— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le buzz médiatique actuel va rendre les rapports de forces économiques et sociaux de plus en plus brutaux en France. La France » d’après » la crise du coronavirus est riche d’idées, mais elles ne sont pas partagées par tous.
Qui pouvait penser que le coronavirus ferait basculer le pays entier dans le télétravail, mettrait l’ économie en péril et bousculerait complètement nos certitudes ?
Parmi ces certitudes, il en va désormais du questionnement de la survie même du modèle social français. Il en est également de la question de la France comme parangon de vertu avec la paternité de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Loin d’être dédouanée , la France renoue ainsi avec une polémique sur la véritable interprétation de son histoire esclavagiste et coloniale. Ainsi de même lorsque les acteurs politiques tentent de retrouver un positionnement par rapport à l’histoire qui leur permette de donner du sens à leurs souvenirs, les efforts déployés à cet effet restent souvent embryonnaires en raison d’un certain flou autour de la question « qui a fait quoi dans le passé ». Dans un contexte post-conflictuel, ici entendu au sens large, il existe en effet principalement deux développements envisageables : soit la population française tente de refouler l’évènement pour tenter de renouer avec un passé glorieux de l’avant période coloniale et c’est ce qui se passe actuellement chez certains hommes politiques et historiens ; soit au contraire, les acteurs politiques insistent sur le risque de fracture de la société à partir du conflit identitaire existant afin de proposer un nouveau départ.
L’objectif serait alors de construire une nouvelle mémoire en se démarquant de la situation d’avant crise covid 19 . Pour ce faire, il faut procéder à un petit retour en arrière notamment lors de la crise des subprimes en 2008 . C’était une crise financière, provoquée par la rapacité et l’inconséquence des banques, le capitalisme paraissait sur la sellette. D’innombrables essais et articles, publiés il y a une dizaine d’années, nous annonçaient la disparition imminente d’un système économique où les mouvements de capitaux avaient divorcé de l’économie réelle. Sur le plan politique, il paraissait évident, à la grande majorité des observateurs, que cette crise du capitalisme allait nécessairement bénéficier aux partis les plus à gauche de l’échiquier politique. Et les médias donnèrent alors un écho démesuré aux mouvements de gauche qui semblaient en apporter la démonstration.
Or, non seulement le système capitaliste n’a nullement été abrogé, ni remplacé, mais politiquement et dans le monde entier, ce sont les populistes de droite qui ont eu le vent en poupe. Et ce n’est certes pas le capitalisme qu’ils menacent, mais les libertés publiques, les droits de l’opposition, l’indépendance de la magistrature et des médias. Dans des démocraties représentatives devenues de plus en plus méritocratiques, ils ont su capter l’exaspération des peuples envers les immigrés, les élites, les experts, les supériorités de toute nature.
C’est dans ce cadre historique que les prévisions pour le « monde d’après » se multiplient mais peut-on y trouver des pistes sérieuses pour encaisser les affres du passé et anticiper l’avenir du pays quand on voit que les dirigeants français prétendent plus que jamais distribuer plus en produisant moins, traquant vainement le pseudo-trésor caché de l’économie française. Or, loin de regorger de richesses enfouies, la France est maintenant un pays appauvri non seulement par trente années de croissance molle, de chômage structurel et de dérive de la dette publique, mais de surcroît aujourd’hui se retrouve affaiblie par la terrible crise économique et sociale provoquée par le Covid 19.
En cela, il ne fait aucun doute que l’horizon économique de la France s’assombrit un peu plus. Selon les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiées récemment , la France va enregistrer l’une des plus fortes chutes du PIB au monde. Cette contraction devrait se situer entre 11,4 % et 14,1 % en 2020. Parallèlement on a appris que 500 000 emplois ont été détruits au premier trimestre dans le pays. Une chute, au cours d’une période marquée par le début du confinement le 17 mars, qui a principalement été alimentée par le plongeon de l’intérim (318 100 emplois détruits, soit un effondrement de 40,4 %), et qui devrait se poursuivre selon le gouvernement.
Auditionné devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Economie a dit s’attendre « d’ici les mois prochains à la suppression de 800 000 emplois, c’est-à-dire 2,8 % de l’emploi total ». « Nous avons devant nous une vague de faillites, une vague de difficultés sur le front de l’emploi très violentes. Nous nous y préparons et nous voulons faire face en trouvant des solutions nouvelles », avait déjà assuré le ministre . Des solutions nouvelles seront certes indispensables, mais il faudra s’attendre surtout à ce que nos dirigeants politiques fassent des choix clairs à l’avenir et qui ne passeront que par des rapports de force difficiles, car la France est devenue une société psychasthénique .
La relecture de la définition de cette maladie fait en effet réfléchir : la psychasthénie (du grec psukhê, âme, et astheneia, manque de force) est une névrose qui se caractérise par « le manque de résolution, le doute et les préoccupations stériles. Il semble que le psychasthénique n’ait pas la force d’affronter le monde tel qu’il est, ou qu’il le fasse d’une façon étriquée. Il s’y sent étranger ; il s’occupe trop de lui-même et s’invente des problèmes et des soucis. Cette affection serait basée sur la faiblesse de la fonction du réel.
Les symptômes de cette maladie sont bien cernés pour ce qui concerne la France. En effet, l’avenir qui se dessine pour la France est caractérisé par une croissance structurellement limitée et une probable réduction des dépenses publiques ; il sera alors indispensable d’exploiter de nouveaux gisements de croissance notamment à travers la transition écologique . Dans ce contexte le conflit et les manifestations de tous ordres sont devenus récurrents en France, alors même que la planète ne manque pas d’actualités importantes, que ce soit sur le plan sanitaire avec le coronavirus ou encore sur le plan économique, politique, militaire ou même sur le plan des faits divers avec la résurgence de la problématique du racisme . Or quelle est la principale activité médiatique française depuis des mois si ce n’est des années ? La polémique politicienne domestique, les attaques ad hominem entre opposants politiques franco-français, avec comme méthode la contestation permanente des actions du pouvoir .
Emmanuel Macron est présentement confronté à l’ingratitude des Français
« Les Français sont des veaux », aurait dit le général de Gaulle. Pour Emmanuel Macron, le Français est un « Gaulois réfractaire ». C’est un « ingrat », si l’on en croit le « New York Times ».
Pour le quotidien américain, le gouvernement français a relativement bien réussi son combat contre le coronavirus , est parvenu à éviter des licenciements massifs, a réussi à aider financièrement les chômeurs et, finalement, a obtenu un taux de mortalité liée au coronavirus inférieur à ceux enregistrés par la plupart de ses voisins, à l’exception notable de l’Allemagne.
C’est dans ce contexte que pourtant les esprits s’échauffent. Les débats n’existent presque plus, mais les échanges entre parties sont devenus méchants et partiaux. L’escalade est devenue la règle, le point Godwin y est une habitude… Tout cela aux dépens bien évidemment de la vraie actualité qui en France devrait pourtant nous tenir éveillés : un taux d’endettement record de 120% du PIB attendu pour l’année 2020, mais qui continue de s’accroître, un taux de chômage de plus en plus élevé, une reprise économique post-covid 19 à la traîne par rapport au reste du monde, une désindustrialisation et d’une manière générale une perte de compétitivité qui devrait par la force des choses nous intéresser. Tristesse de voir que les français sont peu enclins à travailler pour redresser l’économie du pays , polémiques internes incessantes, montée des populismes, fracture raciale, inconséquence face aux enjeux, tout cela sent bien évidemment très mauvais, mais faut-il se rappeler la dernière élection présidentielle ? Ne se caractérisait-elle pas par un évitement quasiment total des difficultés du pays pendant la campagne, grâce notamment à l’absence de véritables débats suivis et contrôlés ? La crise du coronavirus va fortement activer le sentiment latent d’injustice sociale et va bientôt mettre en porte-à-faux la promesse Macroniste d’émancipation. Mais la réalité c’est qu’aujourd’hui il n’est nullement question de réinvention de la politique car bien au contraire on jette de l’huile sur le feu. Comment peut-on dire que la France est apaisée avec la crise des gilets jaunes et les actuelles tensions raciales . En fait tous ces événements en France sont révélateurs de la déliquescence de l’autorité de l’Etat français et ça les français ne le supportent plus. Il est loin le temps où l’autorité de l’Etat était respecté par tous et notamment les minorités visibles . La repentance à outrance, l’amollissement de l’éducation, le laisser-aller général autorisent désormais à toutes les dérives. La société, c’est-à-dire l’État, l’école, la justice ou encore la police sont trop dévalorisés aussi c’est l’irresponsabilité qui règne désormais en maître . Plus personne ne veut travailler en France mais on critique à tout va. La délinquance est finalement largement tolérée; les auteurs ne sont soumis qu’à des peines symboliques et la prévention, comme la sanction sont anecdotiques. Aujourd’hui la police se révolte face aux propos de Christophe Castagner le ministre de l’Intérieur . La crise couve. On devrait évidemment sanctuariser l’autorité des représentants de la République au lieu de les exposer à la vindicte populaire . Une seule question : jusqu’où ira cette chienlit ? Les civilisations ne meurent pas seulement en raison des mutations de l’environnement mais aussi de la déliquescence des valeurs qui font société.
Combien de temps faut-il pour qu’un pays vienne jamais à bout de son histoire ? Le temps de répondre à cette question, on sera déjà passé dans autre univers politique au demeurant menaçant celui là. Emmanuel Macron est discrédité auprès de beaucoup de français, la droite est en miettes, Jean Luc Melanchon n’est plus crédible, alors je vous laisse deviner quelle personnalité politique qui reste pour satisfaire le désir d’ordre et le réveil identitaire voire national français et ainsi occuper le pouvoir en France dans les années tumultueuses qui viennent.
L’évaluation que feront les Français de l’action gouvernementale sur tout ce qui touche à la crise économique et sociale et à la préservation d’un modèle social auquel les Français sont très attachés jouera un rôle essentiel dans la période troublée qui s’ouvre. Mais actuellement, le temps s’assombrit sur la France, car trop conflictuelle et minée par les divisions, la société française est véritablement en passe de devenir psychasthénique.
Jean-Marie Nol, économiste