— Par Emmanuel de Reynal —
Plus de 30 ans après l’interdiction de la chlordécone aux Antilles française, force est de constater que nos esprits sont encore contaminés par des idées aussi solides que reçues. Ainsi sommes-nous convaincus que 92% des Martiniquais sont définitivement empoisonnés, qu’ils vivent au sursis d’un cancer qui surviendra forcément, et qu’ils n’ont rien d’autre à faire que d’attendre l’heure fatidique.
Ces affirmations désespérantes laissent entendre que nous serions condamnés, qu’il n’y aurait plus d’espoir pour nous et nos enfants ! Elles sont en réalité totalement fausses ! Elles ne visent qu’à nous maintenir dans un climat d’impuissance et de découragement.
Dans cette crise majeure où se percutent les enjeux écologiques, sanitaires, économiques, judiciaires, sociaux et sociétaux, il est bon de rappeler quelques vérités simples :
- Le président de la République a reconnu solennellement la responsabilité de l’État dans l’affaire dite de la Chlordécone. C’était en 2018.
- L’État a renforcé massivement son plan d’actions afin de traiter toutes les conséquences de cette pollution sur nos territoires. Pas moins de 130 millions d’euros ont été alloués à ce quatrième plan.
- Les mesures de ce plan sont extrêmement variées et très concrètes. Elles visent toutes à permettre aux populations de vivre sans « risque chlordécone »
Attardons-nous un instant sur l’une de ces mesures : les dosages sanguins de chlordéconémie. Parce que le meilleur des combats commence avec soi-même, regardons d’abord ce que nous avons dans le sang. Depuis janvier 2021, les tests de chlordéconémie sont disponibles gratuitement, sans ordonnance médicale dans les laboratoires d’analyse du territoire. Désormais, nous y avons tous accès. A ce jour, au bout de trois ans, 28.000 Martiniquais seulement ont été testés, soit 8% de la population. Contre toute attente, seuls 10% d’entre eux se sont révélés positifs à la chlordécone. Cela veut dire très concrètement que 10% des Martiniquais testés ont une présence de la molécule supérieure au seuil minimum de 4 microgrammes par litre de sang. Dit autrement, 90% des Martiniquais testés ne sont pas contaminés par la chlordécone. Il me semble important de répéter cette phrase : 90% des Martiniquais testés ne sont pas contaminés par la chlordécone.
Rappelons par ailleurs qu’une présence de chlordécone dans le sang ne signifie pas que l’on est malade ; elle est juste un signal d’exposition à la molécule qui permet d’agir, notamment en corrigeant son régime alimentaire. Là encore, toutes les personnes exposées peuvent bénéficier d’un accompagnement gratuit de diététiciens spécialement formés, permettant de diviser le taux de chlordécone par deux en moins de 6 mois, et de l’éradiquer totalement en quelques mois complémentaires. Rappelons enfin que nous avons également la possibilité de faire tester gratuitement nos sols, que nous soyons agriculteur ou non.
Fort de ces vérités rassurantes, l’esprit de responsabilité doit être maintenant de restaurer l’espoir dans une société percluse d’anxiété. Il doit être de renoncer aux vieux discours désespérants et de dire clairement la vérité : Non, nous ne sommes pas condamnés par la chlordécone. Oui, nous pouvons agir.
Notre responsabilité est enfin d’inviter à l’action en appelant tous nos concitoyens à se faire tester. Savoir ce que nous avons dans le sang, c’est la première vraie étape du combat. Car on ne peut pas livrer bataille contre un ennemi invisible.
18 Décembre 2023
Transmis par l’auteur à partir du site Laisse moi te dire