— Par Selim Lander —
Le cinéma comme on l’aime. Rien d’extraordinaire pourtant. Ou serait-ce justement pour cela qu’il plaît, parce qu’il n’a rien d’extraordinaire ? Un film comme on sait les faire en France, sans grand moyen, sans intrigue ronflante, un film fait de tranches de vie, des vies ordinaires, des existences difficiles pour des gens qui refusent néanmoins de se laisser abattre, en dépit des épreuves, des injustices. Ici le personnage principal, Olivier, est marié à Laura et père de deux enfants en bas âge. Il est chef d’équipe dans l’entrepôt d’une société de vente par correspondance et syndicaliste. Un beau matin, Laura quitte le domicile sans prévenir personne. Le spectateur qui se demande pourquoi elle a abandonné ainsi enfants et mari et si elle reviendra, restera sur sa faim mais il se sera laissé submerger par des émotions et en premier lieu par la tendresse qui unit les principaux personnages.
Celle de Laura et d’Olivier pour leurs enfants, celle des enfants entre eux, celle – un tantinet maladroite – de la grand-mère, celle de la sœur d’Olivier envers son frère et ses enfants, celle de la « camarade » syndicaliste pour Olivier (qui ne la lui rendra pas autant qu’elle l’aurait voulu), etc.
Nos batailles est pourtant un film dur, dur comme la réalité, dur comme la condition des employés des entrepôts, chefs ou subalternes, salariés qu’on jette sans ménagement, dur comme le travail chronométré, le chômage, la vie chère, le salaire toujours insuffisant pour acheter les bonnes choses imposées par le marketing, etc. Une scène parmi d’autres : alors que Laura, avant son départ, est employée dans un magasin de fringues, une cliente ne peut pas payer la petite robe qu’elle avait choisie (sa carte de paiement est refusée). Laura ne supporte pas l’incident : elle s’effondre et c’est peu après qu’elle s’enfuit de la maison.
Romain Duris est à peu près le seul personnage masculin, les autres n’étant que des comparses. Il est entouré des femmes qu’on a déjà citées – la mère, l’épouse (jusqu’à son départ), la camarade, auxquelles il conviendrait d’ajouter la responsable de l’entrepôt. A côté de Romain Duris – qui a pris de la bouteille depuis De battre mon cœur s’est arrêté – formidable dans ce film, toutes ces comédiens et les deux enfants jouent si juste qu’ils nous prendraient dans les filets de la réalité si le scénario n’était aussi chargé, comme s’il avait fallu tout dire dans un seul film du travail en entrepôt : le licenciement de l’ouvrier fatigué et de la jeune femme enceinte, le bâtiment glacial en hiver, les cadences, les heures supp imposées, les pauvres animations de Noël imaginées par la DRH, la position ambigüe du petit chef en même temps syndicaliste, la militante qui finit par craquer. Une telle accumulation finit par créer chez le spectateur une certaine distance face à un film qui reste néanmoins émouvant de bout en bout.
En première partie, un court métrage d’animation (projeté cette fois salle éteinte, merci ! – voir notre premier billet sur les RCM) très original : des dessins à la Gérôme Bosch, en noir et blanc, avec quelques taches de rouge, qui défilent verticalement depuis le ciel jusqu’aux enfers – si l’on a bien compris –, le tout accompagné d’une musique étrange et moderne, un peu trop forte à notre goût. Défilent ainsi une multitude de personnages ou d’êtres fantastiques (d’où la référence à Bosch).
Une tentative audacieuse de la part de l’équipe de réalisation, une expérience tant visuelle qu’auditive pour le spectateur.
Programme du 25 mars 2019