— Par Selim Lander —
Vous n’existez pas mais pourriez-vous exister ? Serait-il possible qu’un riche paysan marié à une belle jeune noble puisse se montrer aussi benêt que vous dans la pièce de Molière ? Certes pas si vous étiez un paysan parvenu, ce que votre auteur (littéraire) ne précise pas. Sans doute êtes-vous simplement le fils d’un homme riche et n’êtes vous que l’héritier de la fortune qui a séduit les parents de la belle Angélique. Car si vous étiez un homme, un vrai, vous vous accommoderiez des mœurs de votre époque, vous sauriez que la galanterie fait partie du jeu amoureux et que celui qui ne s’y livre pas ne peut s’en prendre qu’à lui-même s’il n’est pas aimé. Or vous vous comportez comme un barbon de comédie.
Molière et les femmes ! Il les craignait, il les savait – d’expérience – capables de transformer la faiblesse à laquelle la société voulait les contraindre en une force redoutable. Il a montré cela plusieurs fois, dans l’École des femmes et ailleurs. Georges Dandin ou le mari confondu n’est pas sa pièce la plus jouée, ni, il faut le dire, la plus réussie, son personnage éponyme étant par trop dépourvu de qualités. Il n’est même pas jaloux comme le serait un amoureux sincère ; il est simplement vexé de s’être laissé tromper sur la marchandise : il croyait en épousant Angélique acheter une esclave ; il a trouvé une femme, une vraie aussi rouée que jalouse de son indépendance.
La pièce est censée nous faire rire en jouant sur la différence entre les gens « de qualité » comme les Sotenville et les roturiers comme Dandin, moquer les ridicules des uns et des autres. En fait, Dandin est si bête et Angélique si vive et si dénuée de scrupules que la pièce tourne rapidement au carnage du pauvre mari, si bien que le spectateur n’est guère porté à se réjouir. D’autre part, prendre à cœur ce nigaud de Dandin est impossible, tant il semble mériter son sort.
En tout état de cause, la volonté de Molière était bien de faire rire. Or il est vrai que nous ne rions pas aujourd’hui des mêmes choses qu’au XVIIe siècle, que notre sensibilité n’est pas la même, que nous sommes sans doute moins naïfs. Dès lors, il paraît difficile de tenir le pari de Molière autrement qu’en allant au bout de ce vers quoi conduit le texte, c’est-à-dire une farce qui ne recule devant aucune outrance. L’exercice est évidemment très difficile pour des comédiens qui ne sont pas habitués à ce genre. Il faut en faire des tonnes sans que cela paraisse trop artificiel, se démener en ayant l’air de s’amuser, garder constamment le rythme, bref se mouvoir avec aisance dans un personnage artificiel et ridicule. Le rôle le plus facile est celui d’Angélique parce qu’elle est porteuse du message féministe qui convient à nos oreilles : elle n’a donc pas besoin d’en faire trop pour que nous nous intéressions à elle et Daniely Francisque a tout le charme qu’il faut pour tenir cette partie.
À revoir du 21 au 24 novembre 2016 sous le chapiteau de Tropiques Atrium au Carbet.