par Victor LINA, psychologue-clinicien
–En 1972, Germain BOUCKSON psychiatre et Bertrand EDOUARD psychologue, ont produit un ouvrage intitulé : « Les Antilles en question. ».
Tous deux ont exercé leur métier respectif à l’hôpital psychiatrique de Colson, encore situé sur la route de Balata. Auparavant ces deux hommes avaient exercé dans l’enceinte embryonnaire de ce même hôpital à l’endroit où se trouve l’actuel palais de justice de Fort de France. Suite au déménagement de l’institution psychiatrique aux limites de Balata, pendant des années ce lieu surtout connu sous la synecdoque 118, abrita seule la prison de la capitale ouvrant sur la rue Victor SEVERE.
A quelques années près la folie et le crime avaient été domicilié dans les mêmes espaces. La folie, par un artifice allégorique, avait sa route qui s’ouvrait sur la « redoute » mais sa place n’était manifestement pas au centre-ville.
BOUCKSON et EDOUARD affichaient l’ambition d’analyser l’évolution du mode d’être du Martiniquais dans sa relation à l’autre en vue de réaliser une étude de la relation transculturelle.
Premier acte : une agression verbale accusatrice qui peut s’entendre comme un reproche venant masquer une demande.
Cet acte est interprété comme le meurtre symbolique du père Blanc incarné par le psychiatre métropolitain Germain BOUCKSON, parricide commis par le psychologue martiniquais Edouard BERTRAND en place de fils.
Au-delà de l’allégorie dont se réclament les auteurs, se profile une question qui jalonne les travaux de nombres de protagonistes, psychologues, psychanalystes, sociologues, historiens, écrivains, philosophes, poètes…
Quelle est la place du père ou qu’est-ce qui fonctionne au lieu de son abri d’infortune ?
Pierre LEGENDRE, historien du droit, psychanalyste, se propose d’apporter une lecture de la transmission généalogique et de la fonction paternelle. Il y adjoint la dimension profondément religieuse du pouvoir politique et la relation mythique voire « amoureuse », existant entre le pouvoir et les individu-sujets. Il aborde par exemple, la question du mode d’entrée dans la filiation réduite à sa plus simple expression par l’inscription à un registre d’état-civil.
L’un de ses ouvrages portant le titre : Le crime du caporal LORTIE est aussi intitulé Traité sur le père. D’emblée est donc posée la question du père et de la mort. Qu’est-ce qu’être père ?
Cette question amenée dans le champ institutionnel est considérée notamment sous l’angle politique comme incongrue voire comme embarrassante.
L’angle apparemment paradoxal choisi par l’auteur est d’analyser l’attentat commis en 1984 par Denis LORTIE à l’Assemblée Nationale du QUEBEC comme relevant du parricide. D’un attentat au moyen d’armes de guerre qui a occasionné le décès de trois personnes et faits de nombreux blessés, l’auteur en fait un unique crime contre une figure doublement absente, le père ou le gouvernement comme substitut.
Il s’agit d’illustrer les effets d’une faillite ou du malaise dans la culture moderne.
De l’avis de LEGENDRE, l’occident vit le malaise de l’interprétation institutionnelle de la question du père et du fils.
Ce qui se joue entre ces deux pôles est tout sauf naturel. L’offrande que s’apprêtait à réaliser Abraham par obéissance et soumission au Divin et aux dépends de son fils Isaac, promis au sacrifice, constitue nous dit l’auteur le paradigme de la culture européenne. Ce mythe est à envisager comme un montage, comme une fiction nécessaire. Les ingrédients ici sont la mise à mort et son évitement in extremis. Etre père, dans ce cas, relève d’un don suspendu à la soumission à l’arbitre, mais non dénué de cruauté en vertu de la loi. Le père est celui qui ayant reconnu en lui le désir de meurtre fait don contre abandon, de vie ou de mort, en graciant le fils.
La cruauté détournée s’applique à un animal émissaire. Ce déplacement d’allure métaphorique est l’insigne d’un refoulement partiel de la violence mais il introduit en tant qu’acte, un radical changement de registre, le sacrifice d’un veau ici, d’une volaille là, au lieu d’un homicide et à l’étape originelle, au lieu d’un infanticide.
Dans le cas de LORTIE c’est la rivalité agie sur une scène mégalomaniaque qui s’est affichée comme un cauchemar pour les témoins et les victimes.
Comme en vue d’une réparation, il s’agit de rejouer une scène dans une temporalité anachronique, de réinstaller de force une dramaturgie en-deçà du fantasme.
Bruno PERREAU, lecteur critique de LEGENDRE précise qu’en droit romain, la vie n’est un concept juridique que pour désigner le pouvoir de vie du pater sur son fils ; elle est avant tout la contrepartie d’un pouvoir de mort.
A quels désastres le père peut-il faire barrage ? S’interroge LEGENDRE.
Il serait peut-être opportun d’en infléchir la perspective sous la forme : A quel au-delà se rapportent les divers montages aux issues parfois tragiques qui jalonnent notre quotidien ?
A notre niveau, maintenant : quels enseignements pouvons-nous tirer de cette analyse brièvement rapportée ? L’académicien Pierre ROUSSEL, évoquait jadis les rites probatoires de la Grèce antique que représentent les rites de la naissance parmi lesquels on trouve l’exposition du nouveau-né que Pierre BRULE associe à des infanticides. Séverin Cécile ABEGA, professeur d’Anthropologie camerounais lors d’une intervention portant sur l’enfant chez les Béti, fit part en 2004 d’une pratique d’exposition comparable du nouveau-né mis dans une poterie en bordure d’un cours d’eau dans la forêt africaine.
Là où ces rites n’existent plus, là où les mythes ne sont plus en fonction, là où ils sont remplacés par la « comptabilité bouchère » du scientisme et de la vérité statistique, certaines personnalités, pour le moins fragile, tentent, par un acte irréel ou ultime, d’exister.
Ainsi le crime de LORTIE peut être entendu comme la conclusion d’une faillite. Il n’est pas exclu que d’autres situations criminelles ou délictuelles puissent être confrontées à ces hypothèses en esquisse.
Victor LINA
Article paru dans la revue Antilla dans la rubrique :
« Quelques mots écrits pour dire psy »
* Le titre est de Madinin’Art