— Par Bahar Makooi —
Le Conseil mondial pour les réfugiés (CMR) appelle les États à changer leurs lois pour permettre de redistribuer l’argent saisi dans le cadre d’affaires de corruption afin d’aider à l’accueil des réfugiés.
Entre 15 et 20 milliards de dollars de biens mal acquis seraient gelés sur des comptes bancaires, d’après la Banque mondiale. Combien, sur ce volume d’argent, pourrait être récupéré pour les réfugiés ? C’est la question posée par le Conseil mondial pour les réfugiés (CMR). L’ONG dirigée par un ancien ministre canadien des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, propose de saisir cet argent pour « dégager de nouveaux fonds pour les réfugiés ». Une idée qu’elle a soumise à l’ONU et la semaine dernière à l’Union africaine.
Dans un rapport publié le 23 janvier, l’organisation, créée en 2017 pour chercher de nouvelles possibilités de financement de l’effort migratoire, prône « le partage des responsabilités ». « Les régimes oppressifs, responsables d’une grande partie de la migration forcée, sont dans de nombreux cas corrompus, ils volent leurs trésors et placent leur argent et d’autres actifs à l’étranger », souligne le texte. Lloyd Axworthy, interrogé par l’AFP, propose de faire appel aux tribunaux pour saisir les fonds bloqués dans des comptes gelés en raison de sanctions. Cet argent, saisi dans le cadre d’affaires de corruption visant des « régimes oppressifs », pourrait servir à « soulager une partie de la pression financière qui s’exerce sur des pays hôtes, certains disposant de ressources très limitées », ajoute-t-il.
« L’Ouganda, la Tanzanie, l’Éthiopie ou bien la Jordanie font partie des pays qui pourraient en bénéficier. Ils accueillent le nombre le plus important de réfugiés sur leurs continents respectifs », précise Fen Osler Hampson à France 24. Le directeur adjoint du CMR suggère que ce soit le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) qui redistribue ensuite les sommes saisies aux ONG locales d’aide aux migrants dans les pays d’accueil.
Convaincre les États de se séparer de l’argent saisi
Toutefois, la redistribution des saisies de bien mal acquis paraît difficile à mettre en œuvre sans modifier le cadre législatif des États où des procédures ont été lancées. C’est le cas de la France, où le fils du président de la Guinée équatoriale, Teodorin Obiang, a été condamné en 2017 à trois ans de prison avec sursis et à 30 millions d’euros d’amende, également avec sursis.
L’ONG Transparency international, qui s’est constituée partie civile dans ce procès, réclame un changement de la loi française. « En l’état actuel du droit français, rien ne permet de garantir l’affectation des avoirs issus de la grande corruption au profit des victimes. Pour le moment, l’argent saisi est transféré directement sur le budget de l’État », indique l’organisation de lutte contre la corruption. Transparency international réclame l’affectation de cet argent à des programmes de développement en lien avec la société civile et les ONG du pays dans lequel il a été détourné.
« Redistribuer l’argent saisi, personne ne l’a encore fait, ce serait inédit », confirme Fen Osler Hampson, dont la mission dans les mois à venir va consister à convaincre les pays qui disposent de ces « fonds gelés » de modifier leurs lois. Des discussions sont en cours avec le Canada, et le CMR envisage de se tourner vers le Royaume-Uni, les États-Unis mais aussi le Kenya.
L’ONG en profitera alors pour défendre d’autres propositions inédites émanant de son rapport. Parmi ces idées, le CMR suggère que les pays qui refusent des réfugiés se voient demander en contrepartie une contribution financière. Pour lutter contre le changement climatique, il y a désormais des « obligations vertes » (« green bonds »), pourquoi ne pas imaginer des « obligations réfugiés » (« refugees bonds »), propose l’organisation.