en 2003, 2007 et 2009, le terme « pòtab » est attesté uniquement au sens de « dlo potab ». Il n’est pas défini dans les domaines d’indexation de la téléphonie mobile ou des télécommunications à une époque où la téléphonie mobile s’est très largement répandue dans un grand nombre de pays. Les synonymes « sèlfòn » et « selilè » relevés dans le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman ne sont pas attestés dans le « Diksyònè kreyòl Vilsen ». Le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot définit correctement le terme « telefòn » (page 270) mais il ne consigne pas les termes « pòtab », « sèlfòn » et « selilè ». Le site Haïti-Reference comprend une section dénommée « Diksyonè/Dictionary/Dictionnaire Kreyòl / English / Français », mais l’on ne sait pas par qui il a été rédigé ni dans quel contexte il a été élaboré. Le nom des auteurs de ce dictionnaire n’est pas connu, pas plus que leurs qualifications lexicographiques. L’on a toutefois noté qu’une mise à jour de ce dictionnaire, dont on ne connaît pas la date de mise en service, semble avoir été faite les 12 et 13 février 2023. Bien que l’on ne soit pas renseigné sur les modalités de constitution de ce dictionnaire et sur sa fiabilité au plan scientifique, l’on y trouve des termes équivalents qu’il faudra envisager d’étudier dans le cadre d’un dossier terminologique élargi : —en anglais : « wireless phone » ; « mobil » ; –en français : « téléphone cellulaire » ; –en créole : « telefòn mobil », « telefòn pòtab ». À cette étape de l’illustration de l’élaboration, en terminologie ponctuelle, du dossier notionnel de « [téléphone] cellulaire » // « pòtab », « selilè », une remarque s’impose : il est essentiel de constater que l’on trouve très peu de données techniques rédigées en créole et portant sur ces termes. Cela conforte le constat qu’en matière de terminologie scientifique et technique créole et dans les domaines scientifiques et techniques, l’on dispose de très peu de ressources documentaires rédigées en créole. À ce niveau se situe l’un des plus grands défis du champ terminologique créole haïtien : rassembler de manière continue des ressources documentaires créoles variées afin de fournir des réponses qualitatives à la très grande rareté des fonds documentaires scientifiques et techniques en langue créole. Ainsi, pour les termes « [téléphone] cellulaire » // « pòtab », « selilè », une recherche documentaire plus approfondie, notamment dans les manuels techniques et les guides d’utilisation –s’ils existent et s’ils ont été traduits en créole, par exemple par la Digicel ou la Natcom–, pourrait être utile afin de trouver des éléments de définition ou des contextes définitoires en langue créole. Autre exemple : le catalogue anglais-créole du site Kibagay fournit quelques tentatives de présentation de certains produits de téléphonie mobile en créole, mais il faudrait faire le décompte de chacune des occurrences, étalées sur plusieurs mois, afin de trouver d’éventuelles données capables d’être consignées dans un dossier notionnel portant sur « [telefòn] pòtab » en terminologie ponctuelle et/ou en terminologie thématique.

PROPOSITION EXPLORATOIRE EN VUE DE L’ÉLABORATION DU « RÉFÉRENTIEL MÉTHODOLOGIQUE STANDARDISÉ EN TERMINOLOGIE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE CRÉOLE » 

Rappel conceptuel et opérationnel Le référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole permettra de traiter de manière uniforme et selon les mêmes critères méthodologiques l’ensemble des données terminologiques qui figureront d’abord sur la fiche de terminologie (fiche de travail) ensuite dans le « produit fini », le vocabulaire du domaine étudié.

Le dispositif d’organisation de l’information par champs obligatoires en terminologie ponctuelle est le même qu’en terminologie thématique. La « rubrique terminologique » consignée en ordre alphabétique comprend : le terme dans la langue de départ, le terme dans la langue d’arrivée (champs obligatoires), la catégorisation grammaticale des termes, leur définition (champs obligatoires), le contexte (champ optionnel) et la note (champ optionnelle). La terminologie thématique, il faut encore le souligner, désigne toute recherche terminologique ciblant un domaine donné et qui entend regrouper l’ensemble des termes couvrant les notions propres à un domaine (par exemple les domaines de l’agroalimentaire, de l’audiovisuel, de l’imprimerie, des sciences cognitives). En terminologie thématique, comme en terminologie ponctuelle, les champs obligatoires désignent (1) l’aire de classement de l’unité terminologique et de la catégorie lexicale de l’« entrée » (terme-« vedette » en entrée, synonyme, abréviation, renvoi de terme) ; (2) l’espace réservé à la définition, à la phrase-contexte définitoire ou illustrative et à la note complétant les traits définitoires décrivant la notion ; (3) l’espace réservé au domaine d’indexation  du terme (par exemple la téléphonie mobile, l’infographie) ; (4) l’espace réservé aux sources documentaires attestant la provenance de l’information contenue sur la fiche terminologique. Cette modélisation du travail terminologique thématique –un même modèle de classement et de traitement de l’information documentaire mais qui expose et explicite des notions distinctes–, est illustrée dans le mémoire de DEA de Fanny Brisson, « Les compétences terminologiques du traducteur : pistes de réflexion pour un enseignement de la terminologie à l’usage de futurs traducteurs » (Université Savoie Mont Blanc, 2019). Dans un souci de clarté démonstrative, l’auteure en a fait des appellations de chapitres pour décrire les différentes étapes de la démarche analytique en terminologie thématique : 

« 1. Se documenter pour se familiariser avec le système conceptuel du domaine dont relève le texte à traduire. 

  1. Distinguer un terme d’un « non-terme » : repérer les termes du texte source.

  2. Fonder sa recherche d’équivalents terminologiques sur le recoupement des données conceptuelles.

  3. Maîtriser l’éventail des démarches possibles (pour trouver des équivalents en langue cible).

  4. Valider un résultat par une recherche d’attestations. 

  5. S’approprier la phraséologie en langue cible.

  6. S’orienter dans la multiplicité des ressources : faire un usage averti des données terminologiques. 

  7. Arbitrer entre dénominations concurrentes 

8.1. Développer une sensibilité à la valeur pragmatique des termes.

8.2. Mettre en regard le terme pressenti avec le genre discursif du texte à traduire.

  1. Exploiter les ressources endogènes d’une langue ou y transposer des ressources exogènes : le cas de la traduction depuis l’anglais. » 

Les tableaux 7 et 8 exemplifient la modélisation exposée par Fanny Brisson dans son mémoire de DEA daté de 2019. Ces tableaux consignent la stricte conformité notionnelle entre le terme français « adoquin » et le terme créole « adoken » ainsi que la similarité de leur traitement terminologique.

TABLEAU 7 – Fiche en terminologie thématique résultant du dépouillement du terme français « adoquin »

 

Terme dans la langue de départ

Catégorie grammaticale + renvoi

Définition

Contexte définitoire ou note

adoquin1

nom m.

Sorte de pavé épais en maçonnerie de forme polygonale utilisé pour le pavage d’une chaussée, d’une allée.

Du terme « adoquin » dérivent le verbe « adoquiner » (adoquiner une rue) et le substantif « adoquinage » (des travaux d’adoquinage).

renvois : adoquiner, v.; adoquinage, nom m.

[NOTE DE RBO : ] Le verbe « adoquiner » est attesté dans le Dictionnaire des francophones (DDF) : « paver », suivi de la mention de l’aire géographique d’emploi, Haïti. Le DDF mentionne l’étymologie : de l’espagnol adoquinar, « paver ».

adoquin2

[Désigne aussi] la pièce de monnaie locale de cinq gourdes en forme d’heptagone (polygone à sept angles et à sept côtés).

Source — André Vilaire Chery : « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti », tomes 1, Éditions Édutex, 2000, page 28.

Domaine d’indexation : construction, BTP (bâtiments et travaux publics)

Remarque générale : traitement informatisé de l’information terminologique à toutes les étapes.

 

TABLEAU 8 – Fiche en terminologie thématique résultant du dépouillement de l’équivalent créole « adoken »

 

Terme dans la langue d’arrivée

Catégorie grammaticale + renvoi

Définition

Contexte définitoire ou note

adoken

n.

Blòk ki sanble ak brik, ki fèt ak beton, ki sèvi pou fè wout osnon planche, se yon teknik pou pare wout ak blòk san koule beton nan jwen ant blòk yo.

Sources pour le terme « adoken » : Albert Valdman, « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary », Creole Institute, Indiana University, page 5. Définition créole : « Diksyonè kreyòl Vilsen », Educavision/Kopivit, 2009.

Domaine d’indexation : construction, BTP.

Remarque générale : traitement informatisé de l’information terminologique à toutes les étapes.

 

Le terme « adoken » n’apparaît pas dans le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot. La définition créole consignée dans le « Diksyonè kreyòl Vilsen » est lacunaire : le trait définitoire « ki sanble ak blok » n’éclaire pas sur la nature et les caractéristiques de l’objet. Une recherche documentaire plus étendue n’a pas permis de retracer le terme « adoken » parmi les sources accessibles. RAPPEL : comme nous l’avons précisé pour la terminologie ponctuelle, en terminologie thématique créole, il est essentiel de prendre toute la mesure que l’on trouve très peu de données techniques rédigées en créole et portant sur ces termes. Cela conforte le constat qu’en matière de terminologie scientifique et technique créole et dans les domaines scientifiques et techniques, l’on dispose de très peu de ressources documentaires rédigées en créole. À ce niveau se situe l’un des plus grands défis du champ terminologique créole haïtien : la très grande rareté de sources documentaires créoles. Ainsi, pour le terme créole « adoken », une recherche documentaire plus approfondie, notamment dans les manuels techniques et les guides d’utilisation –s’ils existent et s’ils ont été traduits en créole, par exemple par les compagnies de BTP ou par le ministère des Travaux publics–, pourrait être utile afin de trouver des éléments de définition ou des contextes définitoires en langue créole.

TABLEAU 9 SYNTHÈSE / Modélisation du « Référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole » (terminologie ponctuelle = TP, terminologie thématique = TT)

 

Étape 1

Étape 2

Étape 3

Étape 4

Détermination des objectifs du chantier terminologique créole et des cibles lectorales

Dépouillement des sources documentaires écrites (corpus de dépouillement)

Constitution de la nomenclature des termes sélectionnés (pour les chantiers terminologiques thématiques)

Traitement des données terminologiques (catégorisation des unités terminologiques, établissement des définitions, contextes et notes). Indication des renvois notionnels s’il y a lieu.

Terminologie ponctuelle ou thématique

Mêmes exigences méthodologiques en TP et TT (recours aux sources écrites, fiabilité et datation des documents)

Mêmes exigences méthodologiques en TP et TT (recours aux sources écrites, fiabilité et datation des documents)

Mêmes exigences méthodologiques en TP et TT (uniformité des critères de traitement, recours aux sèmes définitoires exacts, conformité notionnelle entre le terme de départ et son équivalent terminologique dans la langue d’arrivée

Remarque générale : traitement informatisé de l’information terminologique à toutes les étapes.

 

L’expérience a amplement montré qu’en matière de terminologie thématique, le travail d’équipe regroupant des terminologues et des spécialistes du domaine sous investigation est le meilleur mode opératoire. Il permet de valider l’exactitude des termes dans la langue d’arrivée, de préciser le contenu des champs notionnel et explicatif et de forger des définitions lorsqu’il n’y en a pas. L’apport des spécialistes du domaine étudié est donc essentiel en terminologie thématique. C’est le plus sûr moyen de circonscrire les éléments constitutifs d’une définition terminologique conforme au choix du domaine et au définisseur initial et, surtout, d’opérationnaliser les « principes définitoires ». En terminologie thématique, les « principes définitoires » constituent l’axe central de délimitation et d’explicitation des notions : il s’agit (1) du « principe de concision (PC) », (2) du « principe de clarté », (3) du « principe d’explicitation et d’adéquation (PEA) », (4) du « principe de substitution (PS) », (5) du « principe de non-tautologie (PNT) », (6), du « principe de généralisation et d’abstraction (PGA) », (7) du « principe d’adaptation aux groupes cibles (PAG) », et (8) du « principe de prévisibilité (PP) » (Robert Vézina, Jean Bédard, Xavier Darras : « La rédaction des définitions terminologiques », Office québécois de la langue française, 2009).

Avant et depuis la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987, la créolistique a produit divers travaux de recherche, des articles scientifiques et des livres d’un grand intérêt en sociolinguistique, en dialectologie, en syntaxe, en phonologie, plus récemment en didactique/didactisation du créole et en aménagement linguistique. Par-delà la production très inégale de lexiques et de dictionnaires de 1958 à 2024, l’on observe que la créolistique n’a pas encore suffisamment exploré les fondements théoriques de la lexicographie et de la terminologique sous l’angle particulier de la méthodologie du travail lexicographique et terminologique. Les travaux suivants, toutefois, ont ouvert la voie à une réflexion de premier plan et il est nécessaire de les revisiter :

Albert Valdman a publié (1) « L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française » paru dans L’information grammaticale no 85, mars 2000), (2) « Vers la standardisation du créole haïtien » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1 (vol. X) et (3) « Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? (revue La linguistique, 2005/1 (vol. 41).

Marie-Christine Hazaël-Massieux est l’auteure notamment  de (1) « Les corpus créoles », Revue française de linguistique appliquée 1996/2 (vol. I)  et (2) « Prolégomènes à une néologie créole », Revue française de linguistique appliquée 2002/1 (vol. VII) ; et de

Renauld Govain a publié entre autres (1) « Enseignement du créole à l’école en Haïti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalités de terrain », in Frédéric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-Félix : voir Prudent (dir.), « Contextualisations didactiques. Approches théoriques », Paris, L’Harmattan, 2013 ; (2) « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti », revue Contextes et didactiques, 4, 2014 ; (3) « Le créole haïtien : description et analyse » (sous la direction de Renauld Govain, Paris, Éditions L’Harmattan, 2018 ; (4) « Enseignement/apprentissage formel du créole à l’école en Haïti : un parcours à construire », revue Kreolistika, mars 2021 ; (5) « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021) ; (6) « Pour une didactique du créole langue maternelle », paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021.

Le champ terminologique créole haïtien étant très jeune, il doit dès maintenant s’attacher à élaborer le référentiel méthodologique standardisé destiné à encadrer la totalité de la production des terminologies scientifiques et techniques en langue créole : le présent article entend apporter une contribution majeure sur ce registre. Le référentiel méthodologique standardisé en terminologie scientifique et technique créole est la condition première et essentielle de la mise en route –dans le vaste domaine de l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti, le créole et le français–, de chantiers terminologiques de haute qualité scientifique. Les terminologies scientifiques et techniques en langue créole sont nécessaires et elles seront utiles sur plusieurs plans : dans l’École haïtienne, elles contribueront à la didactisation du créole ; au plan professionnel, elles apporteront d’indispensables outils scientifiques aux traducteurs ; elles seront mises à contribution par les rédacteurs de manuels scolaires bilingues français-créole ou unilingues créoles ; elles contribueront à la standardisation du créole et à l’efficacité des communications dans tous les domaines de transmission des connaissances et de savoirs.

Sur le registre particulier de la formation universitaire et professionnelle en terminologie, nous faisons à visière levée un plaidoyer solidaire pour que la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti élargisse le « Programme de formation en techniques de traduction » (PFTT) mis en route en 2017 en collaboration avec l’Association LEVE. Ce cadre de formation spécifique pourrait être enrichi et devenir le « Programme de certification en traduction et terminologie » où l’enseignement serait dispensé à part égale dans les deux domaines liés, la traduction et la terminologie. À titre exploratoire, la Faculté de linguistique appliquée pourrait envisager de conceptualiser ce nouveau « Programme de certification en traduction et terminologie » –en partenariat avec les Facultés de droit de l’Université d’État d’Haïti, de l’Université Notre-Dame, de l’Université Quisqueya et avec la Fédération des Barreaux d’Haïti et le Barreau de Port-au-Prince–, afin de mettre sur pied un chantier de terminologie juridique français-créole, tout en privilégiant le volet rédaction juridique en langue créole. L’apport expert du CTTJ, le Centre de traduction et de terminologie juridique (Faculté de droit, Université de Moncton, et de l’Association canadienne des juristes-traducteurs (ACJT) serait d’une grande utilité et permettrait de contribuer à former les premiers jurilinguistes haïtiens. 

Pour terminer, voici, à titre indicatif, quelques références sur la terminologie en sus de celles indiquées dans le présent article. Aux références sur la terminologie s’ajoutent celles qui ont trait aux contacts entre le créole, le français et l’espagnol.

CABRÉ, Maria Teresa (1998) : La terminologie : théorie, méthode et applications. Les Presses de l’Université d’Ottawa.

CÉLESTIN, Tina et coll. (1984) : Méthodologie de la recherche terminologique ponctuelle : essai de définition. Services des travaux terminologiques, Office de la langue française.

CORBEIL, Jean-Claude (2007) : Le rôle de la terminologie en aménagement linguistique : genèse et description de l’approche québécoise. Revue Langages no 168. Version retouchée reprise dans le livre « L’embarras des langues / Origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise ». Éditions Québec-Amérique, 2007.

DUBUC, Robert (2002) : Manuel pratique de terminologie. Éditions Linguatech. 

GOUADEC, Daniel (2005) : Terminologie, traduction et rédaction spécialisées. Revue Langages, 39ème année, n°157. 

GOVAIN, Renauld (2014) : Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol. Éditions L’Harmattan.

GOVAIN, Renauld (2021) : De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques . Paru dans Contextes et didactiques, 17.

GOVAIN, Renauld (2021) : Le créole est aussi une langue de science . Entrevue du 28 octobre à Haïti Inter, webradio et site d’information culturelle. 

L’HOMME, Marie-Claude (2004) : La terminologie : principes et techniques. Les Presses de l’Université de Montréal.

MORTUREUX, Marie-Françoise (1995) : Les vocabulaires scientifiques et techniques. Article paru dans Les Carnets du Cediscor / 3, série « Les enjeux des discours spécialisés ». 

ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION (2000) : Travail terminologiquePrincipes et méthodes. [Genève], ISO.

ROUSSEAU, Louis-Jean (1994) : Vers une méthodologie de la définition terminologique. Paru dans MARTEL, Pierre, et Jacques MAURAIS (dir.), « Langues et sociétés en contact : mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil », Tübingen, Max Niemeyer Verlag (Canadiana Romanica, 8). 

VÉZINA, Robert, Jean Bédard, Xavier Darras (2009) : La rédaction des définitions terminologiques . Office québécois de la langue française.

Montréal, le 1er juillet 2024 Montréal, le 1er juillet 2024