— Par Roland Tell —
L’esprit collectif martiniquais fonde sa compréhension de la vie politique sur le dualisme perpétuel de l’origine et de l’histoire, comme s’il s’agissait de les distinguer interminablement. D’un parti à l’autre, les analyses idéologiques cherchent l’avenir dans le passé. C’est là un art difficile, que d’avancer à reculons, quand il est déjà dans le peuple martiniquais, rédemption des souffrances vécues, et soif de lendemains meilleurs. Car pour lui, en politique partisane, tout naître est un mourir !
Pourtant, quelles possibilités d’avenir dans le monde d’aujourd’hui ! De la surabondance même, avec la France et l’Europe, par-delà les mers lointaines de l’Atlantique et de la Mer du Nord, de la création et de la re-création avec la Caraïbe et les Amériques, pour délivrer du néant le devenir de la caribéanité, comme symétrie transcendantale de l’européanisme, – symétrie apte à combler le destin, ce à quoi est appelée la Martinique.
Désormais, proximité doit être entre le citoyen martiniquais, et son histoire – histoire vive, non comme représentation lointaine des ennemis du passé esclavagiste, non comme reconnaissance de ce qui est déjà contenu dans l’origine, mais comme manifestation du sens de l’histoire moderne, comme mutation historique et culturelle, compte tenu des nouveaux jeux de relations à l’oeuvre dans le monde.
La fascination de l’originaire a pris, après l’abolition de l’esclavage, la coloration et la présentation de l’humaine condition. Reconnaître l’origine de l’esclavage reste l’essence de l’âme nègre, certes, mais il importe d’avancer toujours vers la signification universelle de la libération. Selon Hegel, seul l’universel peut être le commencement, le principe, ou l’absolu. A partir de là, l’être libéré se détermine comme présence à soi et au monde, de surcroît légitimé en sa citoyenneté.
C’est pourquoi il importe de rappeler les tournants historiques de l’abolition et de l’assimilation, pour souligner l’ensemble des évênements et des rapports humains survenus, afin de faire sens. L’identité n’est pas la substance, c’est plutôt l’ensemble des rapports advenus, des situations vécues, et des jeux de relations à l’oeuvre dans le monde humain, aux possibilités toujours nouvelles et toujours ouvertes par l’avenir. En conséquence, tout est toujours possible pour l’homme martiniquais ! Aussi convient-il de se délivrer de ce fixisme politique, monté depuis l’image pyramidale de l’ancêtre esclave, qui empêche de considérer le chemin de l’avenir, désormais plus ouvert à la différence et à la pluralité. Car il n’y a pas de modèle historique explicatif de la fixité politicienne, pas de point, ou de borne « oméga » du sens de l’histoire, mais des voisinages multiples et indéfiniment ouverts. Ceux de l’Atlantique et de la Mer du Nord, avec la France et l’Europe, porteurs de tous les progrès technologiques, de la révolution de l’information et de la communication, du nouvel âge culturel numérique. Ceux aussi du « nouveau monde » caribéen et américain, afin de permettre la rénovation en profondeur, à la fois des échanges linguistiques pour notre jeunesse, et tout simplement des moyens modernes d’entrer en relation, en communication avec nos pays de proximité, pour toutes contributions à l’économie et à la culture. C’est bien là le coeur du problème ! Il importe d’engager cette mutation de la vie politique, propre à instaurer durablement un nouveau système de relations, permettant à chaque Martiniquais de s’épanouir davantage, de trouver sa place dans son environnement, dans le tissu de la communication sociale. C’est lui permettre enfin d’entrer dans toutes les formes d’échange et d’alliance avec ses lointains voisinages de l’histoire, mais aussi avec ses parages immédiats de même sphère céleste. C’est ce que le temps présent réclame – une politique de l’alliance et de la communication avec la Caraïbe et les Amériques !
C’est pourquoi encore il faut apprendre à utiliser la pluralité des pays et des genres. Des possibilités nouvelles s’ouvrent donc dans la Caraïbe et dans les Amériques, justifiant ainsi d’un renouveau significatif de la gestion politique à la Martinique, bien loin du fixisme d’aujourd’hui, où chaque parti politique se considère telle une caste, sans évolution possible. Certes, des inquiétudes subsistent dans le peuple martiniquais, s’agissant de ce régime actuel de séparation radicale, de déflagation politicienne, de lutte des partis – tous comme figés en idées fixes de quête du pouvoir martiniquais. Jusqu’à quel conflit destructeur ? Car, même dans le cadre d’une alliance gestionnaire, les trahisons sont aujourd’hui paiement. Regardez donc du côté de la politique touristique, la seule à la pointe du progrès, n’est-ce pas l’enfermement et le reniement ? Regardez le sort réservé à la Conseillère Exécutive, en charge du tourisme ! La voilà soumise à la rage mortelle de supposés soutiens, de droite comme de gauche, tous unis, pourtant, par un contrat d’alliance ! Qu’a-t-elle donc fait ? Elle a réussi ! Péché de prospérité dans une gouvernance marécageuse ! Alors, c’est la curée ! De meurtrières voix, de meurtrières mains, hier partisanes et fidèles, ont des grouillements de fourmilière dans les médias locaux. Mais l’alliance demeure : elle est aujourd’hui une fièvre, nourrissant la maladie de la gouvernance, désormais exclue de guérison ! L’alliance demeure, hélas, de la meilleure façon. Ô nausée, nausée, nausée, dans les moeurs politiques, et sur les plages de nos mers, qui se nourrissent, pour longtemps, de la mort des sargasses !
Et pourtant, s’agissant de la politique touristique en question, il importe de souligner une vertu rare de l’action politique : l’inspiration. Autant que l’expérience, rien n’est plus réel et plus nécessaire à la gestion politique, et à toute grande réalisation, que l’inspiration du politique, surtout quand elle est profonde et soutenue. Car, en politique, l’inspiration est toujours nécessaire dans son premier germe, comme pleinement développée, comme mouvement qui tout envahit. Ainsi, la puissance de l’inspiration politique est la puissance d’une source, non seulement une source, qui est au commencement, mais encore une source qui est, autant que le permet la politique, simultanée au processus entier de l’oeuvre, comme c’est le cas actuellement pour la politique du tourisme.
C’est pourquoi, de la vie politique à venir, il faut continuer de dire la louange ! Oui, c’est dans le mouvement et l’inspiration que la Martinique pourra vivre les phénomènes d’évolution accélérée, tant attendus d’ailleurs au niveau des relations humaines, économiques, sociales, culturelles, en Europe, dans la Caraîbe, et les Amériques. Qu’advienne donc un nouveau régime politique, certes plus inspiré, placé sous le signe de la coopération inter-caribéenne et américaine, non pour se reproduire, mais pour se dépasser, dans la senteur de terre de nos voisinages génériques ! Le bien de l’oeuvre politique dépend, davantage aujourd’hui, de tous ces rapports politiques et économiques à engendrer pour les besoins de notre vie humaine – bien en soi et pour soi, dans un monde ayant une existence propre, selon l’intériorité du Martiniquais à soi-même. C’est maintenant que la prise de conscience se développe comme processus historique, par lequel la Martinique prend conscience d’elle-même dans les temps d’aujourd’hui. Du fait que son proche avenir lui est ainsi révélé, la Martinique doit s’engager, de plus en plus profondément, de plus en plus irrémédiablement, dans une expérience historique et culturelle, qui n’appartient qu’à elle. C’est désormais sa destinée.
En conclusion, hors tout mythe identitaire, il importe de saisir toutes les voies d’évolution, capables d’apporter toutes formes de ressources au bien commun martiniquais. D’où l’avênement d’une nouvelle ère politique, placé sous le signe de la coopération, selon la genèse de l’histoire, certes, au sein de relations multiples, dans un pluralisme bien organisé, vers la France et l’Europe, et vers la Caraïbe et les Amériques. C’est tout là le véritable destin historique des Martiniquais, celui de leurs souffrances ancestrales, mais aussi le vaste espace de leur bien commun. C’est déjà là produire une révolution !
ROLAND TELL