— Par Alexis Campion —
Christian Benedetti affiche toutes les pièces de l’auteur russe en même temps, au Théâtre-Studio d’Alfortville.
Tout commence en 2009 quand Christian Benedetti décide de s’attaquer à La Mouette, pièce qu’il avait déjà montée à ses débuts, en 1980, et qu’il remet à l’affiche en 2011. «J’imaginais que ce serait mon dernier spectacle, je voulais alors arrêter le théâtre », raconte le comédien et metteur en scène, expliquant au passage son rapport paradoxal à son métier. « Je pensais me retirer pour animer des ateliers avec des enfants ou en prison, car je n’aime plus ce milieu où ceux qui font la loi sont dans le mensonge et la compromission. Comment vendre de l’intelligence quand on se corrompt soi-même ? »
Remonté, il ne mâche pas ses mots à l’encontre des grandes institutions du théâtre public : « J’ai l’impression que l’on ne parle que de subventions, que le mot “œuvre” a disparu du vocabulaire. » Sa Mouette en décidera autrement. Tchekhov ranime sa passion, devient son refuge. Ces douze dernières années, Benedetti est ainsi resté dans son modeste mais charmant Théâtre-Studio d’Alfortville. « C’est ma place », dit-il.
Il s’est alors attaqué à Oncle Vania, aux Trois Sœurs, à La Cerisaie, à Ivanov… Aujourd’hui, ce sont 15 pièces en tout qu’il joue avec sa troupe de 17 comédiens, en comptant neuf petites formes en un acte dont les fameux L’Ours, Le Jubilé, La Nocivité du tabac, La Demande en mariage, etc.
Une montagne russe ? Il acquiesce d’autant plus volontiers que les drames de Tchekhov sont connus pour invoquer toutes les émotions, du rire aux larmes en passant par la joie pure et le désespoir absolu. L’intégrale, qui se joue depuis cet hiver, a ceci d’unique qu’elle peut s’appréhender à la façon d’une série. Les spectateurs peuvent enchaîner deux ou trois spectacles sur la même soirée et y voir les comédiens passer d’un rôle à un autre. « Nous sommes l’une des seules équipes au monde à proposer cela, d’ailleurs on se dit qu’on va bientôt faire des soirées surprises où le public décidera à la dernière minute de la pièce qu’il veut voir », poursuit Benedetti.
Des formules crues et détonantes
Autre singularité, cruciale, dans sa démarche : ses traductions. Elles intègrent souvent des formules crues, et pour le moins détonantes, comme « on se fait chier », « open bar » ou « une tuerie » au sens familier pour dire « un délice ».
« J’ai voulu retraduire avec la complicité de quatre disciples, dont deux sont membres de la troupe d’Anatoli Vassiliev », indique le metteur en scène qui, dans les années 1980, juste après son conservatoire et sa version « de jeunesse » de La Mouette, était parti étudier deux ans à Moscou dans cette fameuse troupe. « Les traducteurs ont toujours essayé de rendre Tchekhov acceptable pour le bourgeois français, tout comme Dostoïevski, alors que ces auteurs étaient très crus, très directs pour leur époque. Je suis partisan d’Antoine Vitez, qui préconisait des retraductions tous les dix ans car les mots bougent. »…
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