— Par Roger de Jaham—
Sous prétexte de lever « l’épais voile colonial d’un oubli organisé », certains n’hésitent pas à revisiter notre histoire, en particulier la période de l’esclavage et de son émancipation, sans crainte de sombrer dans le révisionnisme.
L’abolitionniste Victor Schœlcher, ou plutôt sa statue, vient d’en faire les frais par la main de vandales obscurantistes. Il semble opportun de citer ici un extrait de l’ouvrage de l’historien Édouard de LÉPINE, « Dix semaines qui ébranlèrent la Martinique », dans lequel Aimé CÉSAIRE évoquait la haute conscience morale de Victor Schœlcher.
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« Qui est ce Victor Schœlcher ?
Bien entendu, il ne saurait être question d’examiner ici, même très succinctement, l’œuvre colossale de Victor Schœlcher. Il existe aujourd’hui à côté des ouvrages hagiographiques et plus ou moins récupérateurs du premier schœlchérisme, des études plus sereines de la vie et de la pensée du grand abolitionniste. Nous n’évoquerons ici que deux des aspects essentiels de l’œuvre de Schœlcher : sa dimension éthique, son audace politique.
Sur la dimension éthique de cette œuvre, Aimé Césaire est probablement le premier à avoir mis en évidence ce qui en fait l’originalité profonde. Entre l’introduction qu’il écrit pour Esclavage et Colonisation, en 1948, et le discours qu’il prononce, trente-quatre ans plus tard, dans le débat sur le Projet de Loi relatif à la commémoration de l’abolition de l’esclavage, il y a une continuité peu commune malgré les bouleversements provoqués par la grande marée de la révolution coloniale dans les rapports entre les anciennes colonies et leurs métropoles et dans la perception même du fait colonial, notamment aux Antilles françaises.
« Qui était ce Victor Schœlcher ? » interrogeait-il en 1948.
« Un de ces grands honnêtes hommes que l’on rencontre de loin en loin dans les allées de l’Histoire… un homme de culture, de probité scrupuleuse, de courage tranquille, qui eut une sorte de génie : celui de la conscience morale. »
« Victor Schœlcher, qui est-ce ? » interroge le même Césaire en 1982.
« Eh bien ! Victor Schœlcher, c’est pour résumer en trois mots : un humaniste, un militant des droits de l’Homme, un socialiste. Quand je dis un socialiste, entendons-nous bien. Le socialisme de Victor Schœlcher n’est pas une doctrine d’économie politique : c’est avant tout une éthique… il faut admettre une fois pour toutes qu’à l’origine de son engagement militant, il y a d’abord une postulation éthique et une exigence morale. »
(…) C’est cette même rigueur morale qui a poussé Schœlcher à faire une question de principe de l’accession des nouveaux libres à la citoyenneté française pleine et entière, dès leur premier jour de liberté.
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Pour conclure sur cette tentation de « néo-révisionnisme tropical », Édouard de LÉPINE rappelait l’avertissement de l’historien Prosper Olivier LISSAGARAY, combattant de la Commune de Paris : « Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes, est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs. »
Roger de JAHAM