— Collectif(*) —
La moitié des fruits et le quart des légumes cultivés en France conservent, lorsqu’ils sont consommés, au moins un pesticide cancérigène, ou bien susceptible de provoquer des mutations de l’ADN, ou encore d’affecter la reproduction. Une réalité qui préoccupe, d’où la demande de plus de transparence. Pourquoi est-ce important ? Tout d’abord, car la transparence permet de garantir la responsabilité des acteurs en cas d’atteintes à la santé et à l’environnement ; ensuite, car elle favorise la confiance du public à l’égard des autorités régulatrices et des entreprises agricoles en démontrant leur engagement envers la sécurité et la durabilité.
Enfin, la transparence facilite la surveillance et l’évaluation des risques, en permettant aux chercheurs et aux experts de disposer de données fiables et accessibles pour étudier leurs effets à long terme. Mais entre la théorie et la pratique, on trouve un monde, des obstacles de nature légale, administrative, informatique, ainsi que des barrières techniques, politiques et sociétales, et des questionnements sur la façon de rendre une information pertinente et claire. Malgré tout cela, plus de transparence est encore possible, et ce, du champ jusqu’à l’assiette, pour le riverain d’exploitation agricole comme pour le consommateur. Voici comment.
Informer le grand public des usages des pesticides
Les questionnements autour des pesticides débutent souvent lors de leur épandage par un agriculteur. Aujourd’hui, le partage des informations disponibles à ce sujet reste très laborieux : lors d’une commission d’enquête sur les « plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale » en 2023, le député PS Dominique Potier qualifiait la recherche d’information d’« ubuesque ».
Les limites sont ici avant tout réglementaires et techniques. En effet, les agriculteurs doivent répertorier, depuis 2009, leurs usages de pesticides (produits, quantités, sites d’épandage) dans des « cahiers de culture », mais ces derniers ne sont accessibles et mobilisables par les pouvoirs publics qu’en cas de contrôle (5 % à 7 % des fermes par an). Le 14 janvier 2025, le premier ministre souhaitait malgré tout voir réduire ce nombre.
Vers une harmonisation des registres pour plus de transparence
Un Règlement européen d’exécution du 10 mars 2023 pourrait cependant aider à plus de transparence, puisqu’il imposera l’obligation, en 2026, de numériser et harmoniser ces registres afin de faciliter la connaissance scientifique en matière de santé environnementale.
Cette question de l’harmonisation est loin d’être anodine, car, en pratique, les filières agricoles disposent déjà de registres d’usage de pesticides via les systèmes de traçabilité internes des coopératives, des groupements industriels et de producteurs, lesquels rassemblent le contenu des cahiers de cultures. Mais détenues par de multiples acteurs via des logiciels différents, ces bases de données ne sont pas « informatiquement » compatibles entre elles. Un travail technique de mise en équivalence doit donc être réalisé si l’on veut les réunir et former une base de données publique.
De la nécessité d’une collecte simplifiée et d’une transparence accrue
Ce virage n’est toutefois pas impossible, comme l’ont montré les pouvoirs publics danois et slovaques, qui ont permis aux agriculteurs de rentrer leurs données en ligne sur une plate-forme gratuite gérée par l’État, sans avoir à débourser d’argent pour exploiter un logiciel privé ; cela faciliterait la collecte publique de ces informations, sans opérer de contrôle sur place, et leur traitement.
Ce changement pourrait également rendre les agriculteurs sereins, avec des contrôles qui pourraient, dès lors, être plus transparents, se faisant au fil de l’eau par collecte des données numériques.
En outre, depuis 2022, les données relatives aux pesticides, sont entrées dans le Régime européen spécifique pour les données d’intérêt général (RGPD, qu’on nomme « régime de l’altruisme »), ce qui pourrait également en accélérer la mise à disposition pour tous les publics concernés et enlever les feins liés à la disponibilité des données.
Mais qu’en est-il des informations sur les moments et lieux précis d’épandage des pesticides ?
L’information des riverains sur les épandages de pesticides
Actuellement, une des populations les plus demandeuses de transparence restent les riverains, soucieux de leur santé. Si, sur le plan médiatique, les personnes qui s’inquiétent de ces questions sont souvent perçues comme des militants politiques, le père d’un enfant gravement malade, vivant dans la région de La Rochelle, où l’on soupçonne un cluster de cancers pédiatriques lié à l’épandage des pesticides, résumait ainsi son engagement initial : « On n’était pas des militants actifs, mais des parents d’élève. »
Informer les riverains leur donnerait la possibilité de se protéger en partie des retombées des épandages. Mais, ici aussi, avoir des informations claires et précises à l’échelle des parcelles reste laborieux.
Tenter de modifier cela, s’est d’ailleurs transformé en un feuilleton normatif et judiciaire qui dure depuis cinq ans. Certains territoires (comme le Limousin pour la pomme, et l’Isère pour la noix) avaient à l’époque commencé à mettre en œuvre des initiatives concertées d’information des riverains, par SMS ou par l’intermédiaire d’applications numériques, la veille des traitements. Mais l’obligation faite par l’État en 2019 d’utiliser des chartes réglementaires (des textes obligatoires listant les engagements des applicateurs de pesticides et rappelant les enjeux liés aux épandages), pour fournir ces informations, a provoqué une crispation des agriculteurs et un recul de pratiques initiées localement et/ou par filières.
Le paradoxe entre le droit à l’information et la liberté agricole
Les chartes élaborées de 2020 à 2023 n’ont exigé qu’une nécessité d’information au moment de l’épandage (souvent par allumage du gyrophare du tracteur au moment du traitement et via par exemple l’affichage des calendriers de traitements prévisibles sur les sites des chambres d’agriculture). Mais ces chartes ont été considérées comme contraires à la réglementation en janvier par le tribunal administratif d’Orléans, puis, en novembre 2024, par la cour administrative d’appel de Versailles, au motif que l’information n’est pas préalable au traitement et pas suffisamment individualisée, et donc qu’elle ne permet pas au riverain de se protéger.
Outre les horaires des épandages, les riverains, conscients de la toxicité variable des produits, appellent aussi à plus de transparence sur la nature des substances déversées. Un aspect couvert par le droit à l’information environnementale selon la Cour de justice de l’UE. Le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects de droit de propriété intellectuelle de l’OMC permet, lui :
« La divulgation des données soumises par le demandeur d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique ou chimique lorsque celle-ci est nécessaire pour protéger le public. ».
Mais les agriculteurs refusent toujours, au nom de leur liberté d’activité économique, de dévoiler les produits utilisés sur les parcelles.
L’information des consommateurs
Si l’on regarde maintenant du côté des consommateurs qui aimeraient savoir si les produits qu’ils mangent peuvent contenir des pesticides, on dénombre aujourd’hui, en plus du label AB indiquant l’absence de pesticides de synthèse, de nouveaux labels consacrés quasi exclusivement à la question des pesticides, comme le « Zéro résidu de pesticides », lancé en février 2018. Pour rappel, la présence de résidus de pesticides se révèle par la reconnaissance des substances actives restant sur l’aliment.
Mais cette donnée demeure très difficile à évaluer. Un producteur peut avoir utilisé des pesticides de synthèse et avoir livré un produit fini, qui est allégué « sans » ou avec « zéro » résidu, mais qui n’en présente seulement plus de trace détectable. Pour pouvoir véritablement garantir qu’un produit ne présente pas de résidu de pesticides, il faut en fait des analyses en laboratoire, cependant les méthodes utilisées pour cela ne sont toujours pas encadrées réglementairement.
Le label ZRP : une certification entre innovation et défis commerciaux
Les initiateurs duZRP se sont donc fixés un cahier des charges et délivrent une certification après analyse, auprès d’un laboratoire, mais contrairement au label AB, des pesticides de synthèse sont bien utilisés au stade de la production des produits certifiés ZRP. On peut toutefois noter que les fruits et légumes du label ZRP sont produits avec moins de pesticides que des fruits et légumes standards (jusqu’à moitié moins dans certaines filières).
Enfin, la mise en place du label ZRP se heurte à un autre obstacle : seuls certains distributeurs sont prêts à vendre en rayon des aliments ZRP.
À l’échelle européenne, la directive Green Claims, votée en février 2024, vise à protéger les consommateurs contre les affichages environnementaux trompeurs, en imposant des mesures de justification, communication et vérification. Elle a ainsi permis l’apparition de nouveaux systèmes de score environnemental des produits alimentaires, comme le Planet Score qui informe du degré d’usage de pesticides à la production.
Des enseignes, comme Biocoop ou Picard, l’ont déjà adopté dans leur magasin physique, et des applications, comme « QuelProduit » de l’UFC-QueChoisir, permettent d’obtenir l’information sur son Smartphone.
Liberté d’information : un tournant en faveur de la santé publique grâce à Yuka
Cette législation inédite survient après le litige en France qui a opposé l’application Yuka et des marques de charcuterie qui s’offusquaient du fait que Yuka dévoile la présence de nitrites cancérigènes dans leur produit. Les trois jugements en appel (rendus entre 2022 et 2023) ont cependant fait prévaloir la liberté d’information des consommateurs pour favoriser un débat d’intérêt général majeur de santé publique. Une telle appli aurait pour vertu, selon la cour d’appel de Paris, « d’aider les consommateurs à faire les meilleurs choix pour leur santé et à représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits, et ce, aux fins de réduire les inégalités en matière de santé ». Selon les juges, cette information doit être fondée sur une science consolidée, abondante et sérieuse, sous réserve que l’opérateur numérique informe les utilisateurs des choix de notation des produits.
Si ces avancées sont notables, on reste malgré tout loin d’un affichage systématique et obligatoire, contrairement, par exemple, à la liste des ingrédients et allergènes potentiels.
Une transparence gage de démocratie
Que retenir de tout cela ? En règle générale, le devoir d’informer sur les usages des pesticides est perçu comme une contrainte supplémentaire pour les agriculteurs comme pour les industriels. Sans accompagnement des pouvoirs publics, les exploitants agricoles refusent toute transition vers plus de transparence, en mettant en avant leur liberté économique et en soulevant le risque de stigmatisation de la profession.
Le grand public, lui, continue pourtant de s’interroger. Si certains pesticides sont très dangereux pour la santé globale, pourquoi ces produits ne sont-ils pas interdits et pourquoi des méthodes alternatives ne sont-elles pas davantage encouragées ? Sur cette question d’information des riverains, du public et des consommateurs, le constat d’un désengagement actuel des pouvoirs publics est extrêmement clair. Il faut donc revenir aux origines du principe de transparence (un concept clé de la bonne gouvernance dans une société démocratique) et à la caractéristique des droits humains, tel le droit à la santé, un principe et des droits appelant, de façon inéluctable, une responsabilité première de l’État, outgre les réflexions supplémentaires à mener sur les faisabilités techniques et opérationnelles d’accès à des données fiables et sécurisées.
Illustration : Des couleurs dans l’assiette… mais quels pesticides cachés ? Crédit : pavel siamionov / stock.adobe.com.
À propos des auteurs :
– Elisabeth Lambert. Directrice de recherche au CNRS en droit, Nantes Université.
– Karine Favro. Professeure des Universités de Droit public, Université de Haute-Alsace (UHA).
– Quentin Chancé. Sociologue, spécialisé sur le secteur agricole, Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
Source : WeDemain