— Par Luc Bronner, directeur de la rédaction du « Monde » —
L’état de la planète est critique et nous en sommes responsables, nous rappelle Greta Thunberg. Du haut de ses 16 ans, elle dit à voix haute ce que nous ne voulons pas entendre collectivement et individuellement, analyse Luc Bronner, directeur de la rédaction du « Monde ».
Nous sommes comme des lapins pris dans les phares d’une voiture. Alors que brûle la planète, les polémistes et une partie des hommes et femmes politiques du monde entier s’interrogent sur une adolescente de 16 ans, parce qu’elle dit à voix haute ce que nous ne voulons pas entendre collectivement et individuellement. Nous sommes comme les lapins pris dans les phares d’une voiture, comme saisis de panique, incapables de penser et d’agir rationnellement, concentrés sur le visage, les mots et l’attitude d’une jeune fille.
Greta Thunberg inquiète ? Sa radicalité dérange ? Attendez les générations suivantes, leurs angoisses et leurs colères face à l’irresponsabilité des hommes et des femmes qui les ont précédées dans la destruction systématique de la planète. Comme en Mai 68, la colère risque d’être générationnelle. Profonde. Durable. Et, comme toute vague d’exaspération, avec ses parts d’injustice et de débordements. Nous n’en percevons que les premiers signes, et il est probable que Greta Thunberg nous apparaisse demain, ou après-demain, comme une figure finalement assez modérée.
Rupture sociétale
Nous sommes comme ces générations qui ricanaient ou qui s’alarmaient, c’est selon, en voyant s’agiter les jeunesses de Mai 68, sans percevoir que ce mouvement allait profondément bousculer les sociétés occidentales pendant plusieurs décennies, en bien et en mal, comme toute rupture sociétale. Ce sont les petits-enfants des soixante-huitards qui vont porter cette forme de rébellion écologique et sociale – à l’image de Greta Thunberg, ils ont moins de 20 ans aujourd’hui, leurs grands-parents plus de 70 ans.
Comme en 1968, probablement, mais sous des formes qui n’ont rien à voir, la colère va taper dur, secouer, bousculer, et une partie des générations plus anciennes dénonceront, au choix, le puritanisme, la religiosité, la radicalité, la tristesse, ou tout cela à la fois, de cette jeunesse au regard inquiet. La nature du mouvement, elle, n’a rien de comparable, évidemment. Mais peut-on le reprocher à la génération qui grandit aujourd’hui ? Là où les enfants de 1968 avaient à se battre pour leurs libertés individuelles – quelle chance ! –, les générations qui suivent, cinquante ans plus tard, vont sans doute devoir se battre avec la perspective d’une restriction des libertés individuelles face aux menaces du réchauffement climatique.
Repères bousculés
Parce que c’est de cela qu’il s’agit et c’est pour cela que le débat est si difficile, troublant, déstabilisant, dans une salle de conférence de rédaction d’un journal comme autour d’une table familiale. Jusqu’où la remise en question du système économique ira-t-elle ? Jusqu’où le système démocratique lui-même sera-t-il remis en cause ? Jusqu’à réclamer des régimes plus autoritaires au nom de la survie de l’humanité ? Les générations qui nous suivront pourront-elles faire des enfants, autant d’enfants qu’elles le souhaitent, comme nous l’avons fait ? Jusqu’où devront-elles changer leur alimentation, leurs modes de consommation, leurs moyens de transport ? Et devront-elles abandonner en grande partie le rêve de la voiture, de la maison individuelle et du voyage, ces trois repères sociétaux et économiques qui ont largement porté le monde occidental depuis la seconde guerre mondiale ?…
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