— Communiqué des Ouvriers Agricoles de la CGTM —
Les Nations Unies ont décrété que le 28 avril prochain sera la Journée Mondiale de la sécurité et de la santé au travail. Un vaste programme, mais gageons, que le quotidien des travailleurs dans les entreprises en Martinique, ne s’en trouvera pas changer pour autant!
Le fait est qu’il existe de nombreuses résolutions et intentions proclamées dans les séminaires et forums officiels, dans les documents administratifs tels que les Plans Santé Travail Martinique, Les Plan Chlordécone 1 ; 2 ; 3; 4, sans négliger l’action des institutions ou Associations tels que: la Sécurité Sociale; la DEETS; l’ARACT-Martinique; la Médecine du Travail.
Pourtant la dénonciation des effets du travail sur la santé constitue l’une des premières préoccupations lors des mobilisations syndicales.
La responsabilité sociétale des entreprises
Au coeur de cette préoccupation de sécurité et de la santé au travail, se trouvent les entreprises. La loi, la réglementation, les nombreux décrets, mais également la RSE, qui n’est pas qu’un simple concept, puisque devenu une obligation légale, depuis 2019 avec l’adoption de la loi Pacte, tous ces textes précisent que : » toutes les entreprises françaises sans exception, doivent « prendre en considération » les enjeux environnementaux et sociaux dans la gestion de leurs activités » .
Chlordécone pesticides et cancers
Dès lors, comment expliquer l’absence de mesures pour protéger les travailleurs de la production agricole notamment du risque de cancers. Pourtant, dans ses préconisations, le Plan Santé Travail de Martinique depuis 2015 tire la conclusion suivante: » La problématique des cancers professionnels devrait faire l’objet d’une étude à elle seule. Du fait des délais d’apparition, ces cancers peuvent être sous-déclarés. A ce titre un suivi post-professionnel des salariés des secteurs les plus à risque est à envisager « .
De bonnes intentions ont été également évoquées dans les différents Plans chlordécone. En effet, depuis 2002, et particulièrement au travers les plans chlordécone, l’État et ses opérateurs ont mobilisé d’importants moyens d’études, qui devaient conduire à la sensibilisation et à la protection de la population et notamment des travailleurs.
Dans son Plan d’action contre la pollution par la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique (Synthèse et État d’Avancement 2014-2018), il avait été prévu d’implanter un centre régional de pathologies professionnelles et environnementales aux Antilles, afin de renforcer l’expertise sur la chlordécone et des produits phytopharmaceutiques dans le contexte d’expositions professionnelles et environnementales.
Ce même Plan avait envisagé, de mettre en place un suivi médical des salariés de la banane exposés, et d’instaurer une surveillance médicale. Tout cela faisait sens, puisque l’essentiel était d’accompagner les personnes exposées à la chlordécone, lors de leurs activités professionnelles, et de les informer sur leurs droits.
L’ambiguïté des choix de l’État
Santé publique France, a réalisé pour la période allant de 1960 à 2015, une étude sur les effets nocifs avérés des pesticides. Les résultats montrent qu’en 1989 (année de référence), 12 735 travailleurs agricoles permanents travaillaient dans les bananeraies, par ailleurs, l’étude montre que tous les travailleurs de la banane sont ou ont été exposés à au moins un pesticide cancérigène, mutagène, reprotoxique ou potentiellement perturbateur endocrinien.
Alors comment expliquer, que le décret du 19 avril 2022, instaurant un tableau de maladie professionnel des travailleurs exposés aux pesticides, limite le bénéfice de la reconnaissance de la maladie, uniquement « aux travaux exposants à la manipulation ou l’emploi de ces produits, par contact ou par inhalation» ?
Déjà l’infamie de la durée d’exposition de 10 années ou encore de l’indemnisation forfaitaire, avait écœuré tout le monde, alors que des organismes comme l’INSERM, l’ANSES, AGRICAN et de nombreuses études avaient déjà affirmé les liens entre pesticides et santé et qu’un consensus avait été trouvé pour une durée d’exposition de 5 années.
Et puisque cette durée d’exposition de 10 ans ne correspond à aucune donnée scientifique, il devient claire que pour des raisons purement financières, cette décision, va écarter des milliers de travailleurs de la reconnaissance de la maladie et de leur indemnisation en tant que des victimes.
L’explosion des facteurs de risques psychosociaux
Aujourd’hui, les facteurs de risques psychosociaux et leurs effets sur la santé et la sécurité des salariés sont de plus en plus lourd de conséquences. C’est la multiplication des accidents de travail, accompagnés d’handicaps, ou parfois mortels, de maladies professionnelles, et des séquelles et traumatismes, liés à l’organisation du travail, aux conditions dégradées de travail, à l’absence de relations sociales équilibrés, une situation, soumise également à l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral.
Certes, c’est un phénomène qui n’épargne aucun secteur d’activité, mais il se répand aujourd’hui, surtout dans l’activité de production bananière. La polyvalence grandissante des tâches dans le secteur du hangar notamment est source des TMS, le port de charge, l’optimisation de l’espace de travail par la flexibilité. La réduction des temps de repos, l’individualisation du travail ou encore les exigences de production accrues des employeurs Ces contraintes de la production sont souvent actionnées par la violence du commandement ou encore par les menaces notamment de licenciement. Ce qui génère des processus internes de harcèlement moral ou de conflits exacerbés mais souvent conditionnés organisées et voulues entre les salariés.
En l’absence des mesures de prévention, ce climat délétère, aggrave largement la dégradation de l’état de santé des salariés. Ceci, bien que le droit de la santé au travail est irrigué par neuf principes généraux de prévention affirmés par l’article l. 4121-2 du Code du travail.
Alors que faire?
Force est de constater que de plus en plus, les pirouettes et les reniements des autorités, contribuent à construire l’impunité des entreprises. D’ailleurs, en partie, la loi du 4 aout 2021 sur la santé au travail_ne participe-t-elle pas à défausser l’entreprise de ses responsabilités, en déportant la médecine du travail vers la médecine de ville? Ou encore par la création d’un passeport prévention pour les salariés et apprentis, n’est-ce pas là, donner à l’entreprise un moyen de se débarrasser de ses obligations?
Dès lors, la question se pose, cette nouvelle célébration ne devrait-elle pas à conduire à dénoncer cette forme d’impuissance collective, qui fait que les problèmes demeurent, tant ils semblent freinés par la volonté de ne pas voir changer les choses!
A force de pirouettes, et de faux semblants, les autorités ne contribuent-elles pas à leur manière, à l’envoi aux calendes grecs, des préoccupations sérieuses, qui à force d’être ignorées, ouvrent la voie à d’autres formes d’action?
Parce qu’il n’est plus à prouver, que les politiques de santé au travail menées en Martinique sont défaillantes et n’abordent que superficiellement les mécanismes de prévention et de réparation des risques professionnels, et c’est signe que l’action publique s’en désintéresse.
Pourtant au cours des débats concernant de la loi du 4 aout 2021, l’intérêt semblait se manifester autour de la question de la santé et sécurité au travail dans le cadre de la santé publique? Alors, ne faut-il pas constater que les initiatives sont bien modestes, quant aux propos tenus, quant aux risques encourus et aux promesses sans cesse renouvelées, lors des moments de pseudo-concertation?
Quels constats, quels choix?
Au jour d’aujourd’hui, les salariés restent toujours confrontés aux sempiternelles contestations des patrons qui dénigrent la lourdeur des procédures d’évaluation et refusent de les mettre en oeuvre.
De manière récurrente, et surtout dans le secteur de production agricole, les employeurs se livrent une chasse permanente aux représentants syndicaux qui ne font que demander des comptes.
Du côté de l’administration du travail, il est manifeste que de plus en plus on observe un manque d’intérêt, une absence d’intervention dans les entreprises, comme si les inspecteurs et contrôleurs du travail de terrain, étaient tenus par une consigne venue d’en haut.
Quant à la Caisse Générale de Sécurité Sociale et son service de Risques professionnels, elle n’est souvent pas en mesure de publier des statistiques cohérentes, notamment sur les accidents de travail. D’ailleurs, la pauvreté de ses publications, montre, qu’elle pas en mesure non plus, d’analyser les risques professionnels leurs conséquences et de mettre en évidence les dangers afin de suggérer des politiques pour la santé et la sécurité des salariés.
Les Associations de Médecine du travail chargé de la mise en œuvre des politiques de prévention de la santé, se plaignent du manque de moyen humain et matériel notamment pour leurs investigations. Interpellés, ils se limitent, dans la plus part des cas, à faire barrage à la sollicitation des salariés en difficultés. D’ailleurs, que sera, demain, le bilan de leur action en regard de la nouvelle loi santé du 04 aout 2021 ?
Alors, pour cette Journée Mondiale de la sécurité et de la santé au travail, il ne suffira pas de dire que la santé au travail est une question de santé publique, comme le fait la loi du 4 aout 2021. Car au-delà du slogan, cela devra être un choix déterminant pour les priorités de l’intervention publique. Et pour aboutir, il faudra convenir, par le biais d’accords dans les entreprises et les branches professionnelles, la formalisation des grandes priorités dans le domaine de la prévention des risques professionnels.
Cependant et dans l’attente, sans faire l’apologie du plus court chemin, envisager tous les moyens pouvant accélérer la manœuvre. Et vu de l’urgence, pallier l’absence d’initiative des branches professionnelles et des entreprises, en dotant la Martinique, d’une Commission Paritaire Régionale Interprofessionnelle dédiée à la santé et à la sécurité au travail.
Fort de France le 24 avril 2022
Marie Héllen Marthe « dite» SURREL
Secrétaire du Syndicat CGTM des Ouvriers Agri oies de Martinique