— Par Selim Lander —
Les RCM sont l’occasion de découvrir quelques films présentés à Cannes. On a dit ici tout le bien qu’on pensait de Paulina, couronné par la Semaine de la critique. Les cinéphiles trouveront moins leur compte avec la sélection officielle (ce qui est souvent le cas mais particulièrement ici).
Ma Loute, de Bruno Dumont a divisé la critique. Il est vrai que B. Dumont est un cinéaste atypique (les anciens spectateurs du cinéma d’art et essai se souviennent de La Vie de Jésus, 1997) qui ne laisse pas indifférent. Ma Loute est dans la même veine que sa série télévisée, Petit Quinquin – qu’on a pu voir ici sur la TNT en clair. S’il s’agit à nouveau d’un portrait sans aucune concession, le sujet a changé : des paysans du nord aujourd’hui, on est passé à la Belle Époque et à la bourgeoisie en villégiature au bord de la mer. Portrait sans concession ou plutôt caricature non seulement des bourgeois mais tout autant des autres personnages qui tournent autour : une famille de pêcheurs et quelques policiers.
Des vacanciers disparaissent et la police cherche à percer l’énigme. Le spectateur sait très bien, lui, de quoi il retourne. Ce sont les pêcheurs pauvres (« pauvres pécheurs ») qui trucident, détroussent et font disparaître les cadavres… au fond de leur estomac. Ce qui nous vaut une scène de cannibalisme particulièrement « succulente » (estomacs délicates s’abstenir). Puisque les pauvres s’attaquent aux riches (moyennement riches), on pourrait voir dans ce film – à l’instar de quelques critiques – une allégorie de la lutte des classes. Il n’en est rien : Dumont maltraite autant les « prolos » que les bourgeois. C’est un misanthrope aux yeux duquel nul ne peut se racheter. Les enfants, les jeunes gens ne valent pas davantage que les adultes : ils sont simplement plus frais. Un tel point de vue sur le monde peut faire du bon cinéma, au vitriol, et, de fait, cela marche bien dans les épisodes de Petit Quinquin. Tandis que Ma Loute a bénéficié de davantage de moyens (casting prestigieux, costumes d’époque), le résultat s’avère décevant : le scénario n’avance guère et l’on finit par décrocher. Le plus intéressant est de découvrir des comédiens célèbres – Fabrice Luchini et Juliette Binoche, en l’occurrence – dans des rôles de composition très éloignés de leurs personnages habituels. Valeria Bruni Tedeschi se sort moins bien de cet exercice.
Les deux autres films ont pour point commun d’être centrés sur des personnages féminins et de montrer des scènes de masturbation féminine. Quand on dit « montrer », il s’agit seulement, bien sûr, pour la comédienne, de mimer l’acte en question, comme cela se voit également souvent, aujourd’hui, au théâtre. Dans The Neon Demon (qu’on pourrait traduire par « les feux de la rampe »), l’onanisme est particulièrement corsé puisqu’il s’insère dans une scène de nécrophilie lesbienne. Mais Elle n’est pas en reste avec plusieurs scènes de viol (dont les derniers consentis !). Ajouté au cannibalisme de Ma Loute, tout ceci fait vraiment beaucoup. Faut-il vraiment avoir l’esprit aussi tordu pour entrer dans la sélection officielle de Cannes, désormais (sinon pour séduire le jury, aucun des trois films n’ayant reçu de récompense) ? On verra ce que donneront les années à venir.
Les deux films ont également en commun de se dérouler dans des milieux « branchés » : le monde des films d’animation et de la littérature pour Elle, celui des top models pour The Neon Demon. Elle est mis en scène par Paul Verhoeven et le personnage principal est incarné par Isabelle Hupert. Celle-ci est entourée de personnages dont certains hauts en couleur (comme la mère obsédée sexuelle jouée par Judith Magre) : un grand dadais de fils, un ex-mari à la triste figure, l’ombre d’un père serial killer, et d’autres, étrangers à la famille, parmi lesquels le violeur, évidemment. L’intrigue tourne autour de ce dernier et de sa victime : qui est-il et pourquoi finit-elle par apprécier de se faire frapper violemment et se laisser prendre comme une bête par une brute déchaînée ? En réalité, on nage dans un sadomasochisme plutôt bon enfant… si tant est qu’une pareille chose soit concevable. Pourquoi pas, mais Isabelle Huppert n’a pas trop l’air d’y croire et toute l’histoire laisse les spectateurs plutôt indifférents (en dehors peut-être de ceux qui se reconnaitraient dans l’un ou l’autre des deux personnages principaux).
The Neon Demon de Nicholas Winding Refen nous transporte à Los Angeles dans le milieu de la mode. Une jeune orpheline de seize printemps a décidé de faire carrière comme top model. Si elle n’a pas tout-à-fait la plastique idéale pour faire ce métier, elle possède quelque chose d’autre, un charme certain lié à sa jeunesse, à son innocence (elle ne l’a pas encore « fait » et n’est pas pressée de le « faire ») qui attire autour d’elle les hommes comme les femmes. Une innocence toute relative, cependant, la jeune demoiselle étant pourvue d’une ambition dévorante, carnassière. Lorsque son soupirant l’accuse de vouloir imiter les filles qui naviguent dans le monde selon lui frelaté de la mode, elle lui répond froidement : « I don’t want to be them ; they want to be me ! » Comme pour les deux films précédents, le sujet peut faire une bonne histoire cinématographique, néanmoins The Neon Demon accumule les poncifs (le gardien de motel sadique, le photographe mégalo, le grand couturier « artiste », la mannequin anorexique, le soupirant naïf, la maquilleuse amoureuse des « top »). On dira que tous ces ingrédients sont sans doute inévitables avec un tel sujet. Ce qui n’est pas faux mais la facture du film fait preuve d’un maniérisme (des images vidéo abstraites, des scènes censément rêvées par l’héroïne) qui frise le ridicule. De ces trois films, c’est celui dont la présence dans la sélection officielle cannoise s’avère la plus incompréhensible.