— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Aujourd’hui, la Guadeloupe fait face aux nouveaux défis comme le changement climatique, la transition écologique, et les nouvelles technologies telles que la digitalisation des tâches, la robotisation et l’intelligence artificielle. Et le problème est qu’en Guadeloupe et en Martinique, les dangers à court terme du risque de déclassement d’une économie sous perfusion publique sont occultés par nos responsables politiques du fait d’une absence de vision prospective. Nous ne le répéterons jamais assez, l’économie de la Guadeloupe est une économie sous serre dépendant quasi exclusivement des flux financiers en provenance de la France hexagonale. En ce sens, la France hexagonale a méthodiquement procédé au verrouillage du système Ainsi, les financements publics extérieurs, l’État et les institutions publiques représentent près de 70% du PIB de la Guadeloupe selon notre propre évaluation à partir des données macroéconomique en notre possession. En l’absence de cette irrigation publique, point de salut pour une économie mise sous cloche !
Et dans tous les cas de figure sans la présence des transferts publics, c’est toute l’économie de la Guadeloupe dans son fonctionnement actuel qui s’écroulerait comme un château de cartes.. L’économie dépend des fonds publics par le biais des dépenses d’investissement, des dépenses de solidarité et des salaires des agents publics. En conséquence, point besoin d’être un grand grec pour comprendre que l’évolution de la situation économique de la Guadeloupe est très largement en corrélation avec celle de la France hexagonale.Tout l’enjeu pour nos élus locaux est non pas de dépenser plus en projets de court terme, mais de rediriger l’argent disponible en opérations d’investissements vers les activités productives. La faiblesse infrastructurelle et financière du secteur productif actuel de la Guadeloupe, le cadre législatif et institutionnel disparate de la Martinique et de la Guyane ajoute à la confusion régnante, le manque de productivité du travail, sont contrebalancés par une inventivité spectaculaire dans la création de zones commerciales en tout genre. À tel point que le numérique et la digitalisation commence à « bousculer les normes et la définition même de la départementalisation. Disons le tout net à l’aube de cette nouvelle année la Guadeloupe doit s’affranchir du modèle de l’import-export pour développer une économie de production qui respecte les principes de la transition écologique et énergétique. A notre sens, l’économie locale a aujourd’hui besoin d’une triple révolution. D’abord, sur le plan technique, il est impératif d’inverser la logique consistant à développer des enseignes commerciales dans les zones industrielles et commerciales de Jarry et Dothemare à grand renfort de subventions des collectivités pour les adapter à des petites activités de production sélectionnées pour leur très haute productivité et leur capacité à exporter. Il faut au contraire de ce qui se passe aujourd’hui que les zones industrielles et commerciales actuelles s’adaptent à la reconversion d’activités de production tournées vers la transformation de produits à partir de l’importation de matières premières en provenance d’Amérique du Sud et Nord et que les systèmes agricoles et artisanaux s’organisent pour bénéficier des services financiers offerts par le système. Pour l’heure le mal étant diagnostiqué, il convient de ne pas répéter les mêmes erreurs avec la zone en cours de construction de Capesterre Belle Eau qui devrait être exclusivement consacrée à des entreprises de production et érigée en zone franche.
Enfin, sur le plan politique, il faut que lee relations internationales avec les pays de la zone Caraïbes et Amérique servent le développement productif local de la Guadeloupe, et non l’inverse.
Cela étant dit, il faut savoir que déjà l’année 2023 a été difficile pour de nombreux Guadeloupéens avec la crise inflationniste et que la pauvreté est en hausse dans notre pays. Alors que faut-il attendre comme perspectives pour l’année 2024 en Guadeloupe ?
Pas grand chose de bon en fait, car la situation économique en France se tend de plus en plus et laisse augurer de perspectives sombres pour les affaires en 2024. Bruno Le Maire s’est dit prêt à prendre des mesures drastiques de réduction des dépenses publiques pour respecter les objectifs de déficit si la croissance économique de la France n’est pas conforme aux prévisions.
Les indicateurs avancés du moral des ménages, du climat des affaires ou des visions des directeurs d’achat ont atteint fin 2023 des niveaux très bas, généralement corrélés avec des récessions. Les indices industriels sont en particulier très touchés par la crise des prix de l’énergie, et ce en France comme dans le reste du monde.
Comme les interventions publiques commencent à refluer en France en raison des déficits insoutenables et coûteux, nous risquons de connaître une nette dégradation dans les prochains trimestres de l’année prochaine au niveau de l’activité économique.Pour synthètiser, l’année 2023 a été marquée par un fort ralentissement économique en raison de la poussée inflationniste, dont les effets ont été masqués par un déficit public historique, qui a limité les conséquences les plus dramatiques au prix d’un accroissement de la dette et des intérêts futurs à payer. De même l’année 2023 a été marquée par un fléchissement de la consommation des ménages. C’est que les Français ont dû s’adapter à une très forte inflation alimentaire. Les Français ont donc tout fait pour limiter leurs dépenses. Ainsi, la consommation alimentaire a enregistré un nouveau repli également en Guadeloupe. Pour contenir leur budget, les consommateurs s’orientent également de plus en plus vers les marques de distributeurs et en plus ils doivent subir la nouvelle politique commerciale tournée de plus en plus vers le low cost. Par conséquent, il faut savoir que au-delà de petites fluctuations régulières de la bourse, le taux de pauvreté poursuit sa tendance haussière de long terme. Rappelons que le chômage est de nouveau reparti à la hausse en 2023 et que près de 40 % des chômeurs ont sombré dans la pauvreté. Dans ce contexte de forte pression sur le pouvoir d’achat depuis maintenant deux ans, les vols à l’étalage ont fortement progressé. Les chiffres du ministère de l’Intérieur, montrent une augmentation de plus de 19% en 2023. Par ailleurs, l’on a assisté à une multiplication des squatteurs et des actes d’incivilités. Et l’année 2024 va mal démarrer, l’activité économique en France étant déjà en quasi récession et en Europe, la situation est bien moins que reluisante, car sur les trois premiers trimestres de 2023, la croissance des pays de l’Union européenne est de 0,2%, celle de la zone euro de 0,1%. Dans ces conditions difficiles, l’État va commencer à réduire son soutien artificiel à l’économie des régions d’outre-mer dont la Guadeloupe, amputant leur croissance d’environ 2 points de PIB. En effet, Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire s’est dit « déterminé » à réduire le déficit public et à « accélérer le désendettement » de la France. La dette publique, qui a dépassé les 3.000 milliards d’euros au premier trimestre 2023, s’établit à 3.088,2 millards d’euros au troisième trimestre, soit 111,7% du PIB. Pour 2024, le gouvernement français prévoit un déficit public à 4,9% du PIB et un endettement à 109,7% du PIB pour 2024, avec une croissance économique à 1,4%, jugée « trop optimiste » par nombreux d’analystes.
Les banques devraient encore resserrer la distribution du crédit et légèrement diminuer les taux d’intérêts, mais l’effet en sera très limité dans le temps, du fait d’une probable augmentation des créances douteuses et litigieuses. La croissance devrait en pâtir avec la liquidation judiciaire de certaines entreprises zombies. En conséquence, le chômage devrait continuer d’augmenter toute l’année, ainsi que l’inflation importée, et le pouvoir d’achat devrait encore en souffrir. Ce qui risque d’aggraver le déficit public des collectivités territoriales, et donc la défiance des investisseurs. Tous les éléments précédents illustrent le danger d’un pays qui sombre dans le surendettement massif, finançant à crédit son niveau de vie actuel, qui est donc fictivement augmenté au détriment, non pas des « générations futures », mais de notre niveau de vie dans 5 à 10 ans tout au plus. Et sans parler d’éventuelles « surprises géopolitiques » qui pourraient surgir en 2024.
Pourtant déjà, un dangereux cercle vicieux de défis nous menace en Guadeloupe, que bien peu de médias évoquent et analysent. Défi économique en effet : aujourd’hui, environ 80 % de l’alimentation est importée, ce qui représente entre 1 et 3 milliards d’euros par an. Ces chiffres sont alarmants : à terme avec une diminution des transferts publics quelles exportations pourront permettre de payer une telle facture pour la Guadeloupe ?
Défi social aussi, car le vieillissement des exploitations agricoles, les grandes difficultés de transmission des petites activités artisanales et unités commerciales dont l’activité souffre déjà d’obsolescence rapide avec la robotisation et bientôt en raison du développement accéléré de l’intelligence artificielle, les difficultés financières actuelles de quasiment toutes les filières agricoles, les hémorragies paysannes des campagnes remplacées par une main d’oeuvre étrangère, dont nous constatons déjà l’impact de substitution sur les villes et les zones périurbaines et, au-delà, sur les flux migratoires dans certaines localités, sont un puissant facteur de déstabilisation à terme de la société Guadeloupéenne. C’est également un risque accru d’insécurité alimentaire avec la disparition déjà effectives de certains produits locaux sur les étals des marchés et grandes surfaces du fait de la crise inflationniste et des aléas climatiques. Au-delà de ces données qui déconstruisent les idées reçues de la départementalisation, la Guadeloupe devrait faire face en 2024 à de nombreux défis. Ainsi, dans le domaine économique, la crise inflationniste amorcée en 2022 se poursuivra en 2024 et les perspectives de croissance pour le futur restent soumises à de nombreux aléas, notamment financières, climatiques, sécuritaires, sanitaires et politiques.
Voilà vraiment pas de quoi être optimiste !
Mais soyons optimistes car un pessimiste est un optimiste qui s’ignore, et comme le dit ce vieux proverbe créole….
« SA KI LA BA’W DLO PA KA CHAYEY »
– traduction littérale : ce qui est là pour toi l’eau ne l’enmène pas.
– moralité : On échappe pas à sa destinée….en matière économique, il n’y a pas de hasard !
Jean-Marie Nol, économiste