— Par Benjamin Konig —
Maillon essentiel de l’organisation de la vie démocratique, les communes sont de plus en plus mises à mal. Entre perte de compétences et austérité budgétaire mais avec la volonté de continuer à agir, que peuvent encore les maires ?
es hussards de la République seraient-ils devenus les trimards de la République ? Depuis plusieurs années, le mandat de maire, pourtant central dans l’organisation politique de la France, est en crise. « Malaise des maires », sentiment de « dépossession », « mise sous tutelle », étranglement financier, montée en puissance des intercommunalités, épisode « BalancetTonMaire » lancé par LaREM pour pointer les élus qui augmentent les impôts locaux en prévision de la perte de la taxe d’habitation. Autant de difficultés qui conduisent à des « Maires au bord de la crise de nerfs » (1), avec près de la moitié des maires seulement qui veulent se représenter (48,7 %, mais 42,4 % dans les communes de 500 habitants et moins).
Un mois avant des élections municipales très incertaines, jamais autant d’édiles n’ont été à bout de souffle : le baromètre Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences-Po) publié à l’occasion du congrès des maires de novembre dernier explique les raisons de ces « démissions ». En cause notamment, au-delà des difficultés d’allier vie personnelle et engagement civique, la perte de moyens : 28,3 % disent avoir des difficultés à satisfaire les demandes des administrés et 22,3 % ne plus avoir les moyens de leur action. Un chiffre qui augmente surtout dans les petites communes : en dessous de 5 000 habitants, les difficultés sont accrues.
C’est le cas pour la ville de Graçay, dans le Cher, dont le maire, Jean-Pierre Charles (PCF), témoigne : « L’étranglement financier a commencé sous Sarkozy. Pour ma commune, de 1 500 habitants, dont le budget est de 1,3 million d’euros annuels, cela représente en cumulé 400 000 euros en moins. Et les charges, elles, continuent d’augmenter… » Les garants du modèle républicain estiment de plus en plus qu’il devient impossible de remplir leur fonction. Cette mise sous tutelle financière ne date donc pas d’hier : suppression de la taxe professionnelle sous Sarkozy ; gel puis baisses de dotations massives sous Hollande. L’élection d’Emmanuel Macron a marqué une nouvelle étape de cette perte d’autonomie financière avec la suppression de la taxe d’habitation, et celle de la fiscalité économique locale prévue dans le prochain « pacte productif » préparé par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
Le président de l’Association des maires de France (AMF), François Baroin, évoque ainsi une « nouvelle menace sur les collectivités », d’autant que la contractualisation État-collectivités est souvent vécue, elle aussi, comme un « diktat ». Ce qui fait dire à Michel Fournier, vice-président de l’Association des maires ruraux de France et premier édile d’une petite commune des Vosges, Les Voivres, dans une formule acide : « Sans moyens certes, mais vous avez le pouvoir de tout. »
« Les élus sont pris en tenaille entre l’État qui leur demande des efforts financiers considérables et les demandes des citoyens-consommateurs qu’ils ont de plus en plus de mal à satisfaire », analyse Martial Foucault, président du Cevipof. Maire PCF d’Allonnes, dans la banlieue du Mans (Sarthe), et membre du bureau de l’AMF, Gilles Leproust en témoigne : « Je suis maire depuis 2008 : j’ai vécu le gel puis les baisses de dotations, les transferts de compétences, parfois la dictature de la norme, il est devenu compliqué de réaliser des projets construits avec les habitants. C’est une réalité incontestable. »
Après deux ans de mépris macroniste, le mouvement des gilets jaunes a modifié le discours et le comportement du chef de l’État. Face à une crise sociale et territoriale majeure, il a subitement redécouvert les élus locaux : huit des quatorze réunions de Macron lors du grand débat étaient consacrées aux maires. Mais les doléances des élus n’ont pas vraiment été entendues : ce qu’ils réclament, selon la formule d’André Laignel, maire d’Issoudun et vice-président de l’AMF, c’est simplement « la liberté et les moyens de cette liberté ». Alors que quand ils prennent des arrêtés pour défendre la population, notamment contre les pesticides, ils sont assignés devant les tribunaux par l’État !
coquilles vides et communes-centre
Et puis il y a la loi Notre, votée en 2015, qui a profondément bouleversé leur rôle : le transfert des compétences aux intercommunalités et les regroupements à marche forcée de ces dernières ont marginalisé les communes. Ce n’est pas un hasard si 75 % des maires pensent que cette loi a une « mauvaise influence ». Et 70 % d’entre eux estiment que leur « interco » a une « grande influence » sur leur action. Car ces dernières leur ont ôté bien des pouvoirs : lors de l’examen de la loi « engagement et proximité », votée par le Parlement en décembre dernier et censée répondre à cette crise des maires, ces derniers ont milité fortement pour que les compétences eau, assainissement et tourisme ne soient pas directement transférées aux intercommunalités : ce grief illustre bien la perte de pouvoir des maires sur des sujets qui concernent pourtant la vie quotidienne des habitants.
« Je suis maire depuis 1998, analyse Jean-Pierre Charles, et j’ai été parmi les fondateurs d’une des premières communautés de communes dans le Cher. Ce qui était une bonne idée est aujourd’hui de plus en plus subi. C’est très dommageable, mais il faut être présent à l’interco », lance l’édile, qui résume cela par cette formule : « On délègue des compétences, mais pas sa présence ! » La relation à l’intercommunalité est bien entendu fort différente selon la taille de la commune. Pour les grandes, le fait que le président de l’interco est le plus souvent le maire de la ville la plus importante joue à plein : ces maires-là, ceux des « communes-centre », sont souvent très satisfaits du fonctionnement institutionnel. Ce sont d’ailleurs eux qui ont le sentiment de pouvoir changer les choses : dans les communes de plus de 10 000 habitants, ils sont ainsi 75 % à vouloir se représenter, selon l’étude du Cevipof.
Malgré toutes ces difficultés, la fonction de maire demeure la plus respectée : 61 % des Français ont confiance dans leur maire, une proportion qui monte à 71 % dans les communes rurales. La commune demeure le lieu de la vie sociale, du partage, souvent de la possibilité de mener une politique pour le bien des habitants et les « protéger » d’une politique nationale qui ne considère les territoires que comme une variable d’ajustement à sa politique néolibérale, et dont la métropolisation est la déclinaison territoriale. Gilles Leproust veut d’abord « retenir davantage le côté passionnant des rencontres et des projets. Il y a beaucoup de beaux moments, surtout dans une ville populaire ». Il estime également pouvoir « faire encore beaucoup de choses ! Des classes orchestres dans chaque école, la médiathèque gratuite, la piscine à un euro pendant l’été, les cantines scolaires en bio et circuits courts : on a encore des leviers ». Même si ces derniers dépendent de la taille de la commune, celle-ci demeure le lieu « où l’on peut combattre le libéralisme », ajoute le maire d’Allonnes…
Lire la Suite & Plus => L’humanité.fr