— Par Sylvère Farraudière —
La liste s’allonge de statues mises à terre, taguées, détruites en Martinique, singulièrement à Fort-deFrance, Schoelcher et Trois-Ilets, depuis le 22 mai 2020.
Certains s’en étonnent, d’autres sont scandalisés et accusent. Depuis le saccage survenu sur la place de La Savane à Fort-deFrance, le dimanche 26 juillet, où les statues de Belain d’Esnanbuc et de Joséphine de Beauharnais ont été détruites, les milieux politiques, au plus haut niveau, attribuent ces agissements à des activistes, qui seraient coupés de la population, supposée indignée. Et la suite est prévisible : la routine arrestations-victimisationconstruction-de-martyrs s’installera et accompagnera des débats dans des commissions mémorielles communales. Pendant ce temps, on aura fait l’économie de chercher les vrais activistes dans cette affaire.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les statues de Schoelcher, de d’Esnanbuc, de Joséphine sont régulièrement taguées, amputées, voire décapitées. Ce n’est pas d’aujourd’hui que des citoyens demandent des explications sur le nom des rues de la ville capitale, sans que la commission mémorielle ne se décide à donner une réponse, ce qui revient à imposer le statu quo. Politique de l’autruche ou affirmation d’un choix politique immuable, maintenu de générations en générations, contre vents et marées ?
Et rien ne se passe, rien ne bouge
Cette apparente surdité des décideurs n’est pas nouvelle et constitue presque le code de la vie citoyenne en Martinique. Le peuple réclame, parle, marche, défile, hurle, manifeste… Et rien ne se passe, rien ne bouge.
Entre février et avril 2009, le peuple martiniquais, emboîtant le pas au peuple guadeloupéen, a dit son malaise dans le domaine des prix et des revenus qui conditionne le pouvoir d’achat, le chômage, l’emploi précaire, dans un contexte dominé par l’absence de perspective pour la jeunesse et pour la population déclinante et vieillissante. La lutte était et reste dirigée prioritairement contre la vie chère. Les élus, eux, n’avaient d’yeux que pour le fonctionnement de leur congrès, le changement de statut de la Martinique, le choix entre les articles 73 et 74 de la Constitution française. Et ce fut la CTM, censée faciliter la solution des problèmes soulevés.
Parmi ces problèmes, la consolidation de notre identité et de notre conscience historique. A cet effet, la CTM et les élus martiniquais sont interrogés depuis juin 2019 sur la nécessité de créer un musée nommément dédié à l’esclavage colonial en Martinique. Ce musée est un de ces instruments indispensables pour initier, chez les jeunes et les moins jeunes, la prise de conscience individuelle de la trajectoire historique de la population et pour donner une solution au problème lié à l’exposition des statues des personnages qui jalonnent cette histoire. Ces statues et autres témoignages devraient trouver leurs places, avec les explications nécessaires, dans ce Grand Musée de la Martinique naturellement, tant il est vrai que l’affichage publique de notre histoire pose en fait cette question sensible de l’identité collective de la Martinique.
L’argumentaire en a été fourni sous la forme d’une adresse au Président du Conseil Exécutif de la CTM, le 28 juin 2019, puis sous la forme d’une pétition confiée aux plateformes change.org et facebook.com, dès le 17 novembre 2019, avec ces deux questions : qui refuse la création d’un tel musée, et pourquoi ?
Qui sont les vrais initiateurs des débordements racistes ?
La population est fortement métissée, mais ce serait faire injure à l’histoire et au bon sens que de nier que le fond quantitatif et culturel de cette population est nègre. Pourtant, c’est bien ce qui se passe. Les vrais activistes de la casse actuelle sont ceux qui mettent tout en œuvre pour nier ou masquer cette réalité-là. Ils s’empresseront d’accuser ceux qui se réclament de cette évidence, d’incitation à la haine raciale, mais là, il faudra regarder de plus près, et se demander, par exemple, qui sont les vrais initiateurs des débordements racistes qui conduisent, aujourd’hui même, le jeune, talentueux et nouveau maire du Diamant à porter plainte contre certains de ses administrés. Hugues Toussay regardera, sans doute, l’affichage qui est fait de la population de la Martinique, en général, dans la publicité, dans la rue, à la télévision. Il y constatera sûrement l’absence de différence avec les mêmes situations représentées en France hexagonale. Ce qui veut dire, qu’en termes d’affichage de la diversité, la population martiniquaise est considérée par les afficheurs, les annonceurs, les techniciens de l’endoctrinement et pas seulement, comme étant une portion homogène de la population française, voire européenne. Certains penseront que c’est-là, la concession qu’il faut faire pour attirer les touristes, mais cette forme de reniement, publiquement affichée, de l’identité martiniquaise ou, si l’on préfère, du faciès martiniquais, provoque l’exaspération des plus sensibles, mais au Diamant, elle a encouragé les agresseurs, parce que ceux-ci en ont tiré toutes les conséquences.
Sylvère Farraudière
Paru dans France-Antilles du04/08/20