—Par Sylvie Denoyer (CGT), Florence Barral-Boutet (FO), Luc Raucy (SNU/FSU), Yves Sinigaglia (SUD)—
Le projet de loi « démocratie sociale » qui sera en discussion au Parlement en février comporte un cavalier législatif qui est une réforme dangereuse pour l’inspection du travail.
A travers le projet « Ministère fort », le gouvernement veut procéder à la plus vaste restructuration que l’inspection du travail a connue depuis des dizaines d’années. Ce projet fait peser de graves dangers sur son indépendance et son caractère généraliste. Il prévoit la disparition des sections d’inspection du travail actuelles et leur remplacement par des unités de contrôle (UC) réunissant entre 8 et 12 agents, avec à leur tête des Responsables, et la création de postes spécialisés sur des risques ou des secteurs particuliers (transport, agriculture, travail illégal, amiante, BTP…).Un plan social pour l’inspection du travail
Il existe aujourd’hui 2300 agents de contrôles de l’inspection du travail en France (inspecteurs et contrôleurs), qui ont en charge le contrôle de 1,8 millions d’entreprises et des conditions de travail de 18 millions de salariés. D’ici deux ans, si le projet Sapin n’est pas stoppé, ce chiffre sera inférieur à 2000, soit une baisse des effectifs de contrôle de 15% en moyenne. En effet, les postes de Responsables d’unités de contrôle (RUC) seront pris pour l’essentiel sur les effectifs actuels de contrôle, tout comme les postes spécialisés.
Le projet prévoit la disparition progressive des contrôleurs du travail (qui contrôlent actuellement les entreprises de moins de 50 salariés) pour ne laisser subsister que des inspecteurs du travail. Mais seuls 500 postes de contrôleurs en trois ans (sur 1500 actuellement) seront transformés. Quid des 1000 postes restants ? Silence radio. Sans compter les baisses d’effectifs programmés dans le cadre de l’austérité budgétaire généralisée, qui s’applique également au ministère du travail. C’est donc à une véritable hémorragie que va conduire le projet Sapin, au détriment du respect des droits de salariés, de l’exercice des missions de contrôle, de leur nombre et des conditions de travail des agents de l’inspection du travail… qui verront leur charge de travail augmenter mécaniquement.
Une remise en cause de l’indépendance
Quel sera le rôle des Responsables d’unités de contrôle (RUC) ? En clair, ils seront chargés d’orienter et d’organiser l’action de contrôle en fonction des priorités politiques du ministre. Sous couvert de cohérence, c’est une mise au pas qui se prépare, afin de mettre fin au caractère intempestif des contrôles.
Cela aboutira à remettre entre cause le lien existant entre les salariés et l’inspection du travail et à couper les inspecteurs des problématiques de terrain et de la « demande sociale ». C’est l’un des enjeux principaux de la réforme : en finir avec l’indépendance de l’inspection du travail vis-à-vis du pouvoir patronal comme du pouvoir politique. Ces RUC disposeront de l’autorité hiérarchique et de la gestion de l’ensemble des moyens; ils disposeront de tous les pouvoirs de contrôle et pourront donc intervenir sur un dossier ou dans une entreprise pour se substituer à l’inspecteur du travail. Demain se généralisera l’interventionnisme dans l’action de l’inspecteur du travail, ce qui va à l’encontre de la Convention n°81 de l’Organisation internationale du travail, qui garantit autonomie et indépendance, seules à mêmes de garantir une inspection du travail protégée des « influences extérieures indues »
Spécialisation : un trompe-l’œil
La spécialisation, un remède miracle ? Sous couvert de complexification croissante du droit du travail, M.Sapin veut renforcer la spécialisation de l’inspection du travail. Le caractère généraliste de l’inspection du travail est le mieux à même d’appréhender les relations de travail dans toutes leurs dimensions : durée du travail, santé et sécurité, rémunération, congés, délégués du personnel, comité d’entreprise, CHSCT, etc. Découper la vie des salariés en tranches, c’est ce que promet le projet Sapin. Pour aboutir à une efficacité très limitée pour les salariés. La spécialisation entraînera une baisse du nombre d’agents affectés au contrôle généraliste et un renforcement des campagnes sur des risques particuliers (qui se font au détriment de tous les autres, selon des choix politiques discutables : il n’y a par exemple jamais eu de campagne nationale sur la durée du travail ou le repos dominical).
« Le Medef en a rêvé, le PS l’a fait »
Le projet Sapin va plonger pendant plusieurs années l’inspection du travail dans une désorganisation dont pâtiront les salariés et les représentants du personnel. Cette restructuration de l’inspection du travail profitera en premier lieu au patronat, qui verra enfin exaucer l’un de ses vœux les plus chers : l’encadrement et la limitation de l’action de l’inspection, la caporalisation de ses agents.
Sans compter que le ministère du travail veut voir se développer dans les petites et moyennes entreprises une nouvelle « ingénierie de contrôle » privilégiant l’information et le conseil plutôt que le contrôle. C’est toute l’action quotidienne de l’inspection du travail au service de la protection et de la promotion des droits des salariés qui est mise en cause.
Face à la grogne, Sapin met en avant les « nouveaux pouvoirs de sanction » (transaction pénale, amende administrative) qui seront donnés aux agents de contrôle… sans dire que ces nouvelles « sanctions » ne seront pas à la main des inspecteurs du travail, mais de leurs directeurs et que certaines d’entre elles seront des ersatz de sanctions pénales à l’encontre des employeurs. Enfin, à travers ces nouveaux pouvoirs de sanction, c’est une dépénalisation du droit du travail qui se prépare.
La défense des droits des salariés a besoin d’une inspection du travail plus nombreuse et plus proche du terrain. C’est une garantie fondamentale de la « démocratie sociale » et de la protection des droits des salariés.
Sylvie Denoyer (CGT), Florence Barral-Boutet (FO), Luc Raucy (SNU/FSU), Yves Sinigaglia (SUD)