— Par Comité de l’Association de recherche sur le genre en éducation et formation (ARGEF) —
Les milieux intégristes et réactionnaires ont lancé une campagne de désinformation sur la «théorie du genre» à l’école. L’enjeu : l’éducation à l’égalité entre filles et garçons.
Depuis quelques semaines, dans la mouvance de la Manifestation pour tous, une campagne de désinformation est lancée dont le but est de convaincre les parents d’élèves qu’une pernicieuse «théorie du genre» est en train de s’infiltrer à l’Education nationale. Cette «théorie», récemment inventée, fantasmée, par les milieux intégristes et réactionnaires, est accusée de nier à la fois le sexe, l’identité, les goûts et le libre arbitre des enfants.
Plus précisément, ces groupuscules ciblent le dispositif ministériel des «ABCD de l’Egalité» qui ont vocation à permettre aux enseignant-e-s d’aborder l’éducation à l’égalité entre filles et garçons par des séquences pédagogiques au sein de programmes existants : sciences, éducation physique et sportive, maîtrise de la langue, histoire etc. Leur stratégie a été de semer un vent de panique chez certains parents d’élèves en diffusant, par tracts ou SMS, de grossières calomnies : par exemple que les enfants de maternelle et de primaire allaient apprendre à se masturber à l’aide de sexes en bois, lors d’interventions données par des transsexuels et/ou homosexuels ! Sur la base de ce type de discours, en Alsace comme en Rhône-Alpes, ils ont organisé une journée de retrait des enfants (JRE) de l’école en signe de protestation.
Diffamation caricaturale
Cette entreprise de diffamation caricaturale s’appuie sur la désinformation et la manipulation des parents les plus crédules pour briser la confiance qui existe entre les parents et l’école publique, mais aussi pour balayer d’un revers de main plus de 40 ans de recherche scientifique sur les discriminations entre les hommes et les femmes, sur les processus à l’œuvre dans la construction des inégalités sociales entre les sexes, sur les normes et les hiérarchies (ce qu’une majorité des chercheur-e-s nomment le genre) qui font le lit de nombreuses souffrances. Des individus viennent agiter l’épouvantail du «prosélytisme homosexuel» et «l’indifférenciation» et mélangent sans le moindre scrupule ce qui relève de sphères de pensée distinctes : valeurs, croyances, angoisses et résultats scientifiques.
Qui aurait cru qu’aujourd’hui, un mouvement pourrait s’élever pour revendiquer d’arrêter de lutter contre les discriminations et inégalités entre les sexes ?
Mauvaise foi
Contrairement à ce que ces groupuscules clament, il n’existe pas de «théorie du genre» mais une multitude de recherches, issues de tous champs disciplinaires, dont l’enjeu n’est pas le sexe, mais la hiérarchie qui existe entre les hommes et les femmes et entre les sexualités. Il faut être aveugle ou alors particulièrement de mauvaise foi pour nier ou caricaturer ces travaux. Ces rapports sociaux inégalitaires sont révélés par de multiples indicateurs tels les violences conjugales, les écarts des salaires, la pauvreté, etc. Des centaines de rapports ont été publiés avec une même conclusion : les pouvoirs politique, culturel, médiatique, technologique, financier, militaire et religieux sont toujours principalement entre les mains des hommes.
Cette hiérarchie, qui est au centre de nos sociétés, n’est pas fondée en nature. Elle ne se justifie pas par des compétences «spécifiques» propres à chaque sexe. Là encore les références ne manquent pas pour distinguer la spéculation et les faits scientifiquement avérés.
Cette hiérarchie a produit un ensemble de normes pour se justifier elle-même : les femmes seraient destinées à rester dans l’espace privé, elles seraient douces et aimantes, elles seraient facilement influençables, elles auraient l’esprit pratique et non théorique. Les hommes seraient alors supposés être l’inverse et par un tour de passe-passe, cette complémentarité est présentée comme nécessaire à l’équilibre social, puisque naturelle. Or, il ne faut pas oublier que le terme «complémentarité» n’a jamais été un synonyme d’égalité : les enfants de huit ans savent que si 8 et 2 sont complémentaires à 10, 8 et 2 ne sont pas égaux !
Princesses et chevaliers
Cette «complémentarité» profondément inégalitaire se fabrique dès le plus jeune âge, quand on cherche à convaincre les enfants que tous les garçons «normaux» rêvent d’être des courageux chevaliers et que les filles «normales» rêvent d’être des jolies princesses.
Voilà le but des «ABCD de l’égalité» : combattre les stéréotypes qui empêchent nos enfants de devenir ce qu’ils et elles ont envie de devenir et inhibent leur liberté individuelle. Ils souhaitent dire aux filles : tu peux être une princesse, une aventurière, une cosmonaute et une danseuse, tu peux être tour à tour les unes ou les autres si tu en as envie, mais surtout, tu peux être qui tu veux et tu peux pratiquer le métier ou le sport que tu veux. Quant aux garçons, ils pourront être des chevaliers mais aussi des troubadours, des footballeurs ou des danseurs : ce ne sont pas les stéréotypes qui choisiront à leur place.
Voilà ce que les études sur le genre, ou les rapports sociaux de sexe, apportent à l’éducation des filles et des garçons : l’ouverture des possibles, l’égalité des choix et le respect de la personnalité de l’enfant. Il ne s’agit ni d’une théorie, ni de spéculation, ni de croyance, mais de valeurs et de travaux scientifiques. Le tout est aujourd’hui bafoué par des intégristes et réactionnaires, obnubilés par les questions sexuelles et qui défendent la discrimination. Car lorsqu’on écrit sur ses tracts «Touche pas à mon stéréotype», on écrit en réalité «Touche pas aux discriminations», «touche pas aux inégalités», «la souffrance des autres, je m’en fous !».
Liberté de penser
Nous voyons aujourd’hui que certaines organisations ont peur de laisser aux enfants une liberté de penser dont leurs membres n’ont jamais pu bénéficier. Face à cette angoisse, elles sont prêtes à brader une des valeurs les plus essentielles de la République : l’égalité. Nous refusons qu’au XXIe siècle, nos enfants, nos élèves soient endoctrinés par les stéréotypes de sexe. Nous demandons au ministère de l’Education nationale de faire preuve de la plus grande fermeté face à ces manœuvres qui visent à déstabiliser l’école publique. Nous lui demandons de soutenir sans ambiguïté les «ABCD de l’égalité» en coupant court aux rumeurs. Nous lui demandons de réaffirmer concrètement sa volonté de former tous les futur-e-s enseignant-e-s à l’égalité entre les filles et les garçons, et d’y consacrer les moyens nécessaires pour que nous soyons tous et toutes armé-e-s contre la discrimination.
Signataires : Isabelle Collet, Nassira Hadjerassi, Cécile Ottogali – Mazzacavallo, Gaël Pasquier, Céline Pétrovic, Geneviève Pezeu, enseignant-es de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur.
Comité de l’Association de recherche sur le genre en éducation et formation (ARGEF)