La nomination inattendue de Rachida Dati au ministère de la Culture, le 11 janvier dernier, dans le cadre du remaniement gouvernemental orchestré par Emmanuel Macron, a engendré une série de réactions et d’interrogations au sein de la classe politique et du monde culturel. Ancienne garde des sceaux de Nicolas Sarkozy, Rachida Dati, membre du parti Les Républicains (LR), représente une prise de guerre politique pour le président Macron, donnant une nouvelle dynamique à son premier gouvernement Attal. Toutefois, cette décision a suscité des critiques et des doutes, tant au sein de LR que dans le milieu culturel, notamment en raison de la mise en examen de Rachida Dati dans l’affaire Renault-Nissan depuis juillet 2021.
La réaction du président de LR, Eric Ciotti, a été catégorique, exprimant la volonté d’exclure Rachida Dati du parti après sa nomination. Cette dernière, bien que membre de LR, devient ainsi une personnalité politiquement isolée au sein de son propre parti. D’un autre côté, au sein du gouvernement, Gabriel Attal a salué cette nomination, mettant en avant l’énergie que Rachida Dati apporterait à l’équipe gouvernementale.
Cependant, cette nomination a suscité des interrogations au sein du monde culturel. En effet, Rachida Dati n’est pas perçue comme une experte des dossiers culturels, mais plutôt comme une figure politique à l’énergie affirmée et au franc-parler. Cette nomination est perçue comme une décision audacieuse d’Emmanuel Macron, cherchant peut-être à rompre avec les nominations traditionnelles et à insuffler une nouvelle dynamique à son gouvernement. Certains noms, tels que les journalistes Claire Chazal et Stéphane Bern, circulaient initialement pour le poste, mais c’est finalement Rachida Dati qui a été choisie.
Depuis juillet 2021, elle est mise en examen pour plusieurs chefs d’accusation, notamment la « corruption passive par personne chargée d’un mandat électif dans une organisation internationale publique », le « trafic d’influence passif d’agent d’une organisation internationale publique », le « recel d’abus de pouvoirs » et le « recel d’abus de confiance ». Ces accusations émanent de l’affaire Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault-Nissan.
Au cœur de cette affaire, le Parquet national financier (PNF) a ouvert une information judiciaire concernant les 900 000 euros (hors taxe) d’honoraires perçus par Madame Dati de Renault-Nissan BV entre 2010 et 2012. Ces honoraires étaient destinés à son rôle d’assistance à M. Ghosn dans la détermination de la politique d’extension internationale du groupe, notamment dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Les juges d’instruction tentent de vérifier si ces paiements étaient liés à des services réellement fournis par Madame Dati en tant qu’avocate et députée européenne ou s’ils étaient plutôt liés à une activité de lobbying, interdite pour les élus du Parlement européen.
Le calendrier de cette procédure pénale pourrait coïncider avec l’entrée de Madame Dati au ministère de la Culture, car le PNF a confirmé que les investigations sont closes, et son réquisitoire définitif est en cours de rédaction, devant être rendu au premier trimestre 2024. Les avocats de Madame Dati affirment que les faits reprochés sont prescrits, et le débat porte sur la question de savoir si les activités et la rémunération de Madame Dati ont été dissimulées à Renault, ce qui prolongerait la date de prescription. Cependant, le PNF maintient que les faits ne sont pas prescrits, car ils auraient été dissimulés.
Une autre enquête pénale ouverte en 2023 pourrait également mettre en péril la position de Madame Dati. Cette enquête, liée aux circonstances entourant la détention du lobbyiste franco-algérien Tayeb Benabderrahmane au Qatar en 2020, l’accuse, ainsi que l’ex-ministre Yamina Benguigui, d’avoir joué les intermédiaires lors des négociations pour la libération du lobbyiste. Celui-ci allègue que Madame Dati et Madame Benguigui ont agi dans leur propre intérêt, profitant de sa détention pour leurs gains personnels. Bien que aucune mise en examen n’ait encore été prononcée dans cette affaire, la perquisition menée à la mairie du 7e arrondissement de Paris en juin 2023 souligne l’ampleur des enquêtes en cours.
Malgré une enquête déontologique du conseil de l’ordre de Paris en décembre 2022, qui a blanchi Madame Dati, elle est également impliquée dans d’autres activités, notamment ses liens étroits avec l’Azerbaïdjan et ses missions de conseil auprès de l’État équato-guinéen et de la République démocratique du Congo. Ses avocats affirment que Madame Dati ne pourra plus exercer ses activités d’avocate en tant que ministre, car cela serait incompatible avec sa fonction ministérielle.
Au-delà des questions judiciaires, la nomination de Rachida Dati s’inscrit dans un contexte politique plus large, avec des implications significatives pour les élections municipales de 2026 à Paris. Rachida Dati a toujours affirmé que son unique ambition était de succéder à Anne Hidalgo à la tête de la capitale. Le président Macron aurait conclu un pacte avec elle, lui garantissant la voie libre pour représenter la majorité présidentielle, sans concurrence macroniste en 2026. Ce choix stratégique de Macron vise à renforcer les chances de victoire de la majorité présidentielle à Paris, considérant que Rachida Dati pourrait rassembler un large soutien.
La comparaison de la nomination de Rachida Dati à celle de Renaud Donnedieu de Vabres dans le passé soulève des questions sur la continuité de ministres faisant l’objet de poursuites judiciaires dans leurs fonctions gouvernementales. Les implications éthiques de cette nomination sont débattues, avec certains soulignant la présomption d’innocence et d’autres critiquant le maintien d’une ministre mise en examen.
Du point de vue du monde culturel, la nomination de Rachida Dati a été comparée aux précédents ministres de la Culture sous Macron. Rima Abdul Malak, sa prédécesseure, a été remerciée moins de deux ans après sa prise de fonctions, s’inscrivant dans une série de changements fréquents à ce poste. Cette instabilité ministérielle a été déplorée par plusieurs figures du monde culturel, dont Jean-Jacques Aillagon et Pascal Rogard, mettant en lumière les défis auxquels est confronté le ministère de la Culture en termes de continuité et de stabilité.
Les réactions politiques à la nomination de Rachida Dati ont également mis en lumière les divisions au sein de la classe politique française. Certains ont salué cette décision comme une preuve de la volonté de Macron de transcender les clivages traditionnels et de s’entourer de personnalités aux horizons divers. D’autres ont critiqué cette nomination comme un calcul politique à court terme, soulignant les risques potentiels liés à la nomination d’une ministre mise en examen.
En conclusion, la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture s’avère être une décision politique complexe et audacieuse d’Emmanuel Macron. Elle soulève des interrogations sur ses compétences pour gérer les dossiers culturels, étant donné son profil politique et ses antécédents judiciaires. Les enjeux politiques et la stratégie électorale semblent prévaloir dans cette nomination, suscitant des réactions mitigées au sein de la classe politique et du monde culturel. Le maintien d’une ministre mise en examen soulève également des questions éthiques et juridiques, mettant en lumière les dilemmes auxquels peut être confronté un gouvernement dans sa quête de stabilité et d’efficacité.
M’A