« Real » : allégorie et métaphore du dessaisissement de l’être

— par Roland Sabra —

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Que peut-on connaître au delà de ce qui nous est donné ? Atsumi, est une mangaka, une dessinatrice talentueuse de mangas. A la suite d’une tentative de suicide elle se trouve plongée dans un coma profond. Son compagnon, Koiki va se joindre à un programme médical novateur permettant une mise en relation, une prise contact de cerveau à cerveau pour la faire revenir pleinement parmi les vivants. Mais voilà que l’expérience se brouille. Quel esprit pénètre l’autre ?
Kiyoshi Kurosawa livre une fable fantastique, élégante et stylisée de fantômes japonnais pour nous questionner sur notre rapport à la réalité à une époque de mutations technologiques, véritables chevaux de Troie de l’expansion d’un imaginaire triomphant. La frontière est fragile, elle laisse passer les « Zombies philosophiques », ces spectres dessinés comme des figures de jeux vidéo, qu’Atsumi déploie et que Koiki croise dans ses voyages aux confins infinis et secrets de ce chemin vers l’autre. L’intrigue du film est moins importante que le déploiement d’une allégorie de la condition humaine marquée d’une culpabilité originelle fondatrice de l’entrée dans la culture. Dans Real elle prend d’une part, la forme de l’immixtion de l’urbain, qu’il soit humain ou architectural, dans le monde champêtre d’une île jusque là protégée et d’autre part, celle d’une déshumanisation extrême des rapports sociaux au cœur même des villes. Tout comme dans Kairo, les spectres, aux masques de cire, sans identités et qui rôdent à l’entour, semblent des métaphores du dessaisissement de l’être exacerbé par l’envahissement de technologies asservissantes. Dans Kairo, c’était un virus informatique, qui sortait de la machine et qui tuait infailliblement, dans Real c’est, sous des figures changeantes et différentes, le retour du même, celui d’une enfance à jamais étrangère au royaume de l’innocence. Aucune incantation pour un retour à un avant paradisiaque. Cet avant là n’a jamais été. La mort comme seule issue possible rôde, envahissante comme une marée qui monte, silencieuse en ville ou en tempête en bord de mer. De cette eau immémoriale surgira, comme le retour d’un refoulement originaire, le plésiosaure, ce monstre marin de la préhistoire qui a réellement existé ! La seule digue qui tienne, par sa fragilité même, qui puisse maintenir temporairement la mort à distance semble être celle de l’amour. Car Real est avant tout une superbe histoire d’amour, nouée dans l’enfance avant de se déployer, de complicité en complicité, à l’âge adulte. Cet amour, né dans le don d’un collier ou d’un dessin, dans l’insistance d’un regard qui s’attarde, plus fort que la mort sera, le moteur du renversement narratif qui va entraîner le spectateur vers un ailleurs encore plus improbable que tout ce que le réalisateur l’avait laissé imaginer jusqu’à ce point de bascule.
Un film qui nous conte une histoire d’amour d’une grande beauté et d’une délicatesse de l’ordre du ravissement.

real_kurosawa. A Madiana le 16 juin à 19 h

 

« Real » : la bande-annonce