— Par Michèle Bigot—
C’est en 1848 que Thoreau produit ce texte inclassable, brisant les catégories du récit, de l’essai philosophique et du journal intime. Il y relate sa vie quotidienne dans les bois,(2 ans, 2 mois et 2 jours) près de l’étang de Walden où il a construit lui-même sa cabane.
D’emblée le spectateur, confronté à ce tissu de méditations, observations, narration, s’interroge sur le titre et surtout sur son préfixe problématique. Le « re » vaut-il pour une reprise, une réponse, une réactivation ? C’est sans doute tout cela et surtout une réviviscence que nous propose J.-F. Peyret. Car son écriture théâtrale, faite d’une combinaison d’images fortes, de jeux de lumière, de magie numérique, le tout harmonisé par un concert de voix nous offre une relecture et une réactualisation de ce texte. Ce spectacle total étaye son rythme original sur une musique et un dispositif électro-acoustique dont la modernité est comme un défi à l’idéologie écologiste de Thoreau.
Une écriture dramatique des plus contemporaines et un travail intense et minutieux des multiples dimensions du spectacle théâtral soutiennent donc cette relecture. Ce travail théâtral a toute la finesse du cousu main, sans renoncer à aucun des procédés de la modernité plastique et musicale.
Grâce à cette mise en scène, ce texte foisonnant, dont la modernité repose sur le décloisonnement des genres, active une série d’échos dans l’esprit du spectateur. La magie d’une scénographie épurée dans ses lignes, quoique foisonnante dans ses ressources (fantasmes visualisés, images, déplacements, musique, gestuelle, lumières, jeux de paroles dédoublées, présence du texte écrit …), restitue toute sa force à cette méditation et lui confère une actualité saisissante.
Les plus beaux passages offrent une méditation poétique sur la solitude, sur la nature. Les actes les plus triviaux, souvent regardés avec mépris, y retrouvent toute leur force et leur verdeur native. Rien n’y paraît aussi urgent, aussi important que de bâtir soi-même sa maison, et d’y assumer avec bonheur une pleine solitude. L’obsession de Thoreau, si justement rendue par Peyret est de ne pas arriver à la fin de sa vie pour s’apercevoir que l’on n’a pas vécu.
C’est donc toute la riche matière d’une vie humble et pauvre qui s’offre au spectateur qui sait voir et entendre.