— Par Dominique Daeschler —
Lire sur Madinin’Art : La présentation de « Qu’ils crèvent les critiques! »
Voilà une affaire rondement menée au bénéfice du plaisir de l’écriture « charogne », du plaisir du critique qui affirme son point de vue, prend parti. Honni soit qui mal y pense ! Au boulot les ghost writers ! Léonardini l’affirme dès les premières pages, on ne peut pas écrire sous couvert d’innocence et c’est son appréciation personnelle qui fait le critique car la critique est un genre littéraire. Mazette ! Et de rappeler que pour Baudelaire la critique doit être passionnée, partiale, politique. Mallarmé n’est pas en reste puisqu’il lui attribue des vertus poétiques.
Au galop ! Léonardini nous entraîne dans ses souvenirs de critique et de responsable du service culture au sein de l’Humanité pendant un quart de siècle, journal d’obédience communiste, pionnier dans l’importance accordée à la culture et à la critique. On voyage, on se remémore, on fait le lien : car à travers ce qui est rapporté c’est à une histoire citoyenne du théâtre que nous entraîne l’auteur. Petit salut à Jean Jacques Lerrant son maître es critique (qui m’encouragea moi aussi dans ce domaine) et fût le premier grand critique en « région », à Bernard Dort qui pensait qu’écrire sur le théâtre était une entreprise peut être désespérée. Défilent les grands : Sagnier, Thibaudat, Poirot Delpech, Godard, Galey, Marcabru, De Rosbo qui savaient et savent prendre langue.
Pour Léonardini, le critique donne une radiographie un peu floue d’un spectacle mais c’est un bedeau scrupuleux. S’il y a connivence avec les artistes, il n’y a as copinage. Être dans des « chambres noires » développe chez lui, à l’instar de claude Régy, un mode de vie.
Avanti popolo ! distanciation brechtienne, insurrection du corps et langage plastique avec Julien Beck, guerre du sens de « populaire » entre Vilar et Sartre, nous sommes conviés à des « expériences théâtrales véhémentes » sur fond de guerre du Vietnam et de mai 68. Tournez manège ! Vilar se fait dégommer. Le manifeste de Villeurbanne rameute la profession sur le non public. Althusser assimile le théâtre public à un appareil idéologique d’Etat. Barthes en rajoute une couche : l’idéologie est une opinion congelée dans un discours social et politique. On vit à cent à l’heure. De cette plume passionnée on suit le cheminement qui passe du désabusement de Jean Jourdheuil à la prééminence du geste devant la parole chez Wilson. C’est trop vif pour être docte. Encore ?
Côté mise en scène, Jouvet évoque l’immodestie du « metteur » qui « tripatouille dans les œuvres, persuadé de ce qu’il veut croire ». Sur scène on croise Kantor, appliquant le ready made de Duchamp à son théâtre de la mort. Les rivalités politiques (Lang, Guy) ne sont pas passées sous silence pour évoquer les brassages internationaux et l’apport de la danse au théâtre (Nicolaïs, Cunningham). Plus que vivants surgissent Benedetto, Gatti, Yacine et l’importance d’un théâtre militant…
Bien campée dans ses mots, cette phrase du critique, comme un lever de rideau : la théorie du genre est consubstantielle au théâtre. A méditer et mâchonner longuement.
Je n’irai pas au bout de la course Léonardini, tu me fais perdre le souffle. Merci de m’avoir ramenée à mes propres souvenirs. Je conçois bien que tu t’inquiètes pour la critique timbre-poste, son manque de visibilité, la précarité du métier. Internet, on est là pour le dire à Madinin’art, même pas peur ! Fais-nous encore plaisir avec ton écriture métaphorique, incisive, loin des artefacts.
Publié aux Solitaires Intempestifs
D Daeschler