Pour en finir avec ce qui s’apparente à du cynisme, du mépris ou de l’indifférence d’une administration qui nous veut que du bien…sans avoir pris le soin de nous rencontrer.
— Par Victor Lina, psychologue clinicien au SMPR et ses collègues de service —
« C’est une institution qui s’appelle American Enterprise Institute et qui, maintenant, a pour fonction essentielle de jauger en termes de coût et de bénéfice toutes les activités publiques, qu’il s’agisse de ces fameux grands programmes sociaux, par exemple, concernant l’éducation, concernant la santé, concernant la ségrégation raciale, que l’administration Kennedy et l’administration Johnson avaient mis au point au cours de la décennie 1960-70. »
Michel FOUCAULT in Naissance de la biopolitique.
Qui sommes-nous ?
Nous sommes personnels de l’ex-hôpital Colson (Infirmiers, Assistante Sociale, Psychologues) travaillant dans le service du SMPR (Service Médico-Psychologique Régional).
Ce SMPR, comme les 26 autres répartis sur l’ensemble du territoire français, est enclavé au sein d’un établissement pénitentiaire.
Mission de service publique ou ascèse sacerdotale
Notre tâche depuis 1996 est d’assurer une mission de service public, en prodiguant des soins curatifs et préventifs ; en offrant une aide et un cadre à visée thérapeutique aux personnes incarcérées. Pour ce faire, nous nous sommes formés, avons appris à travailler pour offrir aux personnes incarcérées, quel qu’en soient les raisons, les mêmes soins auxquels tout humain a droit dans cette société.
C’est donc au Centre Pénitentiaire de Ducos que nous exerçons nos métiers respectifs de soins et d’accompagnement, parallèlement notre service compte une unité extérieure, le Centre Ressource pour l’Aide à la prise en charge des auteurs de Violences Sexuelle (CRAVS), qui depuis quelques semaines, n’a d’existence qu’en théorie.
Tous les jours nous passons des portiques électromagnétiques, subissons des rayonnements, pour le contrôle de nos affaires personnelles, passons différentes grilles qui se referment aussitôt derrière nous, car nous avons décidé d’accepter les contraintes du travail en milieu fermé.
Nous formons une équipe de professionnels engagés depuis quelques années dans une pratique qui expose chacun à une charge pénible de travail, accepter un risque imprévisible et quotidien, offrir une disponibilité pour recevoir la détresse, la folie, la colère, et côtoyer la violence, le danger.
Une décision sans égard envers nos personnes et notre travail
Sans consulter le personnel du service, il a été décidé le transfert du SMPR et en même temps son saccage, (un indice : ce service rétrograde en étant exclu de la psychiatrie de secteur pour devenir Unité Sanitaire) en le rattachant de force au CHUM. Ainsi, le personnel s’y trouvant déjà a été placé devant le fait accompli d’une mise à disposition d’office. La direction de l’ex-hôpital Colson aujourd’hui Despinoy se chargea de nous informer de cette décision, après coup, à la fin de l’année 2013.
Ce choix arbitraire (censé avoir pris effet en juillet 2014) fut arrêté sous prétexte de régler les problèmes de désertification médicale du SMPR : Il a fallu l’annonce d’une grève pour que les Hôpitaux de Colson-Despinoy finissent par envisager de signer une convention relative à cette décision. Le nombre de psychiatres réduit à 1, sera bientôt nul, sa mutation vers un autre établissement est déjà annoncée. Les problèmes du SMPR ont donc de l’avenir !?!
La méthode employée : une violence psychologique, l’insulte
Cette attitude a pour effet que la quasi-totalité du personnel face à ce coup de force demande sa mutation interne dans son établissement d’origine et considère ce qui suit :
-Nous n’avons pas été associés à cette décision et par conséquent refusons d’être traité comme des objets.
-De plus nous n’avons pas les moyens d’assurer nos missions : l’effectif des salariés a diminué, les personnels partis en retraite ou ayant obtenu une mutation ne sont pas remplacés quand la population carcérale et surtout la demande de soins, d’accompagnement et de psychothérapie, augmente sans cesse.
–Aucune anticipation, aucune préparation, n’a été assurée par les directions de l’ARS et hôpitaux afin de permettre une transition heureuse entre personnel souhaitant travailler au SMPR sous administration CHUM et le personnel qui souhaite continuer à travailler pour son établissement d’origine et demande donc, comme il est de droit, à être admis dans un autre service administré par son employeur.
–Notre offre de service ne correspond pas aux besoins et constitue une injure aux obligations légales : (pénurie de psychiatres –refus d’embaucher des infirmiers, il en faudrait 9 nous sommes 4 en poste
–refus d’embaucher des psychologues, il en faudrait 8, or nous sommes moins de 3 équivalent temps plein-refus d’embaucher des assistantes sociales, il en faudrait 2
– refus d’embaucher d’autres spécialités : ergothérapeute, éducateur,art-thérapeute dont la présence est nécessaire)
Résultat le service est dans l’impossibilité d’apporter une réponse adéquate et en rapport avec la réalité des nécessités du terrain, a réduit ses activités et n’est plus en mesure de recevoir les usagers avec la fréquence et la qualité souhaitée.
Pourtant des fonds supplémentaires très conséquents ont été versés par l’ARS au CHUM. LE CHUM réussi à faire moins (pas d’embauche personnel, pas de couverture médicale) avec près de 500 mille euros de plus.
Pourtant en amont, nous avions présenté nos souhaits d’être informé des questions voire de contribuer à l’élaboration d’une réflexion sur notre activité. Aucune invitation émanant de l’ARS ne nous est parvenue.
Nous avons été sommés d’accepter une situation décidée en haut lieu. Nous avons interpellé à de multiples reprises nos administrations verbalement et par courrier, en appelant à des réunions, en demandant l’appui des syndicats, en nous mobilisant.
Le 06 Juin 2014, à l’occasion d’une réunion avec la direction de Colson, à propos du caractère arbitraire de cette décision de transfert et de la nécessité de considérer le droit individuel de chaque salarié d’accepter ou de refuser cette mise à disposition ; à propos de nos préoccupations en matière de sécurité sanitaire.
Courrier du 28 Juillet 2014,aux directions respectives du CHUM (Centre Hospitalier Universitaire de la Martinique), de l’EPDSM (Établissement Publique de Santé Mentale) de Colson-Despinoy, de l’ARS (Agence Régionale de Santé) Martinique à propos d’une situation préoccupante au regard d’un risque pour notre santé et pour celle des usagers du service.
Le 06 Août 2014 –mobilisation discrète sans banderole ni mot d’ordre tenue en respectant nos obligations de réserve par rapport à toute communication relative au centre pénitentiaire, tout en assurant la continuité des soins par un roulement effectué par les infirmiers. Nous avons demandé à exercer notre droit de retrait.
Courrier du 30 octobre 2014 aux directions de Colson-Despinoy et du CHUM, ainsi qu’au professeur JEHEL, faisant état de notre insatisfaction quant à la réponse apportée à notre demande d’information sur le risque supposé, de la dégradation accentuée de nos conditions de travail du fait de l’impossibilité de prendre des congés à cause de la réduction de l’effectif, de la remise en cause de notre capacité à assurer nos obligations (notamment en matière de prévention de risque suicidaire et de prise en charge précoce de fragilités psychologiques) du fait des retards accumulés par manque de personnel. Dans ce courrier nous avons alerté nos interlocuteurs sur les carences graves en matière de couverture médicale.
Courrier du 19 Novembre 2014, aux directions de Colson-Despinoy et du CHUM, ainsi qu’au professeur JEHEL, afin de dénoncer les déficits d’offre de soins du fait de l’insuffisance des moyens humains mobilisés, en particuliers les psychologues.
Courrier du 30 Novembre 2014 à la Ministre de la Justice, à la Ministre de la Santé, et au Directeur de l’ARS, pour informer directement ces instances tutélaires de notre situation.
A ce jour : nada, rien, ayen, comme réponse ou si l’ignorance, le mépris.
Tout porte donc à penser et à croire que l’égard que nos administrations nous accordent demeure peu soucieux de notre dignité et de nos conditions de travail.
Tout porte donc à penser et à croire que nos administrations ne prennent pas la mesure de la situation d’alerte et d’instabilité qui prédomine dans notre service.
Que demandons-nous ?
–le droit, pour ceux qui veulent travailler dans leur établissement d’origine et qui refusent que leur soit interdite la liberté de choisir, de pouvoir être accueilli dans un autre service de leur institution.
-le maintien d’un service de qualité avec l’apport conséquent de moyens pour travailler et répondre dans des conditions décentes à la mission de service public qui y est attachée.