Le Blues de Ma Rainey – Marie-Louise Christophe une reine haïtienne en Grande-Bretagne
À voir sur Netflix : « Le Blues de Ma Rainey ». Un film dédié à Chadwick Boseman, mort prématurément d’un cancer, en août 2020, à Los Angeles, et qui brille dans ce formidable huis clos.
Disparu en 2005, le dramaturge August Wilson, dont l’œuvre raconte la condition des Noirs aux États-Unis au XXe siècle, est devenu une icône du courant Black Lives Matter. Notamment pour Denzel Washington qui, après avoir adapté son Fences en 2017, co-produit la transposition sur grand écran de sa pièce Ma Rainey’s Black Bottom, dans une réalisation de George C. Wolfe.
Le film Le Blues de Ma Rainey nous plonge dans les arcanes d’un studio et de ses coulisses, pour l’enregistrement d’un disque de Ma, la reine afro-américaine du blues, en 1927, à Chicago. Surnommée « la mère du blues », Ma Rainey, à un moment charnière de son parcours, entame dans ces années 20 un lent déclin : l’album en effet oppose deux mondes musicaux, l’ancien, celui de Ma Rainey, et le nouveau, celui de son jeune trompettiste Leeve, un personnage inventé pour l’occasion, et qui tente de lui faire partager son goût pour des arrangements plus modernes et plus dansants.
Cette confrontation dans un lieu unique, le studio d’enregistrement, ne se limite pas à ces considérations artistiques. Guerre d’egos, guerre de communautés… Si les musiciens et la chanteuse sont des Noirs, l’agent et le producteur sont des Blancs, comme c’était alors l’usage, et l’affrontement entre eux constitue un des points forts du film. Les échanges vifs entre les protagonistes racontent surtout le racisme, visible ou sous-jacent dont les Noirs sont victimes, qu’ils se situent en haut ou en bas de l’échelle. Le rapport de force étant engagé, l’opposition entre Blancs et Noirs ne va pas cesser : jouissant encore d’un succès phénoménal, Ma est dans une position de force, et elle entend bien en profiter ! « Dieu ne s’occupe pas des nègres ! », dira quant à lui, dévoré par la rage, le personnage de Leeve.
Dans une séquence inoubliable, Chadwick Boseman, qui endosse justement ce rôle exalté du musicien Levee, livre en une performance déchaînée son itinéraire de jeune Noir de huit ans, assistant au viol de sa mère par sept hommes blancs. « À elle seule, la performance incandescente de l’acteur défunt mérite de s’enfermer une heure quarante dans un huis clos théâtral. Le Blues de Ma Rainey est un film hanté, et pas seulement parce qu’il s’agit de l’ultime – et meilleur – rôle du héros de Black Panther, ici fort loin des pirouettes et des artifices du cinéma de divertissement – avant sa disparition prématurée, en août dernier, à l’âge de 43 ans. » (Cécile Mury dans Télérama).
D’autres figures disparues prennent vie sur l’écran, à commencer par Ma Rainey elle-même, authentique star de l’époque, fort intimidante, mi-diva, mi-dragon qui règne sur son entourage. L’actrice Viola Davis, que l’on a vue notamment dans Les Veuves de Steve McQueen, l’incarne à la perfection. Nous aurons même droit, devant le micro, à ce fameux Ma Rainey’s Black Bottom Blues – titre américain du morceau, de la pièce et du film –, morceau époustouflant célébrant le postérieur de Ma. Viola Davis prouve ainsi qu’elle peut tout jouer, chantant avec le swing et la crudité requises :
«All the boys in the neighborhood
They say your black bottom is really good
Comme on and show me your black bottom
I wanna learn that dance… »
Un film à voir sans attendre si on en a la possibilité, des personnages originaux et forts, car « ce cinéma cloîtré donne autant d’éloquence aux corps, aux visages, aux gestes et à la sueur, qu’au texte lui-même… Ils parlent de révolte et de résignation, et se donnent tout entiers à la musique, sans espoir de retour, comme on signe un marché de dupes avec le diable… Ou un producteur blanc. » (Cécile Mury dans Télérama)
Le Blues de Ma Rainey, drame de George C. Wolfe, États-Unis, 1h34. Avec Chadwick Boseman, Viola Davis, Colman Domingo. Sur Netflix.
À voir sur Youtube : « Marie-Louise Christophe une reine haïtienne en Grande-Bretagne »
Le film réalisé en collaboration avec la chercheuse Nicole Willson de l’Université du Lancashire central et la Chambre de commerce haïtienne en Grande-Bretagne, a été diffusé le 1er janvier 2021, le jour du 217ème anniversaire de l’indépendance d’Haïti. Ce docu-fiction part à la découverte de la Reine Marie-Louise, épouse du roi Henri Christophe d’Haïti, qui première dame du pays, vécut d’abord dans le faste et la gloire, avant d’être contrainte à l’exil : en 1820, une révolution éclate dans le royaume. Le roi se suicide alors dans son palais, son fils Jacques-Victor Henri est proclamé roi titulaire d’Haïti sous le nom d’Henri II, mais il est capturé par les insurgés et pendu. Marie-Louise parvient à sortir du palais de Sans-souci avec ses filles et, sous la protection du président Jean-Pierre Boyer, elle quitte Haïti sur le navire anglais de l’amiral Home Riggs Popham. La rumeur parle d’un voyage pour récupérer des sommes d’argent déposées en Europe. Elle s’installe ensuite à Pise en Toscane. Elle visite Rome en 1828. Elle meurt en 1851 après avoir vainement sollicité, de la part des autorités haïtiennes, le droit de revenir dans son pays natal.
Le court-métrage, d’une durée de trente minutes, est parlé en anglais et en créole.
À propos de Netflix, par Lise Bloch-Morhange
Sans être moi-même fan de la plateforme, je comprends l’avis exprimé sur Netflix par Lise Bloch-Morhange sur le site Les soirées de Paris :
« Quant à Netflix, elle symbolise les temps nouveaux et remplace avec d’autres les grands studios hollywoodiens, rachetés par de grandes firmes industrielles et arrivés au bout de leur système créatif. C’est maintenant sur Netflix et autres que se trouve l’innovation aussi bien dans le domaine des films que des séries. Je ne révèle rien en constatant que depuis une bonne dizaines d’années, les séries ont pris le relai des films en termes de créativité et de reflet ou dénonciation du monde actuel.Les exemples sont innombrables, et des films de valeur sortent de plus en plus souvent sur Netflix (et autres) et non plus dans les salles, parce que les cinéastes y trouvent toute la liberté créatrice souhaitée. Bien entendu, la pandémie et la fermeture des salles ont encore accentué le phénomène, et franchement pour 7,99 euros mensuels c’est très abordable. Alors pourquoi être contre par principe ? »