« R.A.D (Revolt Against Democraty) », texte de Julien Beauseigle, mise en lecture de Faubert Bolivar

Le Festival Jamais Lu Caraïbe 2ème soir

— Par Roland Sabra —
Amour et Politique sont insaisissables et si la seconde est parente du premier c’est peut-être parce l’un et l’autre abordent, in fine la seule question qui vaille, celle du lien social. Qu’en est-il de l’acceptation de la différence créatrice, de l’acceptation de l’altérité, du partage, de l’égalité ? Unité politique? Union amoureuse ? A chacune leur horizon. L’État et le pouvoir dans le premier cas, la famille dans le second. Badiou, dans « L’éloge de l’amour » le formule ainsi « Il y a entre la politique comme pensée-pratique collective et la question du pouvoir ou de l’État comme gestion et normalisation le même rapport difficile qu’entre la question de l’amour comme invention sauvage du Deux et la famille comme cellule de base de la propriété et de l’égoïsme. » Mais la coexistence de l’amour et de la politique ne va pas sans tensions et si elle a pu revêtir des formes culturelles différentes se pose dans tous les cas de figures la même question : comment concilier le propre (les origines, la famille, le singulier) et le proche (l’amitié, la justice, le pouvoir)?

Julien Beauseigle dans RAD ( Revolt Against Democracy), offert au public martiniquais le 3 juin 2022 dans le Cadre du Festival Jamais Lu Caraibe tente de répondre cette interrogation. Le synopsis qu’il rédige pour présenter son texte situe le cadre dans lequel se pose le problème. « Ça pourrait se passer ici, là-bas, pas très loin. Ça pourrait se passer aujourd’hui, demain, bientôt. Et comme des milliers d’autres avec toi, tu prends la rue en réaction à l’élection récente d’un gouvernement d’extrême droite. Et une explosion retentit dans le métro, faisant seize morts et une cinquantaine de blessés. Et tu es pourchassé, rattrapé, matraqué. Et tu te réveilles dans une salle d’interrogatoire. Et tu as faim. Et tu as soif… ».

Ils sont donc deux étudiants, lui en sciences politiques, elle en journalisme. Ils se croisent, se parlent, se re-connaissent dans l’inévitable double processus d’idéalisation ( j’embellis la réalité de peur de décevoir et d’être déçu) et de projection ( ce que je perçois de l’autre part de moi) inhérent à la rencontre amoureuse, indispensable pour que la désillusion survienne plus tard. Ils s’aiment, militent pour un monde meilleur. Cacher la réalité ? Elle revient au galop et de plusieurs manières. L’autre d’abord se révèle différent de celui que j’imaginais. Ensuite ce que je suis véritablement et qui ne me plaît pas, que je peux repousser fait retour dans la vérité intangible de la relation qui me révèle à moi-même. Et puis je ne peux aimer l’autre que si j’ai la capacité de me prendre en main, capacité inspirée par l’amour de soi. Pas si facile pour tout le monde!

Elle va se détacher, entrer en dépression, au fur et à mesure que son engagement politique, à lui, s’intensifie, le renforcement du champ politique se faisant au détriment du champ amoureux. Et Julien Beauseigle va le suivre, du moins dans son texte, comme l’annonce les derniers mots du synopsis :«  Et on te demande de revendiquer l’attaque. Et les autres à venir. Révolution, extorsion et désillusion. Amour passé, cœur brisé et trahison orchestrée. Attentat, caméra et assassinat. »

Le poids du politique est écrasant, au sens entier et premier du terme. A la suite de l’offre de collaboration active avec la police en échange de la liberté, au cœur du propos, le prisonnier le dit très clairement : « Le système il te digère et t’évacue afin de tout transformer en un tout conformé car la récupération politique n’a de limites que celles qu’elle se fabrique et encore elle a les pleins pouvoirs de les élargir à gré de gourmandise pour tout effacer au passage ce qui lui résiste oui tu perds dans tous les cas tu perds parce que la collaboration c’est l’abandon de tes convictions et la détention c’est l’abandon de ta liberté. »

Le primat du registre politique sur la relation amoureuse est nuancé, contre-balancé, par l’apparition d’un autre personnage féminin, Monica « détenue ici pour servir des intérêts politiques qui [la] dépassent. Haute trahison ». Plutôt que l’affrontement direct avec le pouvoir elle semble avoir choisi la ruse pour dépasser, sans pour autant le résoudre, le dilemme prison et intégrité ou trahison et liberté. Monica parviendra-t-elle à convaincre le militant de faire valoir le principe de réalité ? La réponse est dans les derniers mots du texte qui sont une reprise à l’identique des tous premiers…

L’écriture de Julien Beauseigle est « un cri qui vient de l’intérieur », une déclamation d’amour à la vie sur le mode d’une déclaration de guerre envolée et lyrique. Le texte est sans ponctuation, poétique et théâtral. Il pose dans sa formulation actuelle, très narrative, la question de sa transposition sur scène. La très belle mise en lecture de Faubert Bolivar, au plus près de l’intelligence du texte, avec le concours très investi de quatre comédiens ne donne pas de réponse. Ce n’était pas le propos. Le défi est a relever. Qui aura l’audace de s’y atteler pour le plus grand plaisir des futurs spectateurs?

Fort-de-France , le 04/06/2022

R.S.