En 1792, l’autrice anglaise écrit un livre manifeste, Défense des droits des femmes, où elle exprime sa conviction que ces dernières sont et doivent être en tout point les égales des hommes. Sa vie agitée fut conforme à sa pensée : libre. Portrait.
— Par Maurice Ulrich —
En 1793, une Anglaise de 34 ans, Mary Wollstonecraft, écrit à Talleyrand. Elle lui adresse le livre qu’elle vient d’écrire. Il est appelé Défense des droits des femmes et elle ne mâche pas ses mots : « Je vous somme donc aujourd’hui de peser ce que j’ai avancé, relativement aux droits de la femme et à l’éducation nationale. »
Et, poursuit-elle, évoquant « les tyrans de toute espèce, depuis le faible monarque jusqu’au faible père de famille » : ne vous conduisez pas comme eux « quand vous forcez toutes les femmes, en leur refusant leurs droits civils et politiques, à rester emprisonnées dans leur famille, se traînant au hasard dans les ténèbres ». On sait aujourd’hui encore, et comment, que ce n’est pas une image.
Mais qui est l’audacieuse essayiste ? Née à Londres, dans une famille aisée, Mary Wollstonecraft a connu les difficultés liées aux spéculations hasardeuses d’un père alcoolique et violent avec sa mère. À 19 ans, son expérience de demoiselle de compagnie chez une veuve lui inspirera quelques années plus tard, en 1787, son premier ouvrage, Pensées sur l’éducation des filles.
Lectrice du philosophe John Locke, elle rejette la notion d’idées innées
Pour elle, en effet, lectrice du philosophe John Locke, qui, dans son Essai sur l’entendement humain (1690), rejette la notion d’idées innées, l’éducation est tout, et dès lors que les filles et les femmes y ont accès à égalité avec les garçons, il ne saurait y avoir entre elles et eux de différences. Une pensée très forte qui lui inspirera le titre du premier chapitre de sa Défense des droits des femmes en des termes qui donnent toujours lieu à de vifs débats : l’opinion reçue d’un caractère sexuel discutée. On entend chez elle ce que dira haut et fort Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. »
Sa vie, malgré les revers, les difficultés matérielles et les épreuves sentimentales, va être libre, à l’image de sa pensée. Deux femmes, puis deux hommes, vont marquer ses premières années de jeune fille et d’adulte. Jane Arden, avec qui elle suit les conférences du père de cette dernière, philosophe et scientifique. Fanny Bloom, avec qui elle tente de fonder une école d’un genre nouveau, mais qui meurt prématurément, en 1785. Elle lui inspirera son premier roman, Mary : a fiction (1788). L’école a fait faillite. Mary devient gouvernante, en Irlande.
Vivre la Révolution
Mais, décidée à entrer en littérature, elle revient à Londres, fait des traductions et commence à fréquenter de près le milieu intellectuel de la capitale et particulièrement Thomas Paine et William Godwin. Le premier est un polémiste, fervent républicain, engagé dans la révolution américaine, puis député en France de l’Assemblée constituante avant d’être mis à l’écart pour sa proximité avec les Girondins.
Le second est un philosophe considéré comme un précurseur de l’anarchisme et de l’utilitarisme, soit la volonté d’agir pour le bien-être collectif. Elle fait aussi la connaissance du peintre Henry Fuseli, à qui l’on doit le célèbre Cauchemar dans ses différentes versions. Elle veut l’entraîner à Paris pour vivre la Révolution, mais il refuse sous la pression de sa femme. Elle propose aussi au couple d’établir une relation platonique à trois. Refus, là encore, de l’épouse.
Elle arrive à Paris peu avant l’exécution de Louis XVI
À Paris, où elle arrive peu avant l’exécution de Louis XVI, elle s’éprend d’un aventurier américain, Gilbert Imlay, avec qui elle a une fille qu’elle prénomme Fanny, comme son amie disparue. Au Havre, elle rédige Une vue morale et historique de la Révolution française, publiée à Londres en 1794. Quittée par Imlay, elle revient dans la capitale britannique puis écrit des textes au fil de ses voyages en Suède, au Danemark.
De nouveau de retour à Londres, elle tente de se suicider et assume : « Il s’est agi d’un acte de raison, décidé dans le plus grand calme. (…) Je n’ai de comptes à rendre qu’à moi-même. » Revenue à la vie littéraire, elle épouse William Godwin et meurt quelque temps après la naissance de sa seconde fille en 1797, prénommée Mary. Elle deviendra Mary Shelley, l’autrice du conte devenu un mythe universel : Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Depuis trois ans, Mary Wollstonecraft a enfin sa statue dans un parc de Londres. Un critique, qui aurait préféré la voir en costume d’époque, la décrit comme une Barbie nue sortant d’un kebab. C’est sans doute très bien ainsi.
Source : L’humanité.fr