Félicité, Clôture
Félicité d’Alain Gomis
Voilà un film reconnu par la critique (sélectionné à Berlin, Étalon d’or au dernier FESPACO) qui laisse néanmoins une impression mitigée. Le résumé dans le programme du RCM est parfaitement exact. L’héroïne, Félicité est bien une chanteuse qui se produit dans un bar, « libre et fière » ; à la suite de l’accident de moto de son fils, elle se lance dans Kinshasa à la recherche de l’argent nécessaire pour l’opération ; il y a également un homme, un mécanicien, Tabu, qui s’intéresse à elle : assez d’ingrédients pour faire un bon film.
De fait, on peut regarder ce film comme une tragédie, au sens moderne du terme. Voilà en effet une femme dure, une femme « debout » qui traverse les épreuves avec un courage indomptable. Et les épreuves ne manquent pas quand on est une femme seule, obligée de se débrouiller par elle-même dans la jungle d’une grande ville du Tiers-Monde. La partie centrale du film qui montre Félicité se débattant pour que son fils soit correctement soigné peut être regardée comme une docu-fiction. L’occasion de mesurer une fois de plus la chance que nous avons, en Europe et en France en particulier, d’avoir une sécurité sociale qui fonctionne (et, soit dit en passant, la folie du peuple américain qui a élu un président désireux de supprimer « l’obamacare »). Face à la cruelle réalité à laquelle sont confrontés les Africains (et bien d’autres de part le monde), les intermèdes au cours desquels nous entendons en répétition l’orchestre symphonique et le chœur national du Zaïre fournissent un répit apprécié par les âmes sensibles.
Si le film ne soulève pas l’enthousiasme, ce n’est pas en raison de la peinture (salutaire) de la situation des peuples de pays où les richesses nationales (qui sont grandes au Zaïre) sont détournées au bénéfice des élites corrompues, mais plutôt en raison de certains choix du réalisateur. Tout d’abord son personnage central, celui de Félicité, ne soulève pas l’empathie. C’est une masse impénétrable, le plus souvent muette (sauf quand elle chante, et son talent est limité), filmée en gros plan, qui n’exprime pas grand chose (en dehors, bien sûr, des pensées que le spectateur voudra lui prêter). Même parti pour le fils accidenté, complètement mutique sans qu’on sache pourquoi, jusqu’à ce qu’il se décide à communiquer un beau jour, bien après son retour à la maison, sans qu’on comprenne, à nouveau, ce qui l’a fait changer d’avis. Le seul personnage véritablement humain est celui de Tabu, lequel – quoiqu’infidèle : nul n’est parfait – semble avoir un « sentiment » véritable pour Félicité et qui, après la sortie du fils de l’hôpital, deviendra d’ailleurs pour lui une sorte de père de substitution.
Les partis pris esthétiques d’A. Gomis sont également contestables. Les scènes de rêves, la nuit, dans la forêt sont si sombres que l’on ne voie pratiquement rien. A l’opposé, certaines scènes de rue sont volontairement surexposées sans que l’on sache dans quelle intention.
Enfin, le film dure plus de deux heures, ce qui est sans doute trop long pour un scénario aussi mince.
La cérémonie de clôture
Clôture en beauté des Rencontres avec les remises des prix des divers concours : documentaires, courts métrages et vidéo-clips. Des documentaires nous ne pourrons rien dire, puisque nous ne les avons pas visionnés, sinon qu’une mention spéciale a été accordée à Dialoguo con mi abuela de Gloria Rolando (Cuba) et que Si Bondyé vlé, Yuli de Jean Jean et Rocio Barba (Haïti) a reçu le prix. Par contre les films récompensés dans les autres séries (moins longs) ayant été projetés pendant cette soirée qui couronnait les RCM 2017, nous pourrons en dire quelques mots.
Concernant les courts métrages caribéens, deux jurys ont été constitués. Le jury lycéens a accordé une mention spéciale à Chatarra de Rolando Meléndez (Puerto-Rico) et primé Lost Soul de Fabrice Pierre (Guadeloupe), tandis que le jury officiel (présidé par Alfred Alexandre) a récompensé Féfé Limbé de Julien Silloray (Guadeloupe). Si nous avions participé au jury, nous aurions plutôt appuyé le choix des lycéens. Car Lost Soul est un film prenant. Il suit les déplacements d’un chauffeur de taxi (blanc) à Brighton (GB). Il a des états d’âme (renvoyé de la police, en instance de divorce, privé de sa fille) et le scénario est construit de telle sorte que ce sont les clients qu’il embarque successivement dans son taxi qui, additionnés, le pousseront à demander à un psy l’aide dont il a à l’évidence besoin. Si le scénario est original, la photo ne l’est pas moins avec les vues sur les maisons blanches de Brighton, la nuit. À côté de ce petit chef d’œuvre d’élégance retenue, Féfé Limbé paraît bien plus convenu (surtout aux yeux de quelqu’un habitué aux productions antillaises). Non que ce « court » manque de qualité. Le scénario, là encore, est bien fichu : l’histoire d’un malheureux sexagénaire guadeloupéen qui n’accepte pas que sa femme ait pu le quitter et refaire sa vie en Métropole. On essaye bien de lui mettre une autre femme dans les pattes ; en vain car il préfère rester sur son idée fixe, son ex. Et comme quelqu’un lui a dit, en passant, que si l’on n’avait pas de quoi se payer le billet d’avion pour la France, on pouvait toujours y aller en voiture, les dernières images du film le montrent entreprenant cette traversée plus qu’improbable. L’histoire se tient, cependant la manière dont elle est filmée n’apporte rien d’intéressant en dehors des gros plans sur le visage lunaire de Féfé (et ses propos hésitants en créole) qui font rire le public.
Trois prix étaient réservés aux vidéo-clips : celui du public, celui des étudiants de l’école Parallel 4, enfin celui du jury officiel. Compte tenu de la vulgarité habituelle de ce mode d’expression, on pouvait craindre le pire. De fait, le prix du public (mobilisé sur internet), qui est consacré au chanteur X-Man et signé Florent Xerri et Yannis Sainte-Rose, ne déroge pas à la règle. Les deux autres prix, par contre, ont agréablement surpris. Lapli pé tombé, une chanson de Jocelyne Béroard mise en images par Nadia Charléry, se contente de montrer la chanteuse (sans la faire chanter) en compagnie d’un homme très épris d’elle, avec de belles vues sur la Martinique : rien de transcendant mais l’ensemble est sympathique. Le jury officiel a décerné, quant à lui, deux mentions, respectivement à « Zandoli Videoz » (sic) pour La Foule d’Ezy Kennenga et à Michaël Blamèble pour Galigaou de David Blamèble. Le prix lui-même est allé à Vianney Sotès pour Pa viré métey de Jimmy Felvia : un prix plus que mérité à la fois (et d’abord) pour le piano-jazz de J. Felvia et pour les images du réalisateur, situées dans un décor d’usine sucrière en ruine, avec des danseurs et danseuses chorégraphiés par Laurent Troudard. Certes, les danseuses paraissent parfois empruntées mais cela ne parvient pas à gâcher notre plaisir tout au long de ce petit film de 5’30 qui ravit les yeux autant que les oreilles.
Les couacs de Madiana (2)
– Nouvelle erreur sur l’horaire. Alors que La Region Salvaje était annoncée le 24 mars à 22 h sur le programme des RCM, la séance était affichée (et devait débuter) à 22h30.
– Pendant toutes les RCM, les films projetés à Madiana ont commencé directement, ou presque, avec seulement une publicité de Mercedes, sponsor des Rencontres. Quel bonheur de pouvoir assister au film qu’on a choisi sans être contraint d’avaler contre son gré dix minutes ou plus de pubs insipides, déjà vues un nombre incalculable de fois, le son poussé au maximum ! Hélas, ce bonheur n’a même pas duré jusqu’à la fin des Rencontres ! Dès le vendredi 24, on était retombé dans l’ornière habituelle et l’on a subi, impuissant, le défilé des images laides accompagnées des niaiseries d’usage. Passe pour les spectateurs qui ne fréquentent les cinémas qu’occasionnellement. Pour les spectateurs assidus, ces publicités qui se répètent souvent les mêmes pendant des mois sont insupportables. Payer pour voir la pub ? N’y a-t-il pas là un motif de s’indigner ? Tropiques Atrium ne pourrait-il obtenir que les films en VO – au moins ceux qui arborent son label – soient « dispensés » de pub ?