— Par Fred Constant —
Alors que les députés et sénateurs débattent du texte législatif qui permettra en place l’Université des Antilles, il nous a paru nécessaire, en tant qu’anciens membres du conseil d’administration de l’Université des Antilles et de la Guyane, d’apporter notre contribution à la réflexion sur l’avenir de l’enseignement supérieur et la recherche aux Antilles.
Née en 1982, l’Université des Antilles et de la Guyane (UAG) traverse une profonde crise. Après un mois de grève, le pôle universitaire de la Guyane a obtenu sa séparation avec l’UAG.
Dans le débat général sur l’université française, l’éclatement de l’UAG apporte une expression exemplaire de la nécessité de trouver un point d’équilibre entre l’autonomie de chaque établissement – ou pôle régional – et la mutualisation des expériences et des ressources. L’enjeu est de savoir comment atteindre cet objectif aujourd’hui : en privilégiant le droit commun ou en poussant plus avant son adaptation ?
On avait pensé avoir trouvé les termes de cet équilibre, hors du droit commun, avec l’ordonnance n°2008-97 du 31 janvier 2008 d’adaptation de la loi relative aux Libertés et aux Responsabilités des Universités à l’UAG. Or à l’épreuve des faits, cette ordonnance n’a pas renforcé, loin s’en faut, la gouvernabilité de celle-ci. Sans sous-estimer le jeu des acteurs, le caractère dérogatoire du fonctionnement qu’elle a rendu possible, n’a pas produit l’effet escompté. Au contraire, elle a permis l’expression des pressions centrifuges sans pour autant réussir à les canaliser.
Alors que dans les universités de droit commun, la liste arrivée en tête chez les enseignants-chercheurs obtenait une majorité confortable des sièges, à l’UAG, les élections étaient effectuées dans des collèges électoraux sur les trois pôles (Guadeloupe, Guyane, Martinique), ne permettant de dégager aucune majorité de gouvernance.
Il en a résulté une instabilité chronique depuis 2008 : un président qui est démis de ses fonctions après deux ans de mandat, une présidente élue en 2013 après plusieurs tours de scrutin, en butte à des compromis instables entre des pôles régionaux, aujourd’hui confrontée à la plus grave crise de gouvernance de toute l’histoire de l’UAG!
IL Y A DES CHOIX À FAIRE!
Au 1er septembre 2014, la Guyane deviendra une université expérimentale. L’UAG devrait devenir l’Université des Antilles (UA). Dès lors, une question se pose avec acuité : l’UA devra-elle se voir appliquer les mêmes règles de gouvernance que celles de la défunte UAG ou, au contraire, ne serait-il pas opportun de procéder à un aggiornamento salutaire de son mode de gouvernance ?
L’expérience de pôles autonomes au sein d’une même université a rarement été un succès. Des circonscriptions électorales limitées à chaque pôle, avec un nombre d’élus identique, rendrait l’UA ingouvernable ; les mêmes causes produisant immanquablement les mêmes résultats. Cette dernière ne pourrait valablement fonctionner qu’avec des listes communes entre la Guadeloupe et la Martinique avec parité entre les deux pôles, proposant un projet commun pour l’UA, avec une prime majoritaire, conformément au droit commun. Vouloir créer une université des Antilles, avec une plus forte autonomie des pôles que celle d’aujourd’hui reviendrait à placer des hypothèques sur sa gouvernabilité. Le choix de l’autonomie réelle des pôles avec une gouvernance efficace, ne peut se faire que dans le cadre d’une université Guadeloupe et d’une université Martinique, appartenant à un même regroupement qui mettrait en commun dans le cadre d’une Communauté d’Université ou une Association, certains services indispensables et indivisibles, à l’instar du Service commun de la Documentation. Il y a donc un choix à faire entre une Université des Antilles forte, avec un conseil d’administration élu sur la base d’une majorité transversale aux pôles Guadeloupe et Martinique ou l’autonomie des pôles dans le cadre de deux universités appartenant au même regroupement.
L’ADOPTION D’UNE CHARTE ÉTHIQUE
Choisir une université des Antilles, avec une ordonnance d’adaptation à la loi, renforçant l’autonomie des pôles, ce serait prendre le risque de créer de fait deux universités qui n’en porteraient pas le nom, formellement encadrées par une troisième qui n’en serait ni la « racine morale » ni l’instance impartiale de régulation des tensions et d’allocation des ressources entre ses deux composantes territoriales.
La viabilité de l’université des Antilles ne paraît pas compatible avec une autonomie renforcée de pôles régionaux. Il faut donc choisir. Soit les membres de la communauté universitaire optent en faveur d’une université des Antilles, une vision partagée de la consolidation et du développement de celle-ci doit alors prévaloir. Le bon fonctionnement de l’UA passerait aussi par l’adoption d’une charte éthique respectant certains principes (alternance de la présidence entre le pôle de Guadeloupe et celui de la Martinique, refus de l’instrumentalisation électorale des non titulaires, mise en place de commissions consultatives de discipline élues, procédures de recrutement transparente…).
Soit ils décident de créer deux universités regroupées dans le même ensemble, en vertu de l’article L718-3 de la loi ESR. Dans cette hypothèse, il y aurait un établissement d’enseignement supérieur par région, et donc une université de la Guadeloupe et une université de la Martinique ; l’université de la Guyane ayant déjà précédée les deux autres. Ces deux solutions sont parfaitement viables, à condition toutefois d’être largement partagées par la communauté universitaire au sens large et adossées au droit commun. La solution la moins heureuse serait de promouvoir une université des Antilles avec une très forte autonomie des pôles dans le cadre d’une adaptation de la loi. Ce serait renouer avec une ingouvernabilité dont il s’agit précisément de sortir par le haut, en favorisant la stabilité de la gouvernance de l’établissement, sans laquelle il n’est guère de pérennité possible. Quelle que soit l’option choisie, celle de l’intégration antillaise ou celle de l’autonomie régionale, l’enjeu est aujourd’hui de renforcer la gouvernance universitaire dans le cadre de la loi commune. C’est un choix pragmatique. C’est un choix efficace. C’est aussi un choix républicain.
Fred Constant Ancien membre du bureau du président de l’UAG (1998- 2001), Pôle Martinique Professeur des Universités en Sciences Politiques (en détachement) Frédéric Régent Ancien membre du conseil d’administration de l’UAG (2005-2009), Pôle Guadeloupe Maître de conférences en Histoire Université Paris 1-Panthéon- Sorbonne