« On est tous des additionnés », affirmait Romain Gary dans Pseudo. Rachel Khan ne le sait que trop bien. Noire, gambienne, d’origine musulmane et catholique par son père, blanche, juive et française par sa mère, elle est fière de se dire « racée ». Mais comment vivre cet excès de « races » à l’heure des replis identitaires où seule la radicalité importe ? Comment se positionner avec ce « pedigree » alors que l’injonction est de choisir un camp ?
À travers une série de mots, notions et expressions « politiquement correctes », Rachel Khan pose un regard tant critique que malicieux sur notre époque idéologisée qui interdit toutes formes de nuances. Elle condamne les « mots qui séparent » ‒ souchien, racisé, afro-descendant, intersectionnalité, minorité… : présentés comme des outils indispensables pour combattre le racisme, ils enfoncent en fait le couteau dans les plaies qu’ils prétendent cicatriser. Puis les « mots qui ne vont nulle part » : vivre-ensemble, diversité, mixité et non-mixité, etc., qui appauvrissent le langage et, dans une « bienveillance inclusive », alimentent la haine et les silences. Mais elle défend avec force les « mots qui réparent » ‒ intimité, création, désir ‒ qui, eux, rétablissent le dialogue, favorisent la pensée non unique et unissent notre société, gangrénée par les crispations identitaires et les oppositions stériles entre les genres.
France Culture : Sortir des assignations avec Rachel Khan
Rachel Khan ne rentre sous aucune étiquette. Née d’un père gambien musulman et d’une mère juive polonaise, son identité est plurielle : elle est juriste, comédienne, ancienne athlète de haut niveau. Quand elle n’est pas à La Place, centre culturel consacré au hip-hop à Paris, elle est présidente de la commission jeunesse et sport de la LICRA, ou en train d’animer un atelier en prison.
Elle est auteure de “Racée”, qui sort aux éditions de l’Observatoire, ouvrage dans lequel elle renouvelle son attachement à l’universalisme.
Les origines en question et la question des origines
Mon père est né entre la Gambie et le Sénégal, dans une région divisée par le tracé coloniale, et ma mère est juive polonaise. À 20 ans j’avais envie de me définir autrement et donc j’ai trouvé ce mot amusant « afro-yiddish » pour affirmer une part de mon identité. […] Je me suis fondée sur ces origines multiples, diverses et entremêlées pour construire autre chose, cette identité qui est la mienne permet de transcender celle de mes origines.
Mes parents sont des amoureux de la connaissance et de la France parce qu’elle les a sauvés. Le parcours de mon père est douloureux, il est issu d’une famille extrêmement pauvre, ils n’avaient pas toujours accès à l’eau et à l’électricité. Il s’en ai sorti par la connaissance, il était premier de sa classe et a eu une bourse pour devenir professeur de français en Gambie puis professeur d’anglais en France. Ma mère est née pendant la guerre, elle a été cachée dans une ferme dans le Poitou.
Aujourd’hui mes parents s’écoutent, il y a beaucoup d’amour, d’altérité et de construction d’autre chose. Ils me l’ont transmis et pour moi, c’est ça la France. Ce qui était important pour eux c’était la connaissance littéraire et philosophique mais aussi religieuse. Pour mon père, l’important était d’avoir une éducation religieuse quelle qu’elle soit.
L’identité à la française
Je ne peux pas me permettre de me victimiser par rapport à mes parents, ce serait une honte. Je veux rester dans la création de ma propre vie. […] En France, on aime bien coller une étiquette selon ce qu’on fait, comment on se définit. Ce n’est pas méchant, les gens ont besoin de repères. J’aime jouer, écrire, m’occuper des jeunes, aller en détention, … J’espère qu’un jour on pourra se définir seulement par son nom et son prénom.
Quand j’avais 20 ans, j’ai compris que quoi que je fasse, où que j’aille, j’étais toujours l’autre. Il y avait une partie commune à l’autre et une autre partie différente. Finalement tout le monde est mélangé, multiple et l’identité est un éternel questionnement.
Je refuse le terme « racisé » parce qu’il ramène le sujet de la race à l’ordre du jour, alors même qu’on l’a supprimé de la Constitution, qu’on a des principes universalistes qui nous pousse à sortir des carcans identitaires. Ce terme enferme tout de suite dans une forme de victimisation. Je ne suis pas noire. Je suis blanche, noire, femme et plein d’autre chose. Dire « racisé » ferme le circuit identitaire.
Le terme diversité est utilisé à mauvais escient, il est mal utilisé. D’autre part il n’a mené à pas grand chose. On en parle beaucoup mais dans son utilisation et les faits il n’a pas eu un impact significatif. […] Tout le monde fait parti de la diversité. La diversité c’est quand on est tous ensemble dans une même société.
Des nouvelles de La Place
Comme notre écosystème est assez jeune, il est né avec les réseaux sociaux, la vidéo. Oui, il est touché par la crise mais d’un autre côté il occupait déjà l’espace sur les réseaux sociaux. Donc c’est plus facile que pour des théâtres moins habitués à faite des lives Instagram. […] La Place TV permet de diffuser tout ce qu’on fait aujourd’hui pour créer de la valeur et faire connaître les talents.
Le rap est la musique la plus écoutée par les jeunes. C’est un marché important et fondamental. Après, il a muté ce rap, on est parti d’un rap engagé et volontaire, un rap conscient qui a fait bouger les lignes et qui existe toujours mais qui s’accompagne aujourd’hui d’un rap plus commercial, ce qui est super aussi. […] Dans le rap il y a énormément d’esthétique et d’artistes. Les filles recommencent à rapper avec un super niveau et il y a une véritable diversité, comme dans le hip hop.
Notre mission c’est de dire qu’on a un endroit – le plus gros centre culturel hip hop au monde – est ouvert à tous. Il n’est pas réservé à ce qu’on peut appeler une diversité, aux personnes « racisées ». Aujourd’hui je m’occupe d’un jeune de 16 ans qui vient d’un lycée au cœur de Paris, le rap est un moyen de communiquer pour tous.
« Culture urbaine » c’est une notion utilisée dans les institutions, nous on parle de mouvement Hip hop. […] Il y a toujours des gens intolérants et ce qui me choque c’est l’intolérance vis-à-vis des artistes. C’est dingue quand on sait que le hip hop est là pour s’affranchir et dénoncer les inégalités. On en peut pas le faire en pointant du doigt des artistes issus de quartiers favorisés ou de classes moyennes.
Rachel Khan
Collection: Hors collection
Genre: Essais et documents
Date de parution: 10/03/2021
Caractéristiques
Nombre de pages: 160
Code ISBN: 979-10-329-0778-8
Format 13 x 20 cm