— Par Selim Lander —
Deux films qui ne se ressemblent guère a priori : un documentaire canadien sur les Haïtiens immigrés en République dominicaine et une fiction tournée au Mali qui raconte les méfaits d’un despote féodal. Un point commun cependant unit les deux films : la dénonciation d’un monde, le nôtre, où le fort exploite systématiquement le faible. Cela prend des formes différentes selon les pays et selon les époques. Le fort d’hier peut se retrouver le faible d’aujourd’hui mais l’exploitation de l’homme par l’homme dénoncée par un Marx qu’on finira bien par prendre à nouveau au sérieux est toujours la règle.
Le triste sort des Haïtiens employés comme des esclaves dans les plantations de canne à sucre de l’autre côté de la frontière et parqués dans des bateys est connu depuis longtemps. S’il y est fait allusion dans Citoyens de nulle part, les Haïtiens sont loin, désormais, d’être tous occupés à la culture de la canne à sucre et le documentaire d’Alexandre Tremblay et Régis Coussot se focalise plutôt sur la décision intervenue en 2013 au terme de laquelle les Haïtiens et plus généralement les personnes d’origine haïtienne devaient être renvoyées en Haïti, y compris donc celles nées à Saint-Domingue, qui ne parlent qu’espagnol et qui n’ont aucun lien avec Haïti. Les auteurs montrent comment une partie de la population dominicaine est instrumentalisée par une élite apte au double jeu : prenant d’un côté les immigrés haïtiens comme des boucs émissaires, tout en les utilisant, d’un autre côté, ce qui a pour effet immédiat de contenir la hausse des salaires. Et de fait, l’immigration est un instrument de régulation salariale dont les salariés du pays d’accueil font toujours les frais. C’est d’ailleurs l’argument principal des partisans du « Brexit » : selon eux, sortir la Grande-Bretagne de l’Europe permettrait de mettre fin aux invasions de Polonais et aux citoyens des autres pays membres (parmi lesquels pas mal de Français).
Tandis que Citoyens de nulle part est plutôt bien fait, même si, pour un documentaire, il s’avère parfois insuffisamment explicite, Guimba de Cheick Oumar Sissoko est une sorte d’ovni cinématographique qui laisse de marbre les spectateurs. Il est vrai que les conditions de la projection dans la salle Fanon sont loin d’être idéales, ce qui a dû nuire à la réception du film. Il n’en demeure pas moins que ce film traîne en longueur avec trop de séquences répétitives et une intrigue poussive qui peine à retenir notre attention. Guimba, pourtant, ne manquait pas d’atouts pour nous séduire : le décor d’un village en pisé, les costumes somptueux autant pour les hommes que pour les femmes, les cavaliers, enfin toute une couleur locale propre à créer une rêveuse nostalgie. L’action du film, tourné en 1995, se situe dans un passé indéterminé mais qui semble antérieur à la colonisation. Seule trace de modernité : quelques pétoires à charger par le canon.
Le chef du village, Guimba, est un odieux personnage qui use de la magie pour asservir la population. Il est affublé d’un héritier nain, digne fils de son père. Kali, la plus belle fille du village lui est promise depuis sa naissance et le temps est venu de songer aux épousailles. Désespoir compréhensible de la demoiselle. Heureusement, le nabot préfère les femmes plus en chair. Cependant Guimba convoite la mère de l’ex-fiancée et enjoint au père de divorcer… Pendant ce temps, le spectateur attend avec de plus en plus d’impatience le dénouement logique du film, c’est-à-dire l’élimination de Guimba et de son héritier, le mariage de Kali avec un amoureux de son choix. Car l’action n’avance pas. Les séquences se répètent presque à l’identique : les cavalcades dans les ruelles du village, les audiences chez le chef, les interventions du griot…
Il reste à comprendre pourquoi, alors que la cinématographie africaine est riche de tant de chefs d’œuvre, c’est ce film poussiéreux qui a été choisi. Faute d’en savoir plus, on est réduit à imaginer une manœuvre de la diplomatie culturelle : le réalisateur était invité, la Cinémathèque Afrique – émanation du ministère français des Affaires étrangères – était présente lors de la projection en la personne de sa directrice (?)
Les RCM 2016 n’ont pas offert jusqu’ici de grands moments de cinéma. Faudra-t-il attendre jusqu’à la fin, comme les supporters de l’équipe de France au début de cet Euro 2016, pour voir de belles choses ? On refuse d’envisager une telle perspective.
RCM, 18 juin 2016, à l’Atrium.