Quelle philosophie des institutions éducatives ?

— Par Roland Tell —

Aujourd’hui, l’univers culturel est à la fois présent et irréel. Il est omniprésent, par le foisonnement d’informations, qui le caractérisent, d’où des perspectives nouvelles pour le système éducatif, pour sa rénovation pédagogique. Il y a , maintenant, et fort heureusement, complicité entre l’idéologie et l’évolution de la connaissance. Que reste-t-il alors à faire ? Il reste à entreprendre des actes irréversibles, et à mettre en oeuvre cette philosophie des institutions éducatives, en s’appuyant sur tout ce qui permet de s’élever à une conception, à la fois idéologique et opérationnelle, des nouvelles formes du système enseignant.
Une telle optique déborde le cadre scolaire. Elle concerne l’autorité politique, et l’opinion publique en général. L’unanimité arrive à se faire progressivement, au niveau d’une analyse approfondie sur les conditions de la transformation, dans la perspective même de la philosophie éducative. Certes, il ne saurait y avoir de rénovation pédagogique, qui ne soit pas, en même temps, une rénovation administrative, une transformation du statut des professeurs, une rénovation des conditions d’activités des élèves. C’est l’ensemble ordonné de toutes ces transformations, que doit avoir en vue la philosophie des institutions éducatives, soit donc dans une confrontation permanente avec les conditions de son incarnation. Elle a tout à gagner en clarté, et en efficacité, à passer, par son expression, sous forme de système.
Les grandes lignes de l’évolution future des institutions éducatives consistent dans la mise place d’un ensemble fonctionnel, dont l’objectif est de porter, au plus haut point possible, la démocratisation quantitative et qualitative de l’enseignement. Cela entraîne la rénovation idéologique et technique de cet enseignement, en vue d’assurer, aux jeunes et aux adultes, le développement intellectuel le plus intense, et l’insertion collective la plus réussie, dans la société technologique actuelle, dont d’ailleurs la croissance est étroitement couplée avec le développement du système éducatif lui-même. Par exemple, la démocratisation qualitative, qui s’exprime en terme de pédagogie, doit aboutir à l’élaboration d’un système pédagogique, permettant le développement créateur maximum individuel. S’agissant de la démocratisation quantitative, susceptible de s’ouvrir à des pourcentages sociaux d’enseignement de masse, le seul moyen d’y parvenir, c’est d’assurer aussi le développement créateur des élèves, et non les confronter à des niveaux. D’où la nécessité de repenser les objectifs de l’enseignement, en assurant au mieux les enseignements instrumentaux, qui sont les conditions fondamentales du développement individuel des élèves, puisque ce sont ces connaissances, qui permettent d’en acquérir d’autres. Donc, l’axe principal de l’action éducative, c’est la partie structurée de ce développement, qui passe par les enseignements instrumentaux ! Cela consiste donc dans l’ajustement permanent de ce qui est enseigné aux contenus réels et aux circuits réels de la culture et du savoir, tels qu’ils existent dans la société globale d’aujourd’hui. Elle consiste donc dans le maintien du contact entre les contenus, et ce qui est réellement le savoir à un moment donné, en 2018-2019 par exemple, et les circuits de diffusion empruntés par ce savoir. Cet ajustement ne peut s’effectuer initialement qu’au niveau des langages, à travers lesquels l’expérience des individus se forme et se communique. C’est par rapport à ces langages fondamentaux, instruments effectifs de la communication moderne, que se situe l’évolution du système.
La mutation des contenus, c’est donc l’actualisation, et c’est parce que l’actualisation présente le thème premier, que tout ce qui n’est pas directement et immédiatement lié à elle – actualisation continue, doit sinon être supprimé, du moins devenir une option à un moment donné, après que tout le monde scolaire ait passé par les formes générales de l’actualisation. En effet, l’actualisation enveloppe une ouverture générale sur le monde moderne, qui comprend, non seulement des concepts, mais des motivations, des devoirs, des appels vers l’action. Ainsi, l’actualisation, c’est être présent dans un monde extrêmement renouvelé, qui accumule des informations perpétuelles sur un rythme extraordinaire et brutal. « Actualiser » peut être interprété comme entrer en rapport avec cet univers moderne, non plus par des concepts antérieurs, rebattus, mais pour se faire une structuration, et le faire en confrontation.
C’est la confrontation des élèves, qui permet de découvrir les moyens de communication, que ceux-ci doivent réellement utiliser ! C’est cela même le principal contenu : l’ensemble des langages, utilisés pour la communication, la perception, et l’information, dans une société, désormais passée au stade post-industriel ! D’où la nécessité de mettre en place un tronc commun, qui commence à l’école élémentaire, et qui s’épanouit à la fin du premier cycle du second degré, pour se prolonger jusqu’au baccalauréat (socle commun). Ce tronc commun doit consister dans l’étude des langages fondamentaux.
Certes, sur le tronc commun, s’articulent des options, par exemple, à partir du Collège, permettant une diversification plus grande. Le tronc commun, ainsi défini, doit être conçu comme une évolution vers un humanisme moderne, c’est-à-dire vers une véritable culture générale. Il s’agit, dans cette nouvelle façon de concevoir l’enseignement, de faire, des langages fondamentaux, les instruments effectifs de la communication. Ainsi, dans l’exigence de l’actualisation, l’école se transforme en un milieu culturel, aussi riche que possible, non seulement en éléments de contacts concrets avec le milieu d’aujourd’hui, mais aussi en éléments documentaires et technologiques, immédiatement accessibles, dont on peut disposer, par exemple, comme machines pour apprendre. Tout cela ne peut qu’amener l’éveil du professeur, de plus en plus à côté des élèves, pour les aider à trier, à sélectionner, à critiquer, à étudier, à utiliser, à vivre ! Ce faisant, il se crée des habitudes, qui sont celles de la formation continue, qui demeure ainsi indéfiniment ouverte.
S’agissant, en conclusion, du développement créateur des élèves, dont il a été question, dans un texte antérieur, c’est le principe le plus riche et le plus fécond de la philosophie éducative, car il enveloppe toutes les réflexions sur les objectifs et les finalités de l’éducation, en les subordonnant à ce projet fondamental, qu’est la définition même du système éducatif, soit assurer à chaque élève le maximum de développement, dont il est capable. Car, en général, l’éducation porte sur les êtres, qui ont à élaborer leur propre fin, et à construire leur propre personne.
Or, les individus sont des êtres indéfiniment inachevés, et la meilleure définition de l’éducation consiste à lier celle-ci « au caractère inachevé de l’être humain ». Certes, les connaissances ne sont pas déposées dans les chromosomes ! La culture, étant déposée hors de l’individu, dans les produits culturels, elle est constamment recréée et reprise, comme l’a montré auparavant le souci de l’actualisation. Cet effort culturel est donc permanent, et consiste à chercher les instruments, qui permettent à cette finalité de se manifester. Voilà comment il faut concevoir le développement créateur de l’élève, tant au contact du milieu éducatif structuré, qu’au contact du milieu social.
ROLAND TELL