Le Christ aveugle, Relève, histoire d’une création, Your Name
— Par Selim Lander —
L’abondante programmation des RCM 2017 est telle qu’elles ne cèdent rien à bien des festivals de cinéma : 36 longs métrages, dont 6 documentaires auxquels s’ajoutent 10 courts-métrages de la dernière Semaine de la critique ou de la sélection ADAMI (Cannes 2016), plus 8 courts métrages caribéens, des courts-métrages d’animation des élèves de l’École des Gobelins, 16 vidéo-clips, etc. et enfin, last bust not least, deux films pour les chères petites têtes noires (ou blondes). On espère que les Martiniquais mesurent bien la chance qui est la leur. En attendant, soulignons qu’un modeste chroniqueur ne saurait y suffire et pas davantage la tout aussi modeste équipe des critiques de madinin-art, d’autant plus qu’elle se trouve, en cette période cruciale, privée de son chef, le valeureux et talentueux Roland Sabra. Nous ferons donc ce que nous pourrons. Voici, en attendant la suite, une première moisson de films.
Le Christ aveugle de Christopher Murray
Commençons par le dernier visionné, celui qui est le plus frais dans notre tête, et certainement pas le moins intéressant. On l’a dit et redit, le septième art est un moyen extrêmement efficace de dépayser, i.e. de faire découvrir des mondes (terrestres le plus souvent) de nous inconnus. Qui peut se vanter, par exemple, de connaître le Chili ? Eh bien, Le Christ aveugle aurait pu (pour ceux qui l’ont dédaigné) leur en donner une autre idée que les cartes postales de Santiago. Ils auraient découvert le Chili des plus humbles bourgades et des plus humbles quartiers, les pauvres casemates, où, pourtant, des hommes (et des femmes) vivent ! (« Est-ce ainsi que les hommes vivent » ? chantait Ferré sur les vers d’Aragon.)
Christopher Murray (chilien, même si son nom ne l’indique pas) met en scène un comédien nommé Michael (comme dans le film) Silva, dans le rôle d’un barjot qui se croit habité par la grâce divine au point de pouvoir accomplir des miracles. Et le peuple est prêt à le croire… Las, notre thaumaturge autoproclamé ne réussira aucun miracle et finira sagement auprès de l’encore jeune maman d’un ami apprenti footballeur. (Inutile d’avoir fait de hautes études pour saisir le rapport homothétique entre Dieu et le football : à chacun son opium!)
Changement de focale. Tout ce qui précède est sorti de la plume (!) d’un intello qui regarderait le film avec une certaine commisération. Maintenant, laissons ce même spectateur s’humaniser. Que verra-t-il ? Une merveille de film dans lequel le cinéaste nous apprend à connaître un peu, avec empathie et délicatesse, ces frères humains qu’un intello ne rencontrera jamais sur sa route mais qui valent bien autant que lui et même peut-être davantage puisqu’ils ont été privés de tout ce qui fait la (soi-disant) supériorité de l’intello, la chance de faire de bonnes études et l’habitude du confort (au moins relatif). Le petit peuple chilien est crédule ? Sans doute. Il a besoin de croire comme nous avons « besoin » de nos bagnoles : ni plus ni moins !
Ce film atypique révèle de réelles qualités chez son réalisateur. Les trognes en gros plan des vieux Indiens, la pampa semi-désertique avec le vent qui soulève la poussière, les intérieurs à l’allure de bidons-villes, même les (discrètes) scènes d’amour entre des corps loin d’être à notre mode, tout serait à retenir par un apprenti cinéaste.
Relève, histoire d’une création, de Thierry Demaizière et Alban Teurlai
Un film très instructif sur l’affaire Millepied qui a agité naguère le microcosme artistico-mondain. Rappelons-la pour ceux qui ne font pas partie dudit microcosme. À la fin 2014, Benjamin Millepied, danseur chorégraphe prestigieux en provenance du New York City Ballet est nommé directeur de la danse à l’Opéra Garnier. Il se trouve immédiatement confronté aux lourdeurs d’une institution plus que centenaire dominée par les corporations.
Celle des techniciens est la plus nuisible, car il suffit que quelques machinistes se mettent en grève pour empêcher les représentations. Avec un statut digne de la meilleure fonction publique, on ne risque rien à faire grève, autant dire qu’on ne s’en prive pas et que les techniciens de l’Opéra ne sont pas plus à plaindre que les dockers martiniquais ! Autant dire également que les directeurs de l’institution vivent dans la hantise de ne pas pouvoir montrer au public des spectacles montés à très grand frais. L’inflation des coûts est due pour une part aux cachets mirobolants des divas et des metteurs en scènes (pour l’opéra stricto sensu) ou des chorégraphes invités et pour une autre part à nouveau aux techniciens qui ont fait approuver au cours des grèves successives une définition si restrictive de leurs tâches qu’elle oblige de recourir à la sous-traitance plus souvent qu’il ne faudrait (un exemple dans le film est donné par le responsable de la construction des décors qui se déclare incapable de faire réaliser un simple banc de bois dans les ateliers de l’Opéra…)
Autre rigidité qui surprendra un Millepied venant d’une institution moins sclérosée : l’organisation du corps de ballet avec sa hiérarchie intangible (quadrille, coryphée, sujet, premier danseur, étoile) et la pression mise constamment sur les danseurs pour s’élever d’une catégorie à l’autre, au risque de leur faire perdre le plaisir de danser.
Le film montre tout cela en se centrant sur la préparation du seul ballet que Millepied chorégraphiera à Garnier avant de donner sa démission, un an et demi après sa nomination. On ne change pas une institution quand tant de gens ont intérêt à ce que rien ne change !
Ce film documentaire se centre sur la préparation du ballet. Millepied a rassemblé une équipe de jeunes danseurs, y compris une ballerine noire (au risque de faire tache !) pour monter Clear, Loud, Bright, Forward, ballet contemporain avec les danseuses sur les pointes. Si le film est à cet égard un enchantement pour les yeux, il contient bien d’autres choses. On entre dans les coulisses de Garnier, on découvre des personnalités très sympathiques (d’autres un peu moins), et surtout Millepied lui-même, son formidable charisme, son amour de la danse et l’on ne peut s’empêcher de déplorer que l’Opéra de Paris – pris collectivement – n’ait rien trouvé de mieux à faire que le pousser à la démission.
Desierto de Jonas Cuaron
Si, circulant sur les routes de Martinique, vous vous êtes surpris à éprouver un sentiment de frayeur lorsque vous avez aperçu dans votre rétroviseur ou en face de vous un énorme pick-up fonçant vers votre misérable véhicule comme s’il vous voulait du mal, vous avez bien fait de ne pas aller voir Desierto, film qui prouve que, en effet, les pick-up peuvent être maléfiques et qu’il vaut mieux se méfier de leurs conducteurs. En l’occurrence, le chauffeur est un allumé qui se balade dans le désert, le long de la frontière du Mexique, côté USA, avec un chien dressé à tuer et un fusil à répétition muni d’une lunette de visée, le tout lui permettant d’atteindre sans coup férir les proies qui s’enfuient. Lesquelles proies sont de pauvres Sud-Américains en quête de l’eldorado. Ambiance… Surtout quand on sait que des civils américains patrouillent effectivement dans leur pick-up pour « protéger » la frontière à leur façon.
Une fois admises les conventions du genre, en particulier celle qui veut que le méchant (Jeffrey Dean Morgan) meure à la fin et que le gentil (Gael Garcia Bernal) s’en sorte, le film se laisse voir avec intérêt. Si la violence est très souvent présente, elle n’est pas gratuite comme dans tant de films censés aider nos ados à sublimer leurs mauvais instincts. L’hypothèse d’un cow-boy d’un nouveau genre qui, au lieu de tuer des Indiens, descendrait une vingtaine d’immigrants lors d’une « partie de chasse » n’est pas totalement absurde, surtout en ces temps de Trumpisme triomphant. Et puis il y a le chien, peut-être LA vedette du film. Ce molosse tout en muscles, souple et rapide, avide de sang humain, est un instrument de mort comme on en a rarement vu au cinéma.
Your Name de Makoto Shinkai
Film post-Fukushima ? Il est permis de penser en effet que le réalisateur n’aurait pas eu l’idée de ce film d’animation sans la catastrophe du 11 mars 2011. Si la destruction brutale d’une petite ville intervient ici en raison de la chute d’une comète plutôt que d’un tsunami, le résultat est le même. Cela étant, le scénario est complexe, si complexe qu’on ne comprend pas par quel miracle la destruction de la ville – que nous tenions pour certaine – se révèle in fine ne pas avoir eu lieu.
Les principaux protagonistes sont deux adolescents, l’une habitant une paisible bourgade (avant la catastrophe, du moins) et l’autre qui réside à Tokyo, la grande ville. L’un des intérêts du film réside justement dans le contraste entre le mode de vie de l’une, collégienne et par ailleurs une sorte de prêtresse dans un temple shintoïste, et de l’autre, lycéen qui gagne son argent de poche comme serveur dans un restaurant.
La substitution de personnalités constitue l’argument principal du film. Par moments, le garçon se retrouve dans le corps (et dans l’environnement) de la fille et vice versa, ce qui donne lieu à des situations cocasses comme on peut l’imaginer. Lorsque ces substitutions prendront fin, le garçon n’aura de cesse de retrouver la fille. Cela prendra des années, mais le happy end est garanti… C’est d’ailleurs lui qui exige que la petite ville ne soit finalement pas détruite, faute de quoi la fille l’aurait été également !
Le film ne manque pas de qualités esthétiques et l’histoire, pour tirée par les cheveux qu’elle soit, se révèle émouvante.
À suivre…