— René Ladouceur —
Il faudra longtemps, comme toujours, pour analyser la véritable origine et le véritable sens du mouvement social de mars/avril 2017. Il nous aura néanmoins fallu moins de temps pour comprendre que Les 500 Frères n’ont laissé personne indifférent, en particulier, c’est de plus en plus clair, la Préfecture de Guyane.
On juge un gouvernement par ses priorités. Ce pourrait être, pour la Guyane, la lutte contre l’orpaillage illégal. Le combat contre l’insécurité. Le désenclavement du territoire. La fiscalisation de l’industrie spatiale. L’incitation à la création d’entreprises innovantes. Le développement de la formation continue. Non, c’est, semble-t-il, la chasse aux 500 Frères. On jurerait que pour l’Etat, il n’y a rien de plus urgent aujourd’hui en Guyane que de neutraliser, décapiter et réduire au silence Les 500 Frères. Ces derniers mois, toutes leurs apparitions sur la place publique ont été sèchement repoussées par les forces de l’ordre, souvent même à la limite du droit, et deux des leurs ont été prestement convoqués, l’un par la justice, l’autre par la police. Qu’est-ce qui peut bien valoir aux 500 Frères un tel acharnement ? On rappellera qu’ils ont surgi, au grand soulagement de la population, pour protester contre les meurtres et les braquages qui étaient devenus monnaie courante en Guyane. On rappellera surtout qu’ils sont à l’origine du mouvement social, que d’aucuns qualifient d’historique, au terme duquel les pouvoirs publics, après moult hésitation, se sont engagés à verser plus d’un milliard d’euros pour faire face à la situation d’urgence à laquelle est confrontée la Guyane ; une situation d’urgence que l’on évalue tout de même à plus de 3 milliards d’euros.
On ose donc espérer que ce n’est pas d’avoir épargné le pire à la Guyane qui est reproché aux 500 Frères.
On n’y pense pas assez : l’histoire des relations de la Guyane avec l’Hexagone a été la plupart du temps celle d’un rapport de force. De Paris, la Guyane n’a rien obtenu spontanément, ou si peu. Les interventions des politiques, notamment les parlementaires, ont été reléguées au rang de longues parenthèses entre les mobilisations de la rue. Comme si ces mobilisations étaient devenues un passage obligé, la condition sine qua non pour arracher le minimum, comme le Rectorat de Guyane ou l’Université de Guyane.
Comment ne pas éprouver dès lors le sentiment récurrent mais toujours pénible qu’il existe en Guyane une politique à deux vitesses ? Comment ne pas éprouver, en particulier avec la convocation ces prochains jours devant les tribunaux de Richard Cimonard, un membre des 500 Frères, le sentiment qu’il existe une justice à plusieurs vitesses ou plutôt une mise à la disposition de la justice à plusieurs vitesses ? Ils sont légions, dans l’Hexagone, ces militants jouant rarement les enfants de chœur sur la voie publique, avec les biens de la République, et qui ne connaissent pas pour autant les réalités de la justice et ses conséquences.
Pis. Comment peut-on juger un acte si on n’analyse pas ses causes profondes ? La vision étriquée d’une situation complexe engendre une injustice. Les Guyanais qui, dans l’affaire, ne perdent pas de vue les motivations, sont convaincus que la justice veut sanctionner non pas un éventuel comportement délictueux mais la demande pressante adressée à la France d’assumer pleinement ses obligations en Guyane. Le malentendu est total. En attendant, l’État en Guyane pourrait bien apprendre à ses dépens que, surtout dans un contexte comme le nôtre où l’empreinte coloniale est encore si prégnante, rien ne sert davantage une cause que ses démêlés avec les divers pouvoirs, qu’ils soient politiques ou judiciaires.
Notre situation de sous-développement suscite déjà par elle-même des difficultés et des frustrations. Mais elle est évidemment avivée par le sentiment que le gouvernement est moins pressé de résoudre les problèmes des Guyanais que de défendre ses propres intérêts en Guyane. Dans les esprits c’est de plus en plus insupportable. Autant que la persistance de l’insécurité est une insulte à tous les Guyanais qui doivent faire face à la précarité et à la pauvreté grandissantes.
Dans ce tableau très gris de la Guyane actuelle, il ne faudrait surtout pas laisser croire, par conformisme démocratique, que le peuple, c’est-à-dire chacun de nous, est sans responsabilités. C’est à la double doctrine de l’individualisme et de l’assistantialisme, servilement relayée par les médias, que nous devons l’impossibilité d’articuler ensemble nos actes et nos discours et de vivre dans un grand écart permanent entre renonciation et détermination. Nous n’avons pas fini de nous interroger pour savoir si, à l’occasion de la grande mobilisation de l’an dernier, le mot d’ordre était plutôt « plus de France » ou « plus de responsabilité ».
René Ladouceur