— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le développement économique de la Guadeloupe fait face à des défis majeurs, exacerbés par une trop grande dépendance à la France hexagonale et une sous-exploitation du potentiel de la diaspora antillaise. Cette dépendance se manifeste par un recours excessif aux subventions et aides de la métropole et par une importation massive de biens, ce qui limitera si rien ne bouge sur le front économique, l’autonomie et l’innovation locale. L’insularité et l’éloignement géographique entraînent des coûts de transport trop élevés et un accès restreint aux marchés internationaux, réduisant de façon structurelle ainsi la compétitivité des produits locaux. Les infrastructures inadéquates, la faiblesse de la productivité du travail et une bureaucratie complexe découragent les investisseurs et freinent la création d’entreprises. Sur le marché du travail, le chômage élevé et l’inadéquation des compétences freinent la croissance économique, nécessitant des politiques publiques et de formation professionnelle plus efficaces. La fiscalité élevée et le coût de la vie dissuadent les investissements et réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs qui sont de plus confrontés à une spirale inflationniste.
Les problèmes sociaux, comme les inégalités économiques et l’émigration des talents, accentuent ces difficultés. De nombreux jeunes quittent l’île pour chercher de meilleures opportunités, privant la Guadeloupe et la Martinique de talents et de ressources humaines essentielles. La jeunesse guadeloupéenne mais surtout également martiniquaise semble aujourd’hui déboussolée par les mutations sociétales. La génération Bêta, désignant les enfants nés après 2012, grandit dans un contexte technologique sans précédent, va être problématique. Enfants de la génération chroniquement en ligne (les Millennials et la Génération Z), les Bêta seront les premiers à vivre et à évoluer dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) joue un rôle central. Cette immersion dans une réalité artificiellement intelligente influencera non seulement leur manière de vivre, d’apprendre, de jouer, d’aimer et de travailler, mais aussi leurs perceptions de la vérité et de la réalité. Avec la prolifération des « deepfake media » et la prédiction que 90 % des contenus en ligne pourraient être générés par l’IA d’ici 2026, ces enfants pourraient passer leur vie à chercher des repères fiables et risque la dépression. C’est là dans ce contexte que l’on peut noter que le problème est que la nouvelle génération de jeunes Guadeloupéens n’est pas encore en mesure d’assurer une bonne relève.
Aujourd’hui c’est l’ancienne génération de sexagénaires et septuagénaires qui maintient l’équilibre de la société guadeloupéenne. Dans un proche avenir, les systèmes éducatifs seront transformés par l’IA, qui permettra des expériences d’apprentissage personnalisées et adaptatives. Les enfants de la génération Bêta bénéficieront de programmes éducatifs qui s’ajustent automatiquement à leurs besoins individuels, optimisant ainsi leur développement intellectuel. Cependant, cette dépendance à la technologie posera des questions sur leur capacité à développer des compétences interpersonnelles et à penser de manière critique en dehors des algorithmes prédéfinis. Les dernières générations Z et Bêta, façonnées par l’essor des technologies numériques et de l’intelligence artificielle (IA), introduisent des mutations sociétales profondes. Ces transformations apportent de nombreux avantages, mais également des risques significatifs, notamment un appauvrissement intellectuel et culturel de la Guadeloupe et de la Martinique.
Les fractures sociales et économiques exacerbées par l’IA et l’automatisation peuvent alimenter la radicalisation et l’extrémisme des jeunes antillais, comme observé en Nouvelle-Calédonie. Les groupes marginalisés peuvent se tourner vers des idéologies violentes comme réponse à leur exclusion perçue. L’intégration de l’IA dans le monde professionnel révolutionnera la nature du travail, et force est de constater que nous ne sommes pas encore vraiment prêts à assumer les éventuels dommages collatéraux. Les Bêta devront s’adapter à une main-d’œuvre de plus en plus automatisée, où les compétences technologiques seront essentielles. Les emplois traditionnels notamment de services aux Antilles pourraient disparaître ou se transformer radicalement, nécessitant une flexibilité et une capacité d’adaptation accrues. Les compétences en IA, en robotique et en programmation deviendront indispensables, créant un fossé potentiel entre ceux qui possèdent ces compétences et ceux qui n’y ont pas accès.Les générations Z et Bêta sont à l’avant-garde d’une ère de changements technologiques sans précédent et les politiques publiques nous semblent en deçà des enjeux.
En effet, si ces transformations apportent de nombreux avantages, elles posent également des risques significatifs de réponses autoritaires et de conflits. Pour naviguer ces défis, une approche proactive, intégrant la protection des libertés démocratiques, l’éducation, les politiques d’inclusion et la coopération interculturelle, est essentielle. Seule une action concertée pourra assurer que les bénéfices des technologies avancées soient partagés équitablement et que les menaces soient efficacement gérées. Pour l’instant c’est plutôt le vide qui prédomine. Et à notre sens, les initiatives telles que les associations Alé viré qui visent à endiguer la fuite des cerveaux ne nous semble pas être la bonne réponse. Il faudrait peut-être réfléchir à porter le fer sous un autre angle car pour le moment les meilleurs de nos compatriotes ne reviennent pas au pays et ne reviendront sans doute jamais. Resterait alors l’apport positif de la diaspora antillaise au sens large du terme, qui malgré son potentiel d’investissement, est perçue comme un groupe ayant quitté le territoire plutôt que comme une ressource financière potentielle pour le développement local. L’absence de stratégies ciblées, le manque de soutien institutionnel et les obstacles bureaucratiques découragent les investissements de la diaspora. La faible visibilité des succès d’investissement et les défis de confiance et de stabilité ajoutent à ce problème.
Pour valoriser ce potentiel, il est crucial de développer des programmes spécifiques en collaboration plus poussée avec l’ADOM, de faciliter les démarches administratives et de créer un environnement économique attractif. Des initiatives comme des forums d’investissement et des partenariats public-privé peuvent mobiliser la diaspora et promouvoir les opportunités d’investissement.Les problèmes environnementaux, tels que les risques naturels et la dégradation de l’environnement, limitent également le développement durable. La petite taille du marché local et la concurrence étrangère posent des défis supplémentaires pour les entreprises locales qui doivent donc se tourner vers les activités à forte valeur ajoutée. La révolution technologique offre des leviers potentiels pour le développement économique de la Guadeloupe et de la Martinique. Investir dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), promouvoir les énergies renouvelables, développer un tourisme durable et intelligent, et améliorer la formation en compétences numériques sont des pistes à explorer. Encourager l’innovation et la production locale voire soutenir les startups technologiques locales peuvent également stimuler l’économie régionale. C’est là le cœur du nouveau modèle économique et social que nous appelons de nos vœux.
Les intellectuels antillais doivent jouer un rôle majeur dans ce nouveau modèle économique et social pour la Guadeloupe et la Martinique. Dans un monde en perpétuelle mutation, la quête d’un horizon d’attente et d’espérance devient plus cruciale que jamais.L’IA et l’automatisation peuvent exacerber les inégalités économiques et sociales aux Antilles, en particulier si l’accès aux technologies avancées est inégalement réparti. Les enfants de la génération Bêta qui n’ont pas eu accès à une éducation technologique de qualité risquent d’être laissés pour compte, créant une fracture sociale encore plus marquée. Les sociétés, qu’elles soient en Guadeloupe ou en France hexagonale, traversent des périodes de profondes transformations. Dans ce contexte, les intellectuels sont appelés à rouvrir les horizons d’attente, nourrir les espérances et contribuer à l’élaboration de projets d’émancipation économiques indispensables à la croissance des individus et des sociétés. Malheureusement, ce projet fait défaut aujourd’hui, tant en Guadeloupe qu’en Martinique. Face à cette crise de perspective, les intellectuels ont un défi majeur à relever. C’est frantz Fanon qui disait que : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir « . Et c’est également Bernard Pivot qui a déclaré : « Un intellectuel inconscient ou démissionnaire n’est plus qu’un pauvre type sans repères « .
Ces citations résonnent particulièrement dans le contexte actuel où la pensée critique semble s’essouffler face aux défis contemporains. Les intellectuels doivent se réinventer pour ne pas tomber dans l’obsolescence et l’insignifiance. En Guadeloupe, ils semblent engoncés dans une idéologie passéiste, incapables de proposer des solutions novatrices face aux bouleversements sociétaux et technologiques. Les concepts de nationalisme, de matérialisme historique, de tiers-mondisme apparaissent aujourd’hui désuets. Dès lors, les intellectuels peinent aujourd’hui à proposer une vision d’avenir qui réponde aux aspirations des nouvelles générations. Ils doivent se mobiliser pour offrir une pensée critique et constructive qui puisse guider ces générations vers un avenir plus prometteur.Pour rouvrir cet horizon d’attente et d’espérance, les intellectuels doivent adopter une approche proactive de la question essentielle de l’économie du développement, intégrer les avancées technologiques et les nouvelles dynamiques sociétales dans leurs réflexions. Ils doivent s’engager dans une réflexion profonde et novatrice des problématiques économiques et financières, proposer des analyses tenant compte des mutations technologiques et des transformations sociétales. Cette nouvelle pensée critique doit être ancrée dans la réalité contemporaine tout en étant porteuse d’un projet d’émancipation pour l’avenir. L’éducation devrait jouer un rôle central dans cette réinvention intellectuelle.
Les jeunes générations doivent être formées à la pensée non seulement critique, mais également rationnelle, à la technologie et aux compétences nécessaires pour s’adapter aux changements. Pour ce faire le discours identitaire d’ordre émotionnel un leg de la période esclavagiste et colonialiste ne devrait plus avoir droit de cité aux Antilles. La coopération économique et l’hybridation culturelle internationale sera sur ce point également essentielle. Les défis posés par les technologies avancées et les transformations sociétales nécessitent des réponses concertées au niveau de la Caraïbe. Les intellectuels doivent promouvoir des politiques d’inclusion et de coopération internationale pour assurer une répartition équitable des bénéfices des technologies et une gestion efficace des menaces.Les intellectuels en Guadeloupe, Martinique et en France hexagonale sont à la croisée des chemins.
Pour rouvrir les horizons d’attente et d’espérance, ils doivent se réinventer et proposer une nouvelle pensée critique adaptée aux défis contemporains. En intégrant les avancées technologiques,les problématiques liées à l’économie, les dynamiques sociétales et les aspirations des nouvelles générations, ils pourront contribuer à construire une société plus équitable et durable. Ils doivent relever le défi d’un projet d’émancipation qui répond aux besoins individuels et collectifs de notre époque. La prochaine génération d’intellectuels antillais, en tant que première à grandir avec une intelligence artificielle omniprésente, est destinée à vivre des transformations sociétales profondes. Ils doivent être conscients que leur éducation, leur vie professionnelle et leurs interactions sociales seront façonnées par des technologies avancées, posant des défis uniques et des opportunités sans précédent pour élaborer une nouvelle pensée critique en allant à contre-courant des anciennes théories idéologiques qui ont autrefois fait flores aux Antilles, mais malheureusement sans apports concrets et réels à ce jour de perspectives d’avenir.
« Tout tanbou pani bon son »
Traduction littérale » Tous les tambours ne donnent pas un bon son ».
Moralité : Apparence n’est pas gage de qualité.
Jean marie Nol économiste