Ces dernières années, des extrémistes identitaires percutent les valeurs républicaines de la société française. Voyant l’avenir de l’humanité comme un « choc des civilisations » et une « guerre de races », ces mixophobes ethno-différencialistes partagent la théorie du « grand remplacement » en Occident : les identitaires nationalistes et anti-cosmopolites, de même que les identitaristes décoloniaux et islamistes. Les crispations identitaires ont ainsi fait couler beaucoup d’encre : les uns dénoncent le « défaut d’assimilation » des populations immigrées, tandis que les autres accusent la « panique identitaire ». Cet ouvrage ne se situe dans aucun de ces camps idéologiques mais décrit ces radicalités identitaires et les enjeux pour la cohésion sociale au sein des sociétés démocratiques.
- Date de publication : 29 mai 2020
- Broché – format : 15,5 x 24 cm • 406 pages
- ISBN : 978-2-343-20323-2
- EAN13 : 9782343203232
- EAN PDF : 9782140150531
- EAN ePUB : 9782336901282
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Islamisme, indigénisme et identitarisme blanc peuvent-ils être mis sur le même plan ?
— Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire —
Manuel Boucher est professeur des universités en sociologie à l’Université de Perpignan Via Domitia. Ses travaux portent notamment sur l’ethnicisation et la racialisation des relations sociales. Il vient de diriger l’ouvrage collectif « Radicalités identitaires ». Nous l’avons interrogé.
Dans Radicalités identitaire : La démocratie face à la radicalisation islamiste, indigéniste et nationaliste (L’Harmattan), une dizaine d’universitaires, dont Mohamed Belqasmi, Nicolas Lebourg, Eric Marlière, Nedjib Sidi Moussa ou encore Dominique Sistach, dissèquent trois identitarismes qui menacent actuellement l’Hexagone à divers degrés. Symptômes de la crise que traverse notre société multiculturelle, « le salafo-djihadisme », « l’indigénisme » et « l’extrême droite identitaire » sont, d’après les auteurs, trois formes de séparatisme radical qui participent à racialiser les relations sociales. Coordinateur de l’ouvrage, Manuel Boucher revient avec nous sur ces phénomènes.
Marianne : En quoi le djihadisme, l’indigénisme et le nationalisme sont des « radicalités identitaires » ?
Manuel Boucher : Tous ces anti-mouvements, pour reprendre le concept des sociologues Alain Touraine et Michel Wieviorka, se caractérisent, notamment, par le refus absolu de considérer leur adversaire comme un sujet, ce qui les autorise à s’engager dans la déshumanisation, voire la cruauté et la barbarie. Ils ont aussi une vision exacerbée, radicalisée, voire violente de l’identité. Selon la formule de Zygmunt Bauman (Identité, Paris, éd. L’Herne, 2010), ils utilisent le « sabre de l’identité ». Pour celui-ci, en effet, l’identité « résonne comme un cri de guerre défensive, qu’il soit lancé par un individu en butte à un groupe, ou par un groupe plus petit et plus faible (et donc menacé) assailli par une totalité plus vaste et mieux armée (et donc menaçante). »
Penser les homologies de ces anti-mouvements nécessite donc d’interroger la signification de la notion d’identité : elle est à double tranchant. Venant du latin idem (le même) elle désigne un double processus : ce dans quoi je me reconnais et ce dans quoi les autres me reconnaissent. Par conséquent, l’identité d’un individu est constituée à la fois par l’affirmation d’une ressemblance avec les membres du groupe identitaire auquel cet individu s’identifie et d’une différence avec les « autres », c’est-à-dire avec les personnes extérieures à ce groupe. La construction identitaire d’un être se fait donc par « assimilation » et « différenciation ».
Ces mixophobes ethno-différencialistes partagent la théorie du « grand remplacement » en Occident
Dès lors, pour devenir un individu singulier échappant à l’emprise du groupe auquel il est associé par auto et hétéro-désignation (prescription), un individu, à partir d’un travail réflexif sur lui-même (conscience de soi), doit pouvoir constituer son identité à partir de son action personnelle (ascription). Pour autant, soulignant que l’identité est multifactorielle, Nathalie Heinich (Ce que n’est pas l’identité, Paris, éd. Gallimard, 2018) affirme que « l’identité n’est ni unidimensionnelle ni bidimensionnelle, mais bien tridimensionnelle ». Désignation (par autrui), présentation (pour autrui), autoperception (de soi à soi). Dans cette optique, une « crise d’identité » peut alors être interprétée comme une distorsion entre autoperception (identité pour soi), représentation (identité pour autrui) et désignation (identité par autrui).
Ainsi, au regard de ces éléments de compréhension des logiques identitaires, on comprend que les activistes identitaires d’extrême droite, islamistes et identitaristes indigénistes développent une forme de « trouble identitaire » caractérisé, notamment, par une sorte d’exacerbation exclusive du double processus identitaire de « différenciation » et d’ »assimilation » produisant le rejet de l’ »Autre » perçu comme une menace pour l’unité et la cohésion du groupe de référence. Ne se reconnaissant pas dans la société complexe et multiculturelle dans laquelle ils évoluent, ceux-ci agissent alors pour la changer radicalement et plus ou moins violemment afin qu’elle ressemble plus à l’image qu’ils se font d’elle à partir de la perception qu’ils ont d’eux-mêmes et qu’ils veulent imposer.
N’est-ce pas dangereux de laisser croire que les trois phénomènes pourraient être mis sur le même plan ?
Aucunement. Même s’ils ne mobilisent pas la violence avec la même intensité, tous ces extrémistes identitaires et identitaristes, autrement dit, les militants d’extrême droite de « Fdesouche » et de « Génération identitaire », les activistes racialistes du Parti des Indigènes de la République (PIR) et leurs alliés décoloniaux ainsi que les salafo-djihadistes bien décrits récemment par Hugo Micheron (Le djihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons, Paris, éd. Gallimard, 2020, p. 43) voient le monde en « noir et blanc » et l’avenir de l’humanité comme un « choc des civilisations » et une « guerre de races ». Ces mixophobes ethno-différencialistes partagent la théorie du « grand remplacement » en Occident popularisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus affirmant qu’il existe un projet politique de remplacement d’une civilisation par une autre organisé délibérément par les élites politiques, intellectuelles et médiatiques.
Les Français « de souche » seraient ainsi peu à peu évincés démographiquement par des peuples non-européens, en particulier issus des pays du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Dans cette perspective, les identitaires nationalistes et « écofascistes » mixophobes sont anti-cosmopolites et prônent la « remigration » tandis que les identitaristes indigénistes décoloniaux et les islamistes revendiquent une hétérophobie communautaire et politico-religieuse. L’un des points communs des acteurs de ces processus de radicalisations identitaires est qu’ils s’attachent à développer une « politique des catastrophes ».
En effet, comme le signale Theodor Adorno (1903-1969) à propos du Nouvel extrémisme (Paris, éd. Climats/Flammarion, 2019), dans un contexte où « les conditions sociales et économiques du fascisme continuent d’exister (concentration du capital)« , ces activistes alimentent le sentiment de catastrophe sociale et « se nourrissent de fantasmes de fin du monde ». Ils insistent sur ce qui divise (la religion, le sexe, la « race », etc.) plutôt que sur ce qui rassemble, c’est-à-dire une commune humanité au-delà du genre, de la classe, de la culture, de la couleur de peau, etc. Ces promoteurs de division et de séparation sont des « croisés de la morale » selon l’expression d’Howard Becker (Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, éd. Métailié, 1985) et des producteurs d’identités fermées cherchant à contrôler les corps et les esprits pour faire des « individus » des « représentants » communautaires, chargés de défendre, notamment par la violence, leur communauté d’appartenance et de référence.
Qu’est-ce que « l’indigénisme », mot dont les contours peuvent sembler flous ?
L’ »indigénisme » et plus largement l’ »identitarisme » se comprennent dans un contexte : celui de l’accroissement du processus de séparatisme social, culturel, voire « ethno-racial », producteur de confusions et de revendications identitaires qui participent à l’éclatement de l’espace antiraciste. Dans la première décennie des années 2000, nous vivons un « clash » des antiracismes. En opposition aux associations antiracistes historiques (LICRA, SOS Racisme, MRAP), de nouveaux militants de l’antiracisme apparaissent sur la scène politico-médiatique comme le décrit Julien Talpin (Bâillonner les quartiers populaires, Ronchin, éd. Les étaques, 2020) qui est proche de ces acteurs.
En effet, une nouvelle génération de militants, dont le Parti des Indigènes de la République va émerger. Au début des années 2000, alors que la France, comme le souligne Pierre-François Mansour (« La « question décoloniale » et l’islamisme : universités, quartiers populaires et milieu militant » in Bernard Rougier (dir.), Les territoires conquis de l’islamisme, Paris, éd. PUF, 2020) est « travaillée par les questions du racisme, des violences urbaines et de l’émergence de débats sur la mémoire coloniale (…) les émeutes d’octobre 2005 donnent un écho particulier à la publication de l’ »Appel des Indigènes de la République » en janvier de la même année. »
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Cet Appel des Indigènes dénonce les discriminations fondées sur la race et la religion musulmane et va illustrer la naissance en France du mouvement identitariste décolonial fustigeant l’hypocrisie d’un « modèle » républicain universaliste qui chercherait avant tout à maintenir une « politique coloniale » dominatrice, humiliante et raciste à l’encontre des pays du « Sud » et de leurs descendants « racisés ».
Au-delà du PIR, d’autres organisations « décoloniales » comme la Brigade Anti-Négrophobie (BAN), le Front Uni des Immigrations et des Quartiers populaires (FUIQP), les indivisibles, le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), le Collectif Stop contrôle au faciès se regroupent à l’occasion des Marches pour la dignité et contre le racisme que j’ai décrit dans mon livre La gauche et la race (éd. L’Harmattan, 2018), lors de grands meetings à l’image du « Bandung du Nord » organisé à l’automne 2018 (voulant s’inscrire en continuum de la « conférence de Bandung en Indonésie » où entre le 18 et 24 avril 1955 des représentants de pays du Sud non alignés aux États-Unis ou à l’URSS se réunirent pour célébrer l’autodétermination des pays décolonisés, la conférence « Bandung du Nord.
Vers une internationale décoloniale » s’est réunie à la Bourse du travail de Saint-Denis entre le 4 et le 6 mai 2018) et sont notamment rassemblés au sein du Collectif Rosa Parks. Ce collectif du nom de la figure emblématique de la lutte afro-américaine contre les lois racistes appliquées dans les années dix-neuf-cent-cinquante aux États-Unis qui confond sciemment le système d’apartheid mis en œuvre aux États-Unis dans les années dix-neuf-cent cinquante avec l’organisation sociale et politique républicaine française contemporaine.
Comment se caractérise-t-il ?
Les identitaristes indigénistes s’autoproclament les représentants des populations immigrées ou d’origine étrangère et des descendants de l’immigration postcoloniale. Ils se définissent comme des activistes « racisés », c’est-à-dire des personnes originaires de pays anciennement colonisés qui dénoncent le « privilège blanc », les discriminations et le « racisme structurel d’État » dont ils seraient les premières victimes. Ils en appellent à l’auto-organisation des « racisé-e-s « , à la non-mixité raciale dans certaines luttes pour combattre l’ordre social et racial blanc. Ils s’opposent à l’ »antiracisme universaliste » qui représenterait l’expression d’une posture morale et hypocrite. L’antiracisme universaliste est en effet associé à un antiracisme « occidentalocentré » permettant alors de ne pas penser les processus racistes produits par des personnes s’identifiant aux « pays du sud » (pour reprendre la terminologie des indigénistes). Dans cette optique les identitaristes indigénistes désignent l’État comme étant le premier producteur de rapports de domination et de « racisme systémique » ou institutionnel. Estimant être victimes du « racisme structurel d’État », humiliés et agressés par l’impérialisme et le colonialisme de l’Occident et du « pouvoir Blanc », dans une dynamique d’ »auto-défense », ils assument une fonction de confrontation et de rupture avec les institutions républicaines qu’ils jugent coresponsables du racisme structurel.
Les identitaristes décoloniaux participent à la coproduction de la racisation des rapports sociaux
Face à la « mécanique raciste » de l’État , seul un « Nous », celui des « indigènes » ex-colonisés opposé à un « Eux », celui des « Blancs » ex-colonisateurs et esclavagistes, peut s’opposer à des pratiques discriminatoires routinières inscrites dans les têtes et les corps. Pour combattre la discrimination ethnoraciale des ex-colonisés, les décoloniaux s’inscrivent dans une logique d’ »auto-apartheid » (stages de non-mixité dans différents types de luttes). À partir d’une posture victimaire et d’une vision opposant les Noirs, les Arabes, les Musulmans (et plus largement les « peuples du sud ») aux Blancs, les identitaristes décoloniaux participent à la coproduction de la racisation des rapports sociaux. Pour les décoloniaux, en effet, toutes les dominations et oppressions sont interprétées en termes de « race ». Finalement, alors que les identitaristes partent d’une posture légitime, autrement dit, en finir avec l’immigration comme stigmate, portés par le ressentiment et la haine, ils légitiment la violence et développent une vision antihumaniste, racialiste, voire raciste.
Vous évoquez une concurrence entre les divers mouvements indigénistes. Quelles sont les divergences entre ces mouvements ?
Pierre-François Mansour, déjà cité, décrit parfaitement les fractures qui existent au sein du mouvement dit décolonial. Il souligne ainsi qu’il existe des divisions générationnelles entre ceux qui considèrent, comme le PIR que « l’identité raciale (réelle ou imaginée) prime sur toutes les autres dimensions de l’identité » et ceux qui pensent, notamment les militants LGBT, que c’est l’intersectionnalité des luttes (race, genre, classe) qui doit être privilégié. Julien Talpin déjà cité souligne également que cet espace militant est fragmenté entre au moins deux pôles principaux : l’un est « idéologique » et l’autre associé à celui des « luttes locales concrètes ».
Néanmoins, au sein de la nébuleuse identitariste décoloniale, plus que des divergences idéologiques, je perçois d’abord des différences stratégiques. Par exemple, les dernières mobilisations des identitaristes indigénistes lors de la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie à Paris ou contre les violences policières suite à l’assassinat de Georges Floyd aux Etats-Unis (juin 2020) montrent que des militants de l’ »anti-racisme politique » cherchant à accroitre leur influence idéologique au sein de la « gauche blanche » (selon leur expression) ont critiqué la posture jusqu’au-boutiste et provocatrice du Parti des Indigènes de la République.
Alors qu’ils partagent une vision raciale des rapports sociaux opposant « Blancs », « Noirs » et « Musulmans », il s’agit, en effet, de ne pas effrayer la gauche pour qu’elle continue à s’allier aux organisations identitaristes décoloniales mais aussi utilise ses cadres idéologiques racialistes. Lors de la manifestation contre l’islamophobie, j’ai ainsi pu interviewer Houria Boutedja (leader du PIR) qui m’a signifié qu’en concertation avec le CCIF et les autres mouvements se réclamant de l’ »antiracisme politique », elle avait accepté que le PIR (qui selon sa formule est diabolisé) n’apparaisse pas dans les signataires dans l’objectif de faire signer, je la cite, les « gros pontes de la gauche blanche » comme Mélenchon et Martinez. Pour Houria Boutedja, la signature des pontes de la « gauche blanche », pour la citer de nouveau est donc une « victoire éclatante » des « décoloniaux » qui ont su renverser le rapport de force. Autrement dit, en participant à la manifestation contre l’ »islamophobie », les partis de gauche ont reconnu et soutenu des organisations dont l’un des projets est de transformer la société multiculturelle française en une société multiculturaliste dans laquelle la laïcité est comparée à une forme de racisme.
Comment cette différence stratégique se matérialise-t-elle ?
Depuis son émergence en France, la nébuleuse identitariste décoloniale s’est donc rapidement développée. Cette nébuleuse coproduite par des militants tiers-mondistes, pro-palestiniens et antisionistes, des islamistes fréristes, des activistes des immigrations et des banlieues et des intellectuels fascinés par les théories hyper-critiques des postcolonial studies a désormais étendu son influence dans les universités, le milieu associatif et mouvementiste antiraciste, dans les quartiers populaires mais également dans les milieux journalistiques et des institutions républicaines.
Dernièrement, la vague d’indignation mondiale suscitée par l’ »exécution capitale » de l’Africain-Américain George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis, dans le Minnesota aux États-Unis infligée par un policier et diffusée sur les réseaux sociaux planétaires a entraîné une juste colère universelle face au racisme et aux violences policières, notamment au sein de la jeunesse urbaine multiculturelle mondiale. En revanche, cette mort insoutenable a aussi permis aux activistes identitaristes décoloniaux, qui ont totalement infiltré et encadrent aujourd’hui le comité Adama Traoré, d’occuper une partie de l’espace médiatique pour diffuser une grille d’analyse uniquement racialiste des relations police/classes populaires et plus généralement des rapports sociaux et de légitimer des actes de violences perçus comme de la « légitime défense ».
En définitive, les identitaristes indigénistes ont aujourd’hui plusieurs visages : d’un côté, celui d’une jeunesse issue de l’immigration révoltée, voire révolutionnaire incarnée par la « figure repoussoir » d’Houria Boutedja ou iconisée de Assa Traoré et de l’autre celle d’une bourgeoisie ethnique policée et donneuse de leçons de morale incarnée notamment par Rokhaya Diallo, Françoise Vergès ou Maboula Soumahoro. Dans tous les cas, ces figure qui affirment des mémoires indigènes, décoloniales et « raciales » participent à la fermeture des « frontières ethniques » et à la division de la gauche.
Comment expliquer la montée de l’extrême droite ?
Au début du XXIe siècle, le projet de la gauche réformiste est totalement déconsidéré dans les sociétés avancées en raison du fait que la social-démocratie n’a pas su endiguer, voire a participé au délitement des protections sociales des citoyens fragilisés par la financiarisation du monde, le développement des délocalisations et l’émergence de nouvelles technologies aujourd’hui plus productrices de chômage de masse que de nouveaux emplois. Dans ce contexte, la fonction tribunitienne autrefois occupée par la gauche, en particulier par la gauche communiste, consistant à défendre les classes populaires contre les classes dirigeantes capitalistes est disputée par l’extrême-droite.
Pour lutter contre les effets néfastes de la mondialisation, notamment l’insécurité sociale, la social-démocratie est délégitimée au profit des nationaux populistes qui promettent de construire des barrières et des murs protectionnistes pour défendre les populations modestes et insécurisées autochtones des excès du « mondialisme » selon leur expression et de l’immigration. Dans cette perspective, à côté du parti national-populiste Rassemblement national (anciennement appelé Front national) incarné depuis son ascension électorale à partir du début des années 1980 par Jean-Marie Le Pen puis par sa fille Marine Le Pen et sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen, au début des années 2000, une nébuleuse xénophobe, antisémite, arabophobe et particulièrement raciste à l’encontre de la civilisation arabo-musulmane développe une vision pusillanime des questions migratoires.
Cette nébuleuse identitaire est obnubilée par un sentiment de décadence de la « civilisation occidentale » perçue comme en danger de mort et exprime une hantise du mélange des « races » et des cultures. Ainsi, elle dénonce une invasion, voire une submersion de la France, de l’Europe et plus largement de l’Occident par des migrants musulmans qui, selon elle, sont les principaux producteurs de l’insécurité civile et culturelle contemporaine amenant certains activistes de l’ »ultra-droite » à légitimer l’utilisation d’une « violence d’auto-défense » proprement endémique à l’extrême droite.
Comme le souligne Yvan Gastaut dans le livre que j’ai dirigé (Radicalités identitaires, Paris, éd. L’Harmattan, 2020), l’une des caractéristiques des jeunes identitaires qui ne croient plus à la possibilité de faire triompher leurs idées par les suffrages et la non-violence est qu’ils veulent passer à l’action pour défendre l’Occident qu’ils perçoivent en danger de disparition. Pour les activistes identitaires, en effet, les migrants musulmans originaires du Moyen-Orient et d’Afrique sont stigmatisés comme les principaux responsables des incivilités, de la délinquance, d’un racisme anti-Français et représentent des menaces terroristes.
Quelles sont les spécificités des « Identitaires » par rapport à l’extrême droite traditionnelle ?
Ainsi, les jeunes militants de « Génération Identitaire » fondée en 2012 par le « Bloc identitaire » se perçoivent comme des « résistants » et des « rebelles » en lutte contre le « mondialisme » synonyme de disparition de l’identité européenne pensée sur une base ethnique. Ainsi, s’opposant radicalement à l’idéologie du « vivre ensemble » et du multiculturalisme, fiers de leur identité nationale, européenne et « raciale », ils revendiquent le différencialisme ethno-culturel. Sur leur site internet, voilà comment ce groupe d’extrême droite se décrit : « Génération Identitaire est un mouvement politique de jeunesse qui rassemble des garçons et des filles à travers toute l’Europe. (…) Nous appelons la jeunesse à relever la tête : face à la racaille, face à ceux qui veulent fliquer notre vie et nos pensées, face à l’uniformisation des peuples et des cultures, face au raz-de-marée de l’immigration massive, face à une École qui nous cache l’histoire de notre peuple pour nous empêcher de l’aimer… »
Dans la pratique, les identitaires s’inscrivent dans la société de communication et veulent donner une image jeune et dynamique de l’extrême droite loin des clichés des skinheads et marginaux néonazis. Ils font des campagnes (manifestations, communiqués, flash mob…) en appelant à « la reconquête de notre terre » comme l’illustre cet extrait d’un texte de campagne publié sur le site internet de Génération identitaire : « Face à la menace mortelle de l’invasion migratoire, l’assimilation et l’intégration sont dépassées. L’islamisation ne cesse de gagner du terrain. Les attentats islamistes sont de plus en plus nombreux, laissant sans réaction une majorité de notre classe politique. Génération Identitaire appelle les jeunes français à la rupture : désormais, on ne recule plus, place à la reconquête. Toujours en première ligne, nous refusons la fatalité et œuvrons quotidiennement pour la défense de notre identité. »
Face à la « racaille des banlieues », à l’islamisation et à l’immigration massive et au « prétendu vivre-ensemble qui vire au cauchemar », ils appellent les jeunes Français, c’est-à-dire Européens et non musulmans « à relever la tête », autrement dit à se rebeller et à rejoindre « la première ligne de la résistance » pour mener une véritable « guerre identitaire » comme ils l’affirment sur leur site internet au printemps 2020 : « Conscients des défis qui s’imposent à nous, nous ne refusons aucune bataille. Fiers de notre héritage et confiants dans notre destin, nous n’avons qu’un seul mot d’ordre : on ne recule plus ! Nous sommes la génération sacrifiée, mais pas la génération perdue. Car nous entrons en guerre contre tous ceux qui veulent nous arracher nos racines et nous faire oublier qui nous sommes. Notre idéal est la reconquête, et nous la mènerons jusqu’au bout. Génération Identitaire est la barricade sur laquelle se dresse la jeunesse en lutte pour son identité. »
Si la mouvance identitaire incarne le nouveau visage de la jeunesse d’extrême droite des années 2000, à l’instar des autres groupes historiques nationalistes, néofascistes et racistes, ils représentent des activistes dangereux pour la démocratie, surtout lorsqu’ils s’allient officiellement ou officieusement avec des partis d’extrême droite faisant d’importants scores électoraux depuis plusieurs décennies. En effet, même si les identitaires ont à cœur de renouveler les répertoires d’action de l’ultra-droite, ils demeurent des adeptes de méthodes radicales et violentes pour défendre une vision mixophobe de la société.
Dir. Manuel Boucher, Radicalités identitaires : la démocratie face à la radicalisation islamiste, indigéniste et nationaliste, L’Harmattan, 406 p., 37 euros
Source : Marianne